Télérama 6 Juin 2009 - Clic et déclic à l'école (06/06/2009)


LE CARTABLE…
NUMÉRIQUE

Tags : spécial innovation école

NOUVELLES TECHNOS - Ordinateurs, mais aussi palettes graphiques, tableaux interactifs et logiciels ludo-pédagogiques : le développement des outils numériques dans les classes bouscule la relation au savoir et annonce une révolution dans l’enseignement. Avec ses partisans et ses adversaires…


- Photo : Laurent Troude

Devant l'écran de son iMac, Sami, 7 ans, reste perplexe : un mini-Dark Vador l'enjoint de conjuguer des verbes au futur de l'indicatif, mais il hésite sur la première case à remplir : « Vous... aimerai ? » Dark Vador pousse un couinement réprobateur. Sami extirpe de son pupitre son cahier de grammaire, vérifie, corrige : « Vous aimerez », puis passe à la case suivante.

Comme lui, grâce au système de la « classe mobile », c'est-à-dire un réseau d'ordinateurs portables reliés à un ordinateur maître et à Internet, une quinzaine de ses camarades de CP-CE1 planchent de manière autonome, qui sur un exercice de calcul, qui sur un exercice de français, choisi en fonction de ses besoins.

Pendant ce temps, la maîtresse, face au tableau numérique interactif (TNI), s'occupe d'un autre groupe. Sur un vaste écran, relié à l'ordinateur de l'enseignante, est projeté un court texte suivi d'un questionnaire à choix multiples (QCM). Les enfants répondent grâce à un boîtier de vote individuel. L'affichage des résultats est immédiat : les erreurs de chacun sont commentées. « Avec ces outils, je peux enfin appliquer la pédagogie différenciée ! » s'enthousiasme Régine Bontemps, institutrice de l'école Willy-Brandt, qui, en 2006, a fait partie des treize enseignants volontaires pour démarrer L'Ecole du futur, voulue par le député-maire d'Elancourt (Yvelines).

“L'aspect ludique décomplexe les enfants et les incite à davantage participer.”

Aujourd'hui toutes les classes de la ville sont équipées. Ce matin, en maternelle, une élève doit recopier sur l'écran tactile le mot « LUNDI ». Armée du stylet numérique, elle se lance. Le L part à l'envers ? Qu'à cela ne tienne : un coup d'« outil gomme », et l'erreur est effacée. Puis chacun retourne à sa place pour ­effectuer, avec papier et crayon « classiques », ses lignes d'écriture.

Quelle différence par rapport au bon vieux tableau noir ? Les enseignants sont unanimes :« Les possibilités infinies d'affichage et de modification des images, de recherche de documents audiovisuels pour illustrer le cours, et l'aspect ludique, qui décomplexe les enfants et les incite à davantage participer. » Malgré quelques bugs, une formation encore insuffisante et la rareté des ressources numériques disponibles, le TNI rafle tous les suffrages : « Je ne pourrais plus m'en passer ! »avoue Régine Bontemps.

A l'heure actuelle, 1 200 tableaux numériques interactifs sont installés en France. Le cas d'Elancourt relève d'initiatives locales, il en est de même à Limoges et dans les Landes (où un « cartable numérique » a été distribué à tous les collégiens). Grâce aux efforts des collectivités territoriales depuis dix ans, il y a désormais environ huit élèves pour un ordinateur, ce qui situe la France dans la moyenne européenne. Les inégalités subsistent toutefois, surtout entre l'élémentaire, sous-équipé, et le secondaire. Le ministère de l'Education nationale entend y remédier, par exemple en débloquant 50 millions d'euros pour doter 5 000 écoles rurales.

Il faut faire entrer définitivement le « mammouth » dans l'ère numérique. « Aujourd'hui, nous accompagnons les enseignants dans l'usage des nouvelles technologies », explique Jean-Yves Capul, de la sous-direction des Tice (technologies de l'information et de la communication pour l'éducation), qui rappelle que « les profs n'ont plus le choix ». En effet, en intégrant en 2006 la « culture numérique » dans le socle de connaissances et de compétences de la scolarité obligatoire, et en couplant le B2i (brevet informatique et Internet) au brevet des collèges, l'école s'est donné officiellement une nouvelle mission : « réduire la fracture numérique et initier les élèves à un usage raisonné et responsable de ces techniques ».

