Télérama sur les recruteurs et leurs méthodes. Violentes? Asservissements volontaires ?
01/05/2012
Le développement des “méthodes qualité”
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Polémiques en cascade autour de “La Gueule de l’emploi”
Le 28 octobre 2011 à 17h15 - Mis à jour le 31 octobre 2011 à 9h41
Le 6 octobre, sur France 2, était diffusé “La Gueule de l’emploi”. Un documentaire qui dénonçait les processus de recrutement et la violence du monde du travail. Les recruteurs, cloués au pilori sur Internet, se défendent.
Dans le documentaire “La Gueule de l'emploi”, un processus de recrutement qui a choqué les téléspectateurs. DR.
Décidément, le documentaire La Gueule de l’emploi, réalisé par Didier Cros et diffusé sur France 2 le 6 octobre 2011, n’en finit plus de susciter des réactions. Après les nombreuses critiques à la fois enthousiastes (sur la forme) et horrifiées (sur le fond) de l’ensemble de la presse, et notamment à Télérama (qui l'a diffusé en avant-première sur Télérama.fr), les téléspectateurs ont multiplié les commentaires sur Twitter, dans des blogs ou des forums de discussion, partageant leurs émotions entre colère, ironie et incrédulité : « Je n’arrive pas à prendre ce film pour ce qu’il est présenté : un documentaire sur une cession de recrutement ».
« Mon travail s’arrête au film »
Filmant in extenso une session de recrutement organisée par le cabinet RST Conseil pour le groupe GAN, le réalisateur Didier Cros ne s’attendait pas à de telles réactions : « Le film a cristallisé une forme de colère sociale, et l’Internet a servi d’exutoire. Dans mon travail je mets en avant l’humain. Avec ce projet, j’ai tout fait pour rendre impliquant le film pour les téléspectateurs, ce qui explique peut-être les réactions brutales ».
Depuis dix ans, Didier Cros privilégie un travail en immersion, souvent en huis clos, autour de thématiques de société – les sans logis dans Un ticket de bains douches, le handicap dans Parle avec moi, les jeunes réfugiés afghans dans Ado d’ailleurs, la prison dans Parloirs et Sous Surveillance, diffusés prochainement sur France 2. Visiblement un peu dépassé par les polémiques, il précise : « Mon travail s’arrête au film ».
Suite à la diffusion, un internaute a créé un site Internet sur lequel il donnait les coordonnées personnelles des recruteurs qui apparaissent dans le film, et invitait les internautes à exprimer « la gêne, la colère ou le dégoût » ressentis en contactant lesdits recruteurs par téléphone ou en imprimant des affiches et des flyers afin « de les déposer dans les zones géographiques où vivent ces personnes » !
Très vite, suite à une mise en demeure du GAN, le site a été fermé par son son auteur, Baptiste Fluzin (@soymalau sur Twitter), qui tient à s’expliquer : « Je savais pertinemment que les adresses étaient l'élément clé, qui déclencherait la réaction en chaîne. Aujourd’hui, lorsque l'on délivre un message trop policé, trop réfléchi, les gens ne le lisent même plus. Il me fallait donc choquer ! Mais l'idée n'était absolument pas de dire : “Voici l'adresse des recruteurs, allez leur casser la gueule” ».
Pour Didier Cros, cette initiative est « irresponsable » et « son auteur a fait un contre-sens sur mon film. Je n’invite pas au lynchage public. Le film est plus subtil qu’une opposition entre bons et méchants. Je propose une analyse, pas un règlement de compte. Ce qui m’intéressait, c’était plutôt pointer la question de l’asservissement volontaire ». Reste que suite à la création du site de Baptiste Fluzin, plusieurs personnes ont tenté d’entrer dans le cabinet de recrutement RST Conseil. Le standard de l’entreprise a également reçu de nombreux coups de téléphone d’insultes, comme chez GAN, où un salarié témoigne : « On s’est fait traités de porcs par quatre personnes le jour même de la création du site ».
