CIPAV : Éléments de réflexions sur le concept de « Profession libérale » (04/10/2013)
CIPAV : Éléments de réflexions sur le concept de « Profession libérale »
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Eléments d'étymologie
L'expression « professions libérales » dénote un genre (professions) mais aussi une différence
spécifique (libérales). Ces deux éléments n'ont pas toujours été associés...
A - Le terme « profession »
Le terme « profession » procède du latin « professio » qui signifie « déclaration publique ». Il fait son entrée dans l'espace catholique médiéval en tant que « profession de foi » c'est-à-dire d'abord «choix de vie». Sa transposition à l'activité économique assimile l'entrée en profession à l'ordination. Elle favorise en même temps bien sûr l'émergence de la notion de « corps ». Ce modèle cohérent avec l'organicisme thomiste s'imposera en France. Max Weber montrera comment le providenlialisme luthérien lui substituera le modèle collégial en Allemagne nuis dans les pays anglo-saxons (voir Éléments de sociologie)
B –L’application de l'adjectif « libérales »
L'application de l'adjectif « libérales » à certaines activités semble avoir lui aussi une origine latine. Le droit romain distinguait en effet entre :
- des operae libérales donnant droit à l'honorarium ou manifestation de la reconnaissance du client pour un service inappréciable ;
- des operae illiberales donnant droit à la merces ou contrepartie réservée au travail manuel.
Cette distinction inspirera celle sur laquelle se développera le mouvement universitaire au XIIIc siècle entre « arts libéraux » et « arts mécaniques » ou « serviles » seuls ces derniers s'appliquant à la transformation d'une matière tangible. Les arts libéraux se distribuaient en deux groupes :
- le trivium comprenant la grammaire, la rhétorique et la dialectique ;
- la quadrivium comprenant l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique
Ces cycles respectivement consacrés aux maîtrises du langage et des nombres constitueront le socle commun aux « professions libérales » (professeurs, juristes, notaires, médecins ou hommes de lettres). Ils représentent le passage obligé pour progresser dans la hiérarchie écolier/bachelier/docteur. Une hiérarchie homologue de celle que l'on retrouve dans les « arts mécaniques » entre apprentis/compagnons/maîtres...
Eléments de sociologie
Ainsi que le soulignent Dubar et Tripier, «Marx et Engels, dans leur impatience de voir le capitalisme accoucher d'un nouveau type de société, rejoignent les libéraux dans la crainte qu'ils ont de laisser s'installer des activités qui n'obéiraient pas aux lois communes (issues du marché ou du pouvoir législatif) ».
Ils se joignent donc à Adam Smith pour rejeter les deux modèles d'organisation des professions qui dominaient l'Europe depuis plusieurs siècles. Modèles que Dubar et Tripier trouvent pour ainsi dire à l'état pur dans :
- la corporation à la française telle que décrite dans « L'idiome corporatif » par Sewel ;
- le collège à l'allemande tel que décrit par Gierke, Wëber ou Karpik.
Nous livrons ci-dessous ces deux modèles tels que les transcrivent Dubar et Tripier dans leur Sociologie des professions.
A - L'idiome corporatif selon Sewell
- La ratification des statuts par une «lettre patente du roi» établissant un état en «état juré» pour y avoir «corps, confrérie et communauté» et permettant de considérer le corps comme une personne, « sujet du roi » ;
- Le droit exclusif d'exercer leur activité dans un périmètre et sur un territoire donnés ; les litiges entre groupes posent sans cesse des questions de frontières et sont réglés juridiquement par les instances spécialisées ;
- L'existence d'un langage spécialisé, avec son vocabulaire propre véritable « langage de l'art », qui permet de justifier de « qualités et règles propres » ;
- Le choix d'officiers parmi les membres du corps chargés de « garantir la qualité et l’honnêteté des travaux », de vérifier le respect de la déontologie professionnelle ;
- Des règles pour la formation des apprentis (un seul maître, durée de trois à six ans, existence d'un contrat...)
B - Le modèle « collégial » scion Gierke, Weber et Karpic
- Auto-gouvernement de la profession considérée comme une «communauté d'égaux partageant le même métier » : chacun y est considéré comme un égal et jouit des mêmes droits que tous les autres ;
- Accès libre et volontaire des individus à l'association professionnelle sur la base des règles qu'elle s'est donnée et qui sont reconnues juridiquement ;
- Serment constitutif de la confraternité, scellant le caractère fraternel de la communauté partageant les mêmes valeurs et engageant chacun personnellement.
- Système de prises de décision assurant le consensus du groupe et son auto-régulation excluant l'appel à une autorité extérieure et supérieure.
