Corinne LEPAGE sur ACTU-ENVIRONNEMT : Faiblesse des centrales nucléaires et secret
22/03/2011
On peut faire n’importe quoi, au nom de l’indépendance énergétique !
Et si on y rajoute des arrières pensées militaires, c’est le brouillage le plus complet sur tous les sujets sensibles !http://www.actu-environnement.com/
Japon : la catastrophe nucléaire avait été prévue
Nucléaire : le secret défense renforce l'opacité complète de la filière française
Tandis que le « j’accuse » d’ex-cadres de l’atome japonais emplit de terreur au regard de la catastrophe toujours en cours, force est de constater que subsistent toujours en France, les conflits d'intérêts qui renforcent le déni de démocratie dans les choix énergétiques français.
Chronique | Gestion des risques | 21 Mars 2011 | Actu-Environnement.com
Corinne Lepage
Ancien Ministre de l'Environnement, Présidente de Cap21
Le « j'accuse » d'ex-cadres de l'atome japonais est terrifiant et sonne tellement « juste ».
Reconnaissant que l'ampleur du tremblement de terre comme celui du tsunami était bien supérieur aux scenarii envisagés à Fukushima, ces ingénieurs avouent que les canalisations étaient posées en surface et non enterrées, ce qui explique qu'elles aient été arrachées.
Ils ont accepté les plans de General Electric sans trop se préoccuper de leur adaptation à la géographie locale pour assurer l'indépendance énergétique du Japon. Mashashi Goto, ingénieur ayant travaillé à la construction de la centrale admet que les systèmes de pompes étaient destinés à éteindre des incendies mineurs, pas à refroidir les réacteurs.
Ces ingénieurs réunis dans un collectif font le procès de leurs négligences, de leur indifférence, de leur légèreté, mais surtout du système auquel ils ont appartenu.
Mais ils ont été contrôlés par le NISA, équivalent de notre ASN, par l'AIEA, par leur administration. Comment expliquer cet aveuglement collectif dans un pays où la culture du risque apparait si ancrée et les techniques si sophistiquées.
Ces ingénieurs ne supportent plus la culpabilité qui les ronge mais qu'en est-il de TEPCO et des organismes de contrôle ?
Ce type de comportement n'est-il pas en définitive inhérent au système nucléaire lui-même ?
En réalité, la consanguinité entre les contrôleurs et les contrôlés dans le système nucléaire n'exclut-il pas a priori un réel contrôle ? Ainsi, à titre d'exemple parmi des centaines, faut-il le rappeler, la réponse de Mr Repussard, Directeur Général de l'Institut de Radioprotection, répondant à une interrogation sur les risques de contamination dus aux dégagements nucléaires de la centrale de Fukushima pour la France, lors de son audition dans le cadre de la commission parlementaire du 16 Mars, ayant pour sujet la crise nucléaire Japonaise, fût la suivante : « Il n'y a pas plus de risques que durant la période des Essais Nucléaires ».
Conflits d'intérêts
Si on ne comprend pas que c'est bien la raison d'État qui est à l'origine du développement de l'énergie nucléaire civile (et bien sûr a fortiori militaire), on ne peut pas comprendre ce système hors du droit commun qui dispose de ses propres organismes, de son propre droit, de son propre contrôle.
Or, ce "j'accuse" japonais devrait résonner dans la société française comme un avertissement sans frais en ce qui nous concerne. En effet, nombre d'ingénieurs, y compris venus du nucléaire ont, au cours des années, souligné les faiblesses et les risques de nos installations.
Ils ont été évidemment poursuivis et mis sur la touche au bénéfice d'"experts" qui défendaient le nucléaire, y compris en occultant au passage le fait qu'ils étaient consultants pour les exploitants nucléaires eux même.
Grâce à Michèle Rivasi, nous disposons aujourd'hui en France de la CRII-RAD, qui est en capacité de donner des informations fiables sur la pollution radioactive. Grâce à Youri Bandajevsky, nous disposons dans le domaine médical d'un certain nombre d'informations fiables sur la réalité de la tragédie de Tchernobyl.
Mais, pour l'essentiel et en particulier pour l'information qui est donnée à nos concitoyens, nous sommes victimes d'une désinformation permanente qui dénie le risque et cache les fragilités. Bien évidemment, l'extension du secret défense à la quasi-totalité du domaine nucléaire n'a fait que renforcer une opacité complète qui exclut la réalité d'une information au sens propre du terme sur les centrales nucléaires françaises pour se limiter dans le meilleur des cas à une communication et dans le plus mauvais à une propagande.
Pour ma part, ayant vu de très près le dossier de Fessenheim, je suis scandalisée des risques pris par l'exploitant avec la bénédiction de l'autorité de sûreté. Le refus d'investir des sommes, qui auraient été nécessaires pour répondre aux normes de 2000, témoigne de la prise de risques de manière délibérée tant par le ministre que par l'exploitant et par l'autorité de sûreté.
Dès lors, si la France est un pays démocratique, si la presse fait son travail et en particulier croise les "informations" qui lui sont fournies par le lobby nucléaire et se pose les bonnes questions, alors, des bouleversements sont à attendre dans l'organisation même du contrôle des installations nucléaires.
À l'heure où le sujet des conflits d'intérêts est brûlant et public, ce sujet ne peut pas être exclu du débat sur le nucléaire. Simplement, il revêt une configuration très particulière dans la mesure où le lobby nucléaire a accrédité l'idée que son intérêt se confondait avec celui de l'État, qui se confondait avec celui des Français. C'est évidemment faux. Mais, partant de là, il ne peut y avoir conflits d'intérêts puisqu'il s'agit du même intérêt.
C'est la raison pour laquelle il est fondamental de bien distinguer l'intérêt de l'industrie du nucléaire, celui de la Défense Nationale (nucléaire militaire) et celui de tous les Français.
À partir du moment où ces séparations sont bien marquées, il devient alors possible et finalement assez simple de démontrer les conflits d'intérêt évidents entre ceux qui sont chargés de porter l'intérêt de la nation et ceux qui ne font que défendre un intérêt industriel, dont le profit est de plus en plus privé mais dont la nation française assume les risques technologique et financier.
C'est la raison pour laquelle il est indispensable d'ouvrir un très large débat pour bien déterminer ce dont nous parlons. Qu'est-ce qu'aujourd'hui le nucléaire en France ? Quels avantages économiques ? Combien d'emplois créés ? Combien d'impôts perçus ? Quels coûts collectifs ? Quels coûts financiers passés présents et futurs ? Quels impacts sur les autres activités économiques ? Quel coût sanitaire pour les populations exposées et pour les salariés, à commencer par les sous-traitants ? Quel coût pour le démantèlement ?
Autant de questions qui démontrent à l'évidence que l'intérêt des uns n'est pas nécessairement celui des autres et qu'en conséquence confondre intérêt général et intérêt du nucléaire, par les gouvernements successifs et nombre de parlementaires depuis près de 50 ans, est non seulement faux mais dangereux à bien des égards. Espérons que la raison sera suffisante pour ne plus perdre de temps avant de changer notre fusil d'épaule.
Des alternatives sont possibles, il suffit de les mettre en place.
Corinne LEPAGE, avocate, ancien Ministre de l'Environnement, Présidente de Cap21.