« Le film a évolué au cours du projet »
Face aux critiques, Rogers Teunkam, l'un des deux associés de RST Conseil, a décidé de s'exprimer. Sur Télérama.fr, il estime que le réalisateur lui a caché l’angle véritable du docu – ce qui arrive parfois, pour ne pas effaroucher ceux que l'on veut filmer. Dans la note de présentation du projet, Didier Cros explique « qu’il s’agit certes d’offrir une parole aux candidats à l’emploi, mais aussi aux professionnels du recrutement, premiers observateurs de cette étape majeure : la mise en relation d’un candidat et d’une entreprise ». Le réalisateur mentionne « l’originalité » du « positionnement » de RST Conseil, et précise : « Sa technicité ainsi que le dynamisme de ses dirigeants nous ont séduits ». Mais au final, il s’intéresse en fait surtout aux candidats. « Le film a évolué au cours du projet, explique t-il. Un documentaire, c’est le regard d’un auteur. Je n’ai pas fait un film informatif. Je ne suis pas journaliste. Mon film, c’est principalement le point de vue des candidats ». Il interviewera les recruteurs pendant quatre heures pour n’en retenir que quelques secondes au montage : « Ils n’avaient aucune distance avec leur fonction et ils ne m’ont tenu qu’un discours de com’ ».
Plus ennuyeux : selon une personne ayant participé au projet du documentaire, mais souhaitant conserver l’anonymat, le processus de recrutement tel qu’il apparaît dans le film n'est pas le processus habituel. « Pour le film, tout a été chamboulé. Un process de sélection normal se déroule sur une journée, » or, selon cette source, « Didier Cros a soumis [aux dirigeants de RST Conseil, NDLR]un projet d'accord dans lequel apparaissaient des étapes nouvelles dans le process entièrement ajoutées par son équipe. Par exemple l'emploi du test de personnalité “Thomas” qui est assez fréquent pour des postes à grandes responsabilités. Concernant la “vente du voisin”, il a demandé à ce que soit reformulée la présentation de cet exercice pour que les candidats soient “dans la vente” et non dans la mise en valeur du CV de leur voisin : généralement, les candidats s'appuient sur les CV puisque les recruteurs ne les connaissent pas. Le débat du deuxième jour est une idée de lui, afin de voir s’opposer les candidats en frontal… Enfin, le point le plus important, le déroulement sur deux jours, du jamais vu chez RST… » Didier Cros affirme de son côté que ces changements se sont décidés en concertation avec RST Conseil et tient à préciser : « Ils ont validé absolument tout ce qui a été mis en place. Ils étaient tout à fait au courant de la procédure ».
Mises en scènes et pressions ?
Autre point litigieux : les dirigeants de RST Conseil disent que le réalisateur a décidé lui-même de certaines mises en scène et d'éléments du décor – la disposition des tables, l’entrée des membres du jury un à un, par l’arrière, à travers un grand rideau noir, le choix des vêtements portés par les membres du jury. Ils affirment même que Didier Cros aurait fait pression sur le jury. L'intéressé s'en défend : « C’est vrai que je leur ai dit que je voulais retrouver dans le film ce que j’avais vu lors des sessions qu’ils m’avaient permis de voir avant le tournage. Alors qu’ils étaient un peu crispés, au début, devant les caméras, car ils pensaient à leur boîte, je leur ai rappelé que l’idée du film était de faire comme d’habitude ». Le réalisateur est en tous cas formel : « Je n’ai absolument pas été interventionniste. Le film n’était pas écrit d’avance, les gens n’ont pas été pilotés, et je ne savais pas ce que les gens allaient donner. C’est sûr que Rogers Teunkam est beaucoup dans la théâtralité. Au final, tous jouent un rôle dans leur fonction, mais ils n’en mesurent pas la conséquence ».
Le documentariste assure également avoir parlé avec les dirigeants de RST Conseil après qu’ils ont vu le documentaire, et ces derniers, selon lui, ne l’auraient pas trouvé « déloyal ». « En fait, ils s’attendaient à ce que tout le monde trouve ça formidable. Ils ne sont pas sentis trahis par le film ». Une employée de RST Conseil explique pourtant : « Quand nous avons vu le film avec nos patrons, ces derniers se sont décomposés… ». Et pour cause, GAN représenterait près de 80 % du chiffre d’affaires du cabinet de recrutement. Jusqu’à présent, entre onze et seize sessions de recrutement par mois étaient organisées pour l’assureur. Suite aux polémiques, GAN aurait décidé de suspendre sa collaboration avec RST Conseil. Les emplois d’au moins huit salariés sont en jeu. Des informations que le cabinet n’a pas voulu confirmer.
