01/05/2012
Télérama sur les recruteurs et leurs méthodes. Violentes? Asservissements volontaires ?
Le développement des “méthodes qualité”
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Polémiques en cascade autour de “La Gueule de l’emploi”
Le 28 octobre 2011 à 17h15 - Mis à jour le 31 octobre 2011 à 9h41
Le 6 octobre, sur France 2, était diffusé “La Gueule de l’emploi”. Un documentaire qui dénonçait les processus de recrutement et la violence du monde du travail. Les recruteurs, cloués au pilori sur Internet, se défendent.
Dans le documentaire “La Gueule de l'emploi”, un processus de recrutement qui a choqué les téléspectateurs. DR.
Décidément, le documentaire La Gueule de l’emploi, réalisé par Didier Cros et diffusé sur France 2 le 6 octobre 2011, n’en finit plus de susciter des réactions. Après les nombreuses critiques à la fois enthousiastes (sur la forme) et horrifiées (sur le fond) de l’ensemble de la presse, et notamment à Télérama (qui l'a diffusé en avant-première sur Télérama.fr), les téléspectateurs ont multiplié les commentaires sur Twitter, dans des blogs ou des forums de discussion, partageant leurs émotions entre colère, ironie et incrédulité : « Je n’arrive pas à prendre ce film pour ce qu’il est présenté : un documentaire sur une cession de recrutement ».
« Mon travail s’arrête au film »
Filmant in extenso une session de recrutement organisée par le cabinet RST Conseil pour le groupe GAN, le réalisateur Didier Cros ne s’attendait pas à de telles réactions : « Le film a cristallisé une forme de colère sociale, et l’Internet a servi d’exutoire. Dans mon travail je mets en avant l’humain. Avec ce projet, j’ai tout fait pour rendre impliquant le film pour les téléspectateurs, ce qui explique peut-être les réactions brutales ».
Depuis dix ans, Didier Cros privilégie un travail en immersion, souvent en huis clos, autour de thématiques de société – les sans logis dans Un ticket de bains douches, le handicap dans Parle avec moi, les jeunes réfugiés afghans dans Ado d’ailleurs, la prison dans Parloirs et Sous Surveillance, diffusés prochainement sur France 2. Visiblement un peu dépassé par les polémiques, il précise : « Mon travail s’arrête au film ».
Suite à la diffusion, un internaute a créé un site Internet sur lequel il donnait les coordonnées personnelles des recruteurs qui apparaissent dans le film, et invitait les internautes à exprimer « la gêne, la colère ou le dégoût » ressentis en contactant lesdits recruteurs par téléphone ou en imprimant des affiches et des flyers afin « de les déposer dans les zones géographiques où vivent ces personnes » !
Très vite, suite à une mise en demeure du GAN, le site a été fermé par son son auteur, Baptiste Fluzin (@soymalau sur Twitter), qui tient à s’expliquer : « Je savais pertinemment que les adresses étaient l'élément clé, qui déclencherait la réaction en chaîne. Aujourd’hui, lorsque l'on délivre un message trop policé, trop réfléchi, les gens ne le lisent même plus. Il me fallait donc choquer ! Mais l'idée n'était absolument pas de dire : “Voici l'adresse des recruteurs, allez leur casser la gueule” ».
Pour Didier Cros, cette initiative est « irresponsable » et « son auteur a fait un contre-sens sur mon film. Je n’invite pas au lynchage public. Le film est plus subtil qu’une opposition entre bons et méchants. Je propose une analyse, pas un règlement de compte. Ce qui m’intéressait, c’était plutôt pointer la question de l’asservissement volontaire ». Reste que suite à la création du site de Baptiste Fluzin, plusieurs personnes ont tenté d’entrer dans le cabinet de recrutement RST Conseil. Le standard de l’entreprise a également reçu de nombreux coups de téléphone d’insultes, comme chez GAN, où un salarié témoigne : « On s’est fait traités de porcs par quatre personnes le jour même de la création du site ».