Photo : Laurent Troude

Mais, du côté des profs, il y a toujours dans ce domaine « les athées et les croyants », pour reprendre le mot de Serge Pouts-Lajus, responsable de l'Observatoire des technologies pour l'éducation en Europe. Si 95 % utilisent désormais l'informatique pour préparer leurs cours, par exemple en consultant les ressources en ligne développées par des associations pionnières (Sésamath en mathématiques, Clionautes en histoire-géographie, et WebLettres en français), seulement 66 % déclarent avoir utilisé un ordinateur en classe au cours de l'année écoulée (1).

Les choses pourraient bien changer avec les outils nouvelle génération, très séduisants. En cours de langue, les collégiens de l'académie de Bordeaux s'entraînent sur des baladeurs numériques. Dans 40 écoles pilotes, les enfants discutent avec des camarades étrangers via un dispositif de visioconférence. Et bientôt, peut-être, les étudiants goûteront aux joies des « jeux sérieux », ces jeux vidéo à contenu éducatif déjà très développés aux Etats-Unis pour la formation des adultes. 30 millions d'euros viennent d'être débloqués à cette fin par le Conseil des ministres.

“Tout professeur doit y trouver son compte, en termes de motivation des élèves,
de renouvellement de son enseignement.”

Preuve de l'évolution en marche : la multiplication des blogs de classe - les trois principaux hébergeurs, Le Café pédagogique, Le Web pédagogique et Curiosphere, en répertorient près de 8 000. Vitrines des travaux d'élèves, cours en ligne ou interface de communication et de création collaborative, il y a autant de sortes de blogs que de méthodes pédagogiques. « Tout professeur doit y trouver son compte, en termes de motivation des élèves, de renouvellement de son enseignement », affirme Alain Lamotte, animateur du Groupe de réflexion et d'expérimentation en informatique dans les disciplines, mis en place par l'académie de Créteil. Mais attention : ces outils « quasi miraculeux » ne font pas le bon prof. Il ne s'agit pas de rendre les enfants ou les adolescents cyber-dépendants. Un équilibre reste donc à trouver « entre Google Earth, les cartes murales et les manuels ».

La médiation de l'écran modifie déjà la relation prof-élève, la relation au savoir, voire le savoir lui-même. Avec l'ordinateur, le maître n'est plus la seule source d'informations de ses élèves, mais un organisateur d'activités, souvent en petits groupes. Il enseigne moins des connaissances que des compétences - autonomie, travail en équipe, etc. Pour Eric Weill, inspecteur de l'Education nationale à Elancourt, nous sommes au seuil d'une « révolution pédagogique »qui remettra en cause, à terme, les examens académiques, comme au Danemark, où l'on vient d'autoriser Internet au bac. La technologie moderne ringardiserait donc définitivement la leçon du maître ? C'est ce que déplore Antoine Drancey, professeur de français dans un collège du Calvados, fondateur de la liste de discussion Profs.fr et président de l'association Dictame, qui gère un portail de ressources en ligne. Loin d'être technophobe, il utilise quotidiennement en classe un vidéo-projecteur, mais à la manière d'un « super-tableau », pour mieux capter l'attention de toute la classe. Il refuse d'« enchaîner ses élèves à des claviers »,craignant qu'ils « ne substituent le clic à une réelle démarche cognitive ».

Au-delà de l'éternelle querelle des Anciens et des Modernes, quel est le bénéfice réel des TIC en termes d'apprentissage ? Selon l'INRP (2), les études internationales s'avèrent contradictoires. Sûr que les élèves sont plus motivés, pas sûr qu'ils apprennent mieux. Quoi qu'il en soit, le passage de l'école au tout-numérique constitue une manne pour les entreprises qui produisent matériel et ressources. Jean-Yves Capul a beau rappeler le principe de neutralité économique de l'Education nationale, nombreux sont les enseignants qui s'inquiètent, par exemple, de l'emprise de Microsoft, via, entre autres, un accord-cadre signé en 2003…

Fanny Capel
Télérama n° 3099

 

(1) Sondage cité dans le rapport d'audit de l'Inspection des finances et de l'Inspection générale de l'Education nationale, « Contribution des TIC à la modernisation du système éducatif », mars 2007.

(2) Institut national de recherche pédagogique, dossier d'actualité no 41, « Impact des TIC dans l'enseignement », janvier 2009.

 

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