Selon un spécialiste du secteur, « la profession DRH et les cabinets de recrutement profitent de ce film pour faire de RST Conseil un bouc émissaire ». Alain Gavand, l’un des « déontologues » du recrutement, a écrit une tribune prenant ses distances avec RST Conseil, pourtant membre fondateur de son association, À compétence égale. Notre témoin anonyme conclut : « Je savais qu’on allait à la boucherie. Cros nous a expliqué que pour vendre son documentaire à France 2, il lui fallait du “sensationnalisme” et surtout “des personnages”. Nous faisons habituellement du bon travail, mais la perspective d’être médiatisé a fait prendre la grosse tête à Teunkam et Babayou qui adorent se mettre en valeur ». N’était-ce pas l’idéal pour Didier Cros qui souhaitait à travers ce documentaire filmer « la comédie du travail » ? Une scène du documentaire résume « l’affaire ». Celle où le réalisateur lance à Rogers Teunkam : « C’est comme ça qu’on commence à Hollywood ». Et où le recruteur part dans un éclat de rire…
Lire aussi l'entretien avec Rogers Teunkam.
Marc Endeweld
Le 28 octobre 2011 à 17h15 - Mis à jour le 31 octobre 2011 à 9h41
VOS AVIS (10 COMMENTAIRES)
RouetM - le 31/10/2011 à 09h52
Quoiqu' il en soit.. il est évident que la position de "recruteur" est souvent doublée d'un sentiment de toute - puissance. Qu' aussi, à force aussi de vouloir faire rentrer des humains dans des cases, le côté " humain" de l'entreprise part en miettes. bon.. c'est la vie d'aujourd'hui. C'est comme çà. Il y a deux ans, j'ai voulu monter avec un ami un site " Sherlock Job", permettant , et de façon objective, à des candidats de donner des quotations sur le service de recrutement des entreprises qui les avaient reçu. Sur base d'une vingtaine de critères. ( par exemple adéquation entre le contenu de l'annonce et ce qui était vraiment proposé etc etc). Une moulinette permettait de créer une moyenne globale, par entreprise, par secteur de métiers, secteur géographique etc etc. Intéressant aussi pour les services RH des entreprises, qui pouvaient bien sûr consulter ces données, les comparer avec celles d'entreprises concurrentes etc. et redresser le "tir " s'il y avait raison d'être. Nous avions reçu le soutien financier ... d'une compagnie d 'assurances.. Mais très vite nous avons reçus menaces et pressions. Le site n'a jamais vu le jour..
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RouetM - le 31/10/2011 à 09h50
Quoiqu' il en soit.. il est évident que la position de "recruteur" est souvent doublée d'un sentiment de toute - puissance. Qu' aussi, à force aussi de vouloir faire rentrer des humains dans des cases, le côté " humain" de l'entreprise part en miettes. bon.. c'est la vie d'aujourd'hui. C'est comme çà. Il y a deux ans, j'ai voulu monter avec un ami un site " Sherlock Job", permettant , et de façon objective, à des candidats de donner des quotations sur le service de recrutement des entreprises qui les avaient reçu. Sur base d'une vingtaine de critères. ( par exemple adéquation entre le contenu de l'annonce et ce qui était vraiment proposé etc etc). Une moulinette permettait de créer une moyenne globale, par entreprise, par secteur de métiers, secteur géographique etc etc. Intéressant aussi pour les services RH des entreprises, qui pouvaient bien sûr consulter ces données, les comparer avec celles d'entreprises concurrentes etc. et redresser le "tir " s'il y avait raison d'être. Nous avions reçu le soutien financier ... d'une compagnie d 'assurances.. Mais très vite nous avons reçus menaces et pressions. Le site n'a jamais vu le jour..
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Teoyan - le 31/10/2011 à 09h32
Je n'ai pas vu ce reportage mais les réactions ne m'étonnent pas. Je suis entrepreneur, ex- membre de direction d'une PME, ex- salarié de grands groupes, les RH en entreprise vous apprennent à vous en méfier comme de la peste et les gens qui s'en occupent devraient se poser des questions sur eux-mêmes et leurs motivations, car il détiennent un pouvoir discrétionnaire fort dans l'entreprise, ce sont souvent des personnes à la botte, des petits soldats, qui oublient souvent qu'ils ne sont QUE des salariés... C'est la dernière fonction que je recruterai dans mon entreprise (et encore), et pour les recrutements, on s'en occupera nous mêmes. Quant aux consultants en RH... no comment.