« Le film a évolué au cours du projet »
Face aux critiques, Rogers Teunkam, l'un des deux associés de RST Conseil, a décidé de s'exprimer. Sur Télérama.fr, il estime que le réalisateur lui a caché l’angle véritable du docu – ce qui arrive parfois, pour ne pas effaroucher ceux que l'on veut filmer. Dans la note de présentation du projet, Didier Cros explique « qu’il s’agit certes d’offrir une parole aux candidats à l’emploi, mais aussi aux professionnels du recrutement, premiers observateurs de cette étape majeure : la mise en relation d’un candidat et d’une entreprise ». Le réalisateur mentionne « l’originalité » du « positionnement » de RST Conseil, et précise : « Sa technicité ainsi que le dynamisme de ses dirigeants nous ont séduits ». Mais au final, il s’intéresse en fait surtout aux candidats. « Le film a évolué au cours du projet, explique t-il. Un documentaire, c’est le regard d’un auteur. Je n’ai pas fait un film informatif. Je ne suis pas journaliste. Mon film, c’est principalement le point de vue des candidats ». Il interviewera les recruteurs pendant quatre heures pour n’en retenir que quelques secondes au montage : « Ils n’avaient aucune distance avec leur fonction et ils ne m’ont tenu qu’un discours de com’ ».
Plus ennuyeux : selon une personne ayant participé au projet du documentaire, mais souhaitant conserver l’anonymat, le processus de recrutement tel qu’il apparaît dans le film n'est pas le processus habituel. « Pour le film, tout a été chamboulé. Un process de sélection normal se déroule sur une journée, » or, selon cette source, « Didier Cros a soumis [aux dirigeants de RST Conseil, NDLR]un projet d'accord dans lequel apparaissaient des étapes nouvelles dans le process entièrement ajoutées par son équipe. Par exemple l'emploi du test de personnalité “Thomas” qui est assez fréquent pour des postes à grandes responsabilités. Concernant la “vente du voisin”, il a demandé à ce que soit reformulée la présentation de cet exercice pour que les candidats soient “dans la vente” et non dans la mise en valeur du CV de leur voisin : généralement, les candidats s'appuient sur les CV puisque les recruteurs ne les connaissent pas. Le débat du deuxième jour est une idée de lui, afin de voir s’opposer les candidats en frontal… Enfin, le point le plus important, le déroulement sur deux jours, du jamais vu chez RST… » Didier Cros affirme de son côté que ces changements se sont décidés en concertation avec RST Conseil et tient à préciser : « Ils ont validé absolument tout ce qui a été mis en place. Ils étaient tout à fait au courant de la procédure ».
Mises en scènes et pressions ?
Autre point litigieux : les dirigeants de RST Conseil disent que le réalisateur a décidé lui-même de certaines mises en scène et d'éléments du décor – la disposition des tables, l’entrée des membres du jury un à un, par l’arrière, à travers un grand rideau noir, le choix des vêtements portés par les membres du jury. Ils affirment même que Didier Cros aurait fait pression sur le jury. L'intéressé s'en défend : « C’est vrai que je leur ai dit que je voulais retrouver dans le film ce que j’avais vu lors des sessions qu’ils m’avaient permis de voir avant le tournage. Alors qu’ils étaient un peu crispés, au début, devant les caméras, car ils pensaient à leur boîte, je leur ai rappelé que l’idée du film était de faire comme d’habitude ». Le réalisateur est en tous cas formel : « Je n’ai absolument pas été interventionniste. Le film n’était pas écrit d’avance, les gens n’ont pas été pilotés, et je ne savais pas ce que les gens allaient donner. C’est sûr que Rogers Teunkam est beaucoup dans la théâtralité. Au final, tous jouent un rôle dans leur fonction, mais ils n’en mesurent pas la conséquence ».
Le documentariste assure également avoir parlé avec les dirigeants de RST Conseil après qu’ils ont vu le documentaire, et ces derniers, selon lui, ne l’auraient pas trouvé « déloyal ». « En fait, ils s’attendaient à ce que tout le monde trouve ça formidable. Ils ne sont pas sentis trahis par le film ». Une employée de RST Conseil explique pourtant : « Quand nous avons vu le film avec nos patrons, ces derniers se sont décomposés… ». Et pour cause, GAN représenterait près de 80 % du chiffre d’affaires du cabinet de recrutement. Jusqu’à présent, entre onze et seize sessions de recrutement par mois étaient organisées pour l’assureur. Suite aux polémiques, GAN aurait décidé de suspendre sa collaboration avec RST Conseil. Les emplois d’au moins huit salariés sont en jeu. Des informations que le cabinet n’a pas voulu confirmer.