- Devoir de participation aux activités et aux décisions comme contrepartie des droits ; obligation acceptée de défense du groupe contre les attaques extérieures ;
- Existence d'un code éthique impliquant une discipline morale, une auto-restriction de la production, une économie de la modération destinée à éviter les excessives inégalités de condition ou de pouvoir.
- Conception de la profession comme vocation personnelle, valable théoriquement pour les hommes et pour les femmes, et revêtant une signification religieuse imminente : suivre le chemin voulu par Dieu.;
- Des règles de passage à la maîtrise (réalisation d'un chef-d'œuvre, serment solennel, hérédité professionnelle...) et de carrière professionnelle; les corps sont théoriquement des espaces de mobilité devant permettre de gravir les échelons au cours de la vie active ;
- Une conception particulière, à la fois paternaliste et patriarcale, des relations sociales : primauté du groupe, autorité paternelle, exclusion des femmes (à l'exception de la Mère, épouse du Maître, chargée de l'éducation morale des apprentis ;
- Un serment de fidélité considéré comme une profession de foi, une ordination intronisant un membre dans le groupe, des vœux (de rester dans son corps, de ne pas trahir les secrets) sur le modèle des ordres monastiques ;
- L'existence de groupements religieux, parallèles aux groupes de métier, avec un saint patron, des emblèmes, des fêtes, des célébrations (funérailles) ;
- Une dimension morale et spirituelle essentielle impliquant unité, fraternité, amour, c'est- à-dire un esprit de corps sur le modèle de l'Église, corps du Christ ou de l'État, corps social dont la tête est le roi.
Synthèse provisoire
Les éléments réunis plus haut évidemment à compléter évidemment, n'en permettent pas moins d'en esquisser une première synthèse.
A - L'étymologie
D'abord, le sens de «professio » nous apprend qu'on fait toujours «profession de... ». La question devient du coup celle de la légitimité de cet « acte de langage ». Elle peut s'acquérir de plusieurs façons qui ne sont pas exclusives :
- Diplôme ;
- Qualification ;
- Adoubement par des pairs...
Les économistes libéraux (cette fois au sens d'Adam Smith) promeuvent une autre voie qui est le comportement du marché. Cette voie conteste a priori la légitimité de la « profession ».
Ensuite le « libéral » est un homme « libre »... Le fait que ce soit aussi un citoyen parmi d'autres renvoie à la question « libre de quoi ? ». L'histoire converge ici sur l'idée que le professionnel se dit « libéral » en tant qu'il est libéré de la « matière » — domaine réservé des « arts serviles » chargés de la « transformer ». Elle ajoute que la condition de cette « libération » est une patiente initiation aux « arts libéraux » — socle commun garantissant la maîtrise du langage et des nombres.
B — La sociologie
Les modèles traditionnels français (corps) et allemand (collèges) ont des points communs.
On constate la présence dans les deux cas — même sous des formes très différentes de :
- organisations professionnelles ;
- conditions d'appartenance ;
- cursus de formation ;
- rites professionnels ;
- règles de l'art ;
- déontologies ;
- pouvoirs disciplinaires.
Ils divergent en revanche sur de nombreux points parmi lesquels :
- l'autonomie de l'organisation ;
- l'égalité des membres ;
- la fraternité ;
- la participation aux activités collectives ;
- le monopole territorial...
C - Le droit
Des tendances se dessinent à l'examen des définitions proposées par le droit, la jurisprudence et la doctrine. Si Ton accepte un «recodage» (technique usuelle en sociologie) des caractéristiques recensées plus haut, on peut esquisser le profil suivant :
Quant au statut :
- Le statut du professionnel libéral s'oppose à ceux du fonctionnaire et du salarié
Quant au régime :
Un régime de droit civil spécifique
- Le régime du professionnel libéral s'oppose à ceux de l'artisan et du commerçant
Quant à l'activité :
Une activité essentiellement intellectuelle : Science ou art, Activité intellectuelle ,Services conceptuels .
- L'activité du professionnel libéral s'oppose à celles de l'industrie et de l'artisanat
Quant aux conditions :
Des conditions d'exercice dérogatoires au principe de libre concurrence : Professionnalisme, Compétence, Connaissance élevée, Qualification professionnelle
- Les conditions d'exercice de « la profession » libérale l'opposent à « l'occupation » anglo-saxons
Quant aux finalités :
Des finalités en relation à l'intérêt général : Activité désintéressée, Éthique et déontologie, Qualité du service, Priorité à l'intérêt du client, Confidentialité.
- Les finalités des professions libérales les opposent aux professions de « business »
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