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shadock-06 - le 31/10/2011 à 07h49
Le film est visible ici:
http://www.youtube.com/watch?v=FR271UHde4E
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Orotava - le 31/10/2011 à 07h33
« On s’est fait traités (sic) de porcs par quatre personnes le jour même de la création du site ».
@ telerama.fr : vous devriez vous autoriser à corriger l'orthographe des propos cités (surtout si vous avez recueilli le témoignage oralement...)
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paraclet - le 29/10/2011 à 15h18
Ken Loach a traité le sujet dans 'it's a free world' il me semble que le mode de recrutement et les moeurs libérales tendent à l'universalité du harcèlement tranquille. Un fonctionnement social prévu par la théorie du mimétisme...
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Founious - le 29/10/2011 à 09h15
Internet a ceci de très intéressant, c'est qu'il peut désormais empêcher certains d'agir impunément : on réfléchira peut-être à deux fois avant de licencier une hôtesse de caisse pour avoir ramassé un ticket de caisse, ou de licencier un employé pour avoir récupéré des légumes périmés, et l'on ne condamnera peu-être plus à 18 mois de prison un SDF malien sur simple dénonciation calomnieuse après une enquête bâclée (Vamara Kamagate est décédé début juillet 2011)... L'information va maintenant très vite, obligeant certains à prendre leur responsabilité et les empêchant d'agir dans l'ombre. Policiers, magistrats, officiers supérieurs, députés, recruteurs, contremaîtres, et autres petits chefs de services, dormiront certainement moins tranquilles...
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benBOULOGNE - le 29/10/2011 à 00h27
Quand on regarde ce reportage, il y a quelque chose de frappant: alors que la parole est donné en permanence aux candidats, à aucun moment les recruteurs ne sont interrogés sur ce qu'ils font, comment et pourquoi ils le font. La communication est à ce sens unique.....A charge!
Ce documentaire, si tant est que l'on puisse encore lui donner ce nom, pose un problème de fond....qui valide et vérifie la véracité, la validité des choix d'un réalisateur, comment la chaine qui diffuse de tels reportages s'assure t'elle de la validité des infos qui y sont transmises à un public pouvant aller jusqu'à plusieurs millions de personnes dont certaines vont jusqu'à la délation publique avec des méthodes digne d'une époque que l'on préfèrerait oublier..?
Quel crédit apporter à toutes les émissions dites "d'investigation" quand on voit les manipulations dont celle-ci a manifestement fait l'objet de sa réalisation à son montage?
Cet exemple n'est pas de nature à nous rassurer sur la qualité des informations que la télévision aujourd'hui nous apporte, et c'est malheureux.
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Nykopol - le 28/10/2011 à 20h06
De deux choses l'une : ou on se fout de l'a gueule du monde et on diffuse une documentaire bidonné ou on assume le côté "fiction" de l'exercice, mais en aucun cas on ne prend les gens pour des cons et on ne joue certainement pas avec les nerfs des plus fragiles : il y a quand même eu en france depuis plus d'un an des salariés de grandes entreprises qui se sont foutus par la fenêtre parce qu'ils ne supportaient plus leurs conditions de travail et la pression de leur hiérarchie!
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Magalie_tutu - le 28/10/2011 à 18h15
Malheureusement ce genre de pratiques sont courantes... Alors bien sûr M. Didier Cros doit se réjouir, son documentaire a buzzé, mais si les faits reprochés sont avérés il s'agit tout de même d'une manipulation qui a eu un préjudice important sur les personnes filmées et sur la boîte. Ca ressemble plus à un lynchage médiatique qu'à un vrai travail de fond sur les méthodes de recrutement et la situation actuelle des chômeurs. Alors maintenant va-t-on créer un site fournissant les coordonnées de M. Didier Cros??
Les recruteurs de “La Gueule de l'emploi” contre-attaquent
Le 28 octobre 2011 à 17h15 - Mis à jour le 31 octobre 2011 à 10h34
Responsable du cabinet de recrutement RST Conseil, mis en cause dans “La Gueule de l'emploi” (France 2), Rogers Teunkam estime que le documentaire donne “une image biaisée” de son travail.