Selon un spécialiste du secteur, « la profession DRH et les cabinets de recrutement profitent de ce film pour faire de RST Conseil un bouc émissaire ». Alain Gavand, l’un des « déontologues » du recrutement, a écrit une tribune prenant ses distances avec RST Conseil, pourtant membre fondateur de son association, À compétence égale. Notre témoin anonyme conclut : « Je savais qu’on allait à la boucherie. Cros nous a expliqué que pour vendre son documentaire à France 2, il lui fallait du “sensationnalisme” et surtout “des personnages”. Nous faisons habituellement du bon travail, mais la perspective d’être médiatisé a fait prendre la grosse tête à Teunkam et Babayou qui adorent se mettre en valeur ». N’était-ce pas l’idéal pour Didier Cros qui souhaitait à travers ce documentaire filmer « la comédie du travail » ? Une scène du documentaire résume « l’affaire ». Celle où le réalisateur lance à Rogers Teunkam : « C’est comme ça qu’on commence à Hollywood ». Et où le recruteur part dans un éclat de rire…
Lire aussi l'entretien avec Rogers Teunkam.
Marc Endeweld
Le 28 octobre 2011 à 17h15 - Mis à jour le 31 octobre 2011 à 9h41
VOS AVIS (10 COMMENTAIRES)
RouetM - le 31/10/2011 à 09h52
Quoiqu' il en soit.. il est évident que la position de "recruteur" est souvent doublée d'un sentiment de toute - puissance. Qu' aussi, à force aussi de vouloir faire rentrer des humains dans des cases, le côté " humain" de l'entreprise part en miettes. bon.. c'est la vie d'aujourd'hui. C'est comme çà. Il y a deux ans, j'ai voulu monter avec un ami un site " Sherlock Job", permettant , et de façon objective, à des candidats de donner des quotations sur le service de recrutement des entreprises qui les avaient reçu. Sur base d'une vingtaine de critères. ( par exemple adéquation entre le contenu de l'annonce et ce qui était vraiment proposé etc etc). Une moulinette permettait de créer une moyenne globale, par entreprise, par secteur de métiers, secteur géographique etc etc. Intéressant aussi pour les services RH des entreprises, qui pouvaient bien sûr consulter ces données, les comparer avec celles d'entreprises concurrentes etc. et redresser le "tir " s'il y avait raison d'être. Nous avions reçu le soutien financier ... d'une compagnie d 'assurances.. Mais très vite nous avons reçus menaces et pressions. Le site n'a jamais vu le jour..
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RouetM - le 31/10/2011 à 09h50
Quoiqu' il en soit.. il est évident que la position de "recruteur" est souvent doublée d'un sentiment de toute - puissance. Qu' aussi, à force aussi de vouloir faire rentrer des humains dans des cases, le côté " humain" de l'entreprise part en miettes. bon.. c'est la vie d'aujourd'hui. C'est comme çà. Il y a deux ans, j'ai voulu monter avec un ami un site " Sherlock Job", permettant , et de façon objective, à des candidats de donner des quotations sur le service de recrutement des entreprises qui les avaient reçu. Sur base d'une vingtaine de critères. ( par exemple adéquation entre le contenu de l'annonce et ce qui était vraiment proposé etc etc). Une moulinette permettait de créer une moyenne globale, par entreprise, par secteur de métiers, secteur géographique etc etc. Intéressant aussi pour les services RH des entreprises, qui pouvaient bien sûr consulter ces données, les comparer avec celles d'entreprises concurrentes etc. et redresser le "tir " s'il y avait raison d'être. Nous avions reçu le soutien financier ... d'une compagnie d 'assurances.. Mais très vite nous avons reçus menaces et pressions. Le site n'a jamais vu le jour..