Debout, Rogers Teunkam, recruteur de RST Conseil, dans le documentaire “La Gueule de l'emploi”. DR.
Comment avez-vous réagi au site Internet qui publiait les coordonnées personnelles des recruteurs présents dans le documentaire ?
Rogers Teunkam : J’étais décontenancé, comme le reste de mon équipe, par la diffusion du documentaire dans lequel nous n’avons pas du tout retrouvé ce que nous faisons au quotidien chez RST Conseil. L’image que l’internaute a eue de nous est totalement différente du message que nous voulions faire passer. Nous nous efforçons chaque jour de donner une chance à ceux qui ont été inactifs pendant un certain temps. A travers ce documentaire, cette idée a été dénaturée. Ce film ne donne qu’une image biaisée de notre métier, où il est extrêmement important d’aimer les gens, d’éprouver de l’empathie, de les sentir pour pouvoir les évaluer. On comprend que le téléspectateur puisse retenir de ce reportage une mauvaise idée du processus de recrutement.
Vous comprenez donc l’émotion suscitée par ce documentaire ?
Bien entendu, comment ne pas comprendre cette émotion ? Moi-même, au visionnage, j’ai été choqué ! Le travail de Didier Cros exprime son point de vue. Mais je pense que quelqu’un d’autre avec les mêmes images aurait pu présenter un visage tout à fait différent de notre travail. Je ne connaissais pas les techniques et les méthodes de la télévision. Je me suis aperçu que les images, c’est comme les chiffres : on peut leur faire dire ce que l’on veut !
Comment le réalisateur Didier Cros vous a-t-il présenté son projet ?
Nous lui avons permis d’observer plusieurs de nos sessions de recrutement. Il a nous a expliqué qu'il était intéressé de tourner avec notre cabinet parce qu’on donne une chance à ceux qui ont connu des accidents de parcours : il avait remarqué que dans nos sessions, il y avait des gens qui avaient subi des cassures, de tous âges, sexes, origines… Une diversité importante à ses yeux et qu’il ne retrouvait pas systématiquement ailleurs. Et puis, il nous trouvait, mon associé et moi, dynamiques et sympathiques, comme il le rappelle dans sa note. Voilà les circonstances de la rencontre, et l’objet du documentaire qui devait d’ailleurs s’appeler au départ : « Il y a un trou dans votre CV ».
Pourquoi avoir accepté ce projet ?
Nous pensions que donner une chance à ceux qui ont été mis de côté, et que souvent la société stigmatise, est une bonne chose. On veut dire aux candidats : « Vous avez tous une chance d’être recruté et de réussir à condition de le vouloir ».
Vous avez l’impression qu’il y a une différence entre l’intention de départ et le produit fini ?
C’est un travail techniquement de qualité, mais par rapport à notre travail au quotidien, ce n’est pas complet ! Trois exemples. A un moment du film, les candidats disent : « On ne sait pas pourquoi on est là ». Or, il y a quand même eu un tournage au cabinet, non montré, où nos chargés de recrutement convoquaient les candidats par téléphone avec des informations sur l’entreprise, le poste et la rémunération. Il est évident qu’on ne fait pas venir quelqu’un en session sans que celui-ci sache auparavant de quoi il s’agit !
Le deuxième élément est que le tournage a duré deux jours par la volonté du réalisateur et de la production, alors que nos sessions se déroulent habituellement sur une journée. Or, dans le documentaire, on laisse croire que nos sessions durent deux jours.
Troisième élément, la rémunération. Celle d’un vendeur est composée d’un fixe et d’une partie variable. Or, dans le film, l’on s’arrête volontairement sur la rémunération fixe, ce qui suscite les réactions du type : « Tout ça pour un smic ».Le réalisateur aurait pu laisser davantage développer le système de rémunération pour une meilleure information des téléspectateurs.
Comment s’est déroulé le travail de Didier Cros avec vous ?
Il a participé à plusieurs sessions animées par mon associé et moi-même. Avant le tournage proprement dit, il a filmé les présélections téléphoniques, et a tenu à rencontrer un maximum de candidats à l’extérieur afin d’affiner son choix. On lui a présenté un peu plus d’une trentaine de candidats, il en a retenu douze, et le jour de la session, dix se sont présentés.
Didier Cros a-t-il modifié le déroulement habituel du recrutement ?
Il voulait une grande salle, et on lui a prêté les locaux de l’un de nos clients. Durant le tournage, il ne cessait de nous dire de « mettre plus la pression » sur les candidats. « N’hésite pas à les chercher », « n’hésite pas à les pousser dans leur retranchement », « n’aie pas peur », « tu ne vas pas assez loin, je n’ai pas assez de matière ». Il nous rassurait en nous disant : « Je reverrai tout cela au montage ».C’était la première fois que nous participions à un documentaire, nous nous en remettions à son professionnalisme. Il fallait créer une ambiance dure pour que ce soit parlant à l’écran.
Un effet dramatique a été crée par la disposition de la table d’entretien, par les grands rideaux noirs. D’habitude, les candidats ne sont pas face à ce décorum qui les impressionne. Dans le documentaire, les recruteurs arrivent par ce dispositif comme si c’était un jury de tribunal. On lui a fait la remarque, et il nous a répondu que cette mise en scène répondait aux exigences de la lumière. Il souhaitait également la présence des deux associés du cabinet : « Vous avez une belle complicité », disait-il. Du coup, chaque candidat se retrouvait devant cinq recruteurs, ce qui renforçait l’effet tribunal.
Mais pourquoi avoir accepté ces conditions ?
Nous lui avons fait totalement confiance, peut-être trop. Dans notre naïveté et face aux caméras qui créent une distanciation avec soi-même, on s’est trouvé à exécuter ses directives, il nous rassurait. Sans oublier à quel point la caméra pouvait, en choisissant un point de vue, déformer la réalité. Nous n’avons pensé à aucun moment que cela pouvait être contre nous.
Avez-vous l’impression d’avoir été instrumentalisé ?
Oui. Quand on voit comment les candidats ont répondu aux questions posés par le réalisateur lors des interviews qui ont suivi le documentaire, on peut se demander quel a été le fil directeur des questions posées. On peut, à travers les réponses données par les candidats, retrouver le message que le réalisateur voulait faire passer. Les mêmes thèmes reviennent : l’humiliation, la déstabilisation, la soumission, le chômage, le système, l’infantilisation… En permanence, ces mots reviennent comme une musique lancinante, écrite à l’avance, un refrain à prononcer à chaque fin de phrase.
Didier Cros explique qu’il a essayé de préserver un certain « équilibre »…
Quand je regarde le documentaire, l’équilibre, je ne sais pas où il se situe. Nous avons fait quatre heures d’interview avec lui au Forum des images, soi-disant pour répondre aux remarques des candidats. Les quatre heures d’interview se résument à dix secondes à la fin du documentaire !
Vous avez pu visionner le film avant la diffusion ?
Didier Cros nous a prévenus seulement deux semaines avant que son film allait être diffusé le 6 octobre sur France 2. A ce moment là, nous lui avons demandé s’il y avait un moyen de le voir avant, ne serait-ce pour prévenir les clients, les amis… Il nous a dit alors : « On essaye de tout faire pour que vous puissiez le voir avant, mais je ne vous promets rien ». Quelques jours plus tard, il nous rappelle : « Ecoutez, je vais vous donner les coordonnées de la responsable documentaire de France 2, essayez de plaider votre cause auprès d’elle, peut-être qu’elle sera plus sensible, mais de notre côté, on a tout fait, ça n’a pas été accordé ». Nous l’avons alors appelée. C’est une femme au demeurant très gentille qui nous a parlé de la position des juristes de France 2 : « On ne peut pas visionner les documentaires avant diffusion ».
Sur le site de France 2, le documentaire était toujours appelé « Il y a un trou dans votre CV », mais l’article associé commençait à nous refroidir. On rappelle alors Didier Cros qui nous dit : « Mais non, ne vous inquiétez pas, ça se passe toujours comme ça… ». Quelques jours encore après, on apprend qu’il y a eu une diffusion à la RTBF, et les commentaires commencent à fuser sur Internet. On apprend aussi qu’il y a eu une présentation presse, sans qu’on y soit invité, et toute la presse télé commence à se déchaîner sur le documentaire, « un film haletant de Didier Cros à ne pas louper… ». Et c’est là qu’on a commencé à se demander ce qui se passait. On avait prévu de déjeuner avec Didier Cros et sa productrice, à qui on demande pourquoi le documentaire s’appelle désormais La Gueule de l’emploi. Ils nous répondent que c’est France 2 qui a insisté pour changer le titre. On a fini par télécharger le documentaire deux jours avant sa diffusion grâce à un téléspectateur belge qui nous a envoyé un lien. Et c’est de cette manière là que nous avons pu regarder le film avant.
Pourquoi n’avez-vous pas réagi immédiatement ?
On a été dans un premier temps atterré. Dans notre cabinet, ni moi, ni mon associé n’avons l’habitude des médias. Après tout nous ne sommes que de simples chefs d’entreprise. Notre premier rôle est de rassurer nos employés et nos partenaires. Et même si on avait voulu réagir, qu’est ce qu’on aurait pu faire ? Auprès de qui ? La diffusion avait lieu deux jours plus tard. On était abattu.
Quelles sont les conséquences pour votre RST Conseil ?
Nous pensons que ceux qui nous connaissent depuis des années ont déjà testé nos méthodes et évalué leur sérieux. Ils nous ont heureusement renouvelé leur confiance. Cependant, ce reportage, en donnant une image aussi négative de notre travail, va hélas rendre nos prospections futures très délicates. On espère néanmoins que le public pourra aller au delà de ce parti-pris qui ne montre aucunement tout le travail fait en amont et en aval.
Propos recueillis par Marc Endeweld
Le 28 octobre 2011 à 17h15 - Mis à jour le 31 octobre 2011 à 10h34
VOS AVIS (5 COMMENTAIRES)
marieP - le 31/10/2011 à 08h26
Et bien messieurs les recruteurs vous me semblez bien naïfs!
Quand votre métier est de recruter THE super employé pour vos clients, à vous voir si facile à manipuler et abuser je me demande qui vous a recrutés vous!
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Davesnes - le 31/10/2011 à 03h24
Pourquoi avoir accepté ce projet ?
Rogers Teunkams :
"Nous pensions que donner une chance à ceux qui ont été mis de côté, et que souvent la société stigmatise, est une bonne chose. On veut dire aux candidats : « Vous avez tous une chance d’être recruté et de réussir à condition de le vouloir »."
Tout la monde à sa chance ! Ça y est, Bernard Tapie est revenu. Ce type nous prend vraiment pour des billes. Le chômage repart au galop et il ose nous dire que chacun à sa chance. Comme s'il n'y avait rien de structurel.
Je regrette que le gars qui donnait leur adresse ait dû fermer son site. Ils méritent qu'on leur envoie des tombereaux de fumier, ces s....
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n1co_m - le 28/10/2011 à 20h15
Ouais, enfin, le rideau, le salaire (dont on avait compris Monsieur, qu'il était accompagné d'une prime sur objectif. Ce mec prend vraiment les gens pour des cons, dans et hors le film...), c'est pas ce qu'il y avait de plus choquant dans le docu. Le bonhomme ne se justifie absolument pas sur son comportement vis-à-vis des candidats. Ni sur cette petite remarque hallucinante autour de la machine à café, où les types s'étonnent "qu'en temps de crise" il reste des gens qui ne sont pas prêts à n'importe quoi pour un taf (sous payé, qui plus est)...
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genielambda - le 28/10/2011 à 19h23
Trop marrant le rea qui balance : "ah ça va être compliqué de le voir avant diffusion. On a tout fait mais c'est pas possible!!". Toute personne qui bosse dans la Tv ou le ciné sait pertinemment que des projections privées sont organisées avant la diffusion sur les chaînes. Ce rea est juste malhonnête et savait très bien quelle serait la réaction des personnes filmées! Surtout que c'est pas ce qu'on peut appeler de l'investigation (les personnes sont consentantes et y a clairement de la mise en scène) donc il n y a aucune raison de ne pas dévoiler le documentaire avant sa diffusion, sauf si on a quelque chose à cacher...
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Sunny75 - le 28/10/2011 à 18h01
C'est un autre son de cloche que l'on entend cette fois-ci. Le réalisateur Didier Cros avait argué de sa bonne foi, prétendant que les intéressés avaient visionné le docu avant la diffusion, ce qui apparemment est un mensonge... C'est vrai que le documentaire sent quand même la mise en scène, par le choix des angles de caméra, les décors, qui sont porteurs de sens. J'attends la réaction du réalisateur qui doit répondre à tous les points abordés ici et qui laissent fortement suspecter une mauvaise foi intellectuelle.
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