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Teoyan - le 31/10/2011 à 09h32
Je n'ai pas vu ce reportage mais les réactions ne m'étonnent pas. Je suis entrepreneur, ex- membre de direction d'une PME, ex- salarié de grands groupes, les RH en entreprise vous apprennent à vous en méfier comme de la peste et les gens qui s'en occupent devraient se poser des questions sur eux-mêmes et leurs motivations, car il détiennent un pouvoir discrétionnaire fort dans l'entreprise, ce sont souvent des personnes à la botte, des petits soldats, qui oublient souvent qu'ils ne sont QUE des salariés... C'est la dernière fonction que je recruterai dans mon entreprise (et encore), et pour les recrutements, on s'en occupera nous mêmes. Quant aux consultants en RH... no comment.
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shadock-06 - le 31/10/2011 à 07h49
Le film est visible ici:
http://www.youtube.com/watch?v=FR271UHde4E
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Orotava - le 31/10/2011 à 07h33
« On s’est fait traités (sic) de porcs par quatre personnes le jour même de la création du site ».
@ telerama.fr : vous devriez vous autoriser à corriger l'orthographe des propos cités (surtout si vous avez recueilli le témoignage oralement...)
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paraclet - le 29/10/2011 à 15h18
Ken Loach a traité le sujet dans 'it's a free world' il me semble que le mode de recrutement et les moeurs libérales tendent à l'universalité du harcèlement tranquille. Un fonctionnement social prévu par la théorie du mimétisme...
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Founious - le 29/10/2011 à 09h15
Internet a ceci de très intéressant, c'est qu'il peut désormais empêcher certains d'agir impunément : on réfléchira peut-être à deux fois avant de licencier une hôtesse de caisse pour avoir ramassé un ticket de caisse, ou de licencier un employé pour avoir récupéré des légumes périmés, et l'on ne condamnera peu-être plus à 18 mois de prison un SDF malien sur simple dénonciation calomnieuse après une enquête bâclée (Vamara Kamagate est décédé début juillet 2011)... L'information va maintenant très vite, obligeant certains à prendre leur responsabilité et les empêchant d'agir dans l'ombre. Policiers, magistrats, officiers supérieurs, députés, recruteurs, contremaîtres, et autres petits chefs de services, dormiront certainement moins tranquilles...
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benBOULOGNE - le 29/10/2011 à 00h27
Quand on regarde ce reportage, il y a quelque chose de frappant: alors que la parole est donné en permanence aux candidats, à aucun moment les recruteurs ne sont interrogés sur ce qu'ils font, comment et pourquoi ils le font. La communication est à ce sens unique.....A charge!
Ce documentaire, si tant est que l'on puisse encore lui donner ce nom, pose un problème de fond....qui valide et vérifie la véracité, la validité des choix d'un réalisateur, comment la chaine qui diffuse de tels reportages s'assure t'elle de la validité des infos qui y sont transmises à un public pouvant aller jusqu'à plusieurs millions de personnes dont certaines vont jusqu'à la délation publique avec des méthodes digne d'une époque que l'on préfèrerait oublier..?
Quel crédit apporter à toutes les émissions dites "d'investigation" quand on voit les manipulations dont celle-ci a manifestement fait l'objet de sa réalisation à son montage?
Cet exemple n'est pas de nature à nous rassurer sur la qualité des informations que la télévision aujourd'hui nous apporte, et c'est malheureux.
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Nykopol - le 28/10/2011 à 20h06
De deux choses l'une : ou on se fout de l'a gueule du monde et on diffuse une documentaire bidonné ou on assume le côté "fiction" de l'exercice, mais en aucun cas on ne prend les gens pour des cons et on ne joue certainement pas avec les nerfs des plus fragiles : il y a quand même eu en france depuis plus d'un an des salariés de grandes entreprises qui se sont foutus par la fenêtre parce qu'ils ne supportaient plus leurs conditions de travail et la pression de leur hiérarchie!
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Magalie_tutu - le 28/10/2011 à 18h15
Malheureusement ce genre de pratiques sont courantes... Alors bien sûr M. Didier Cros doit se réjouir, son documentaire a buzzé, mais si les faits reprochés sont avérés il s'agit tout de même d'une manipulation qui a eu un préjudice important sur les personnes filmées et sur la boîte. Ca ressemble plus à un lynchage médiatique qu'à un vrai travail de fond sur les méthodes de recrutement et la situation actuelle des chômeurs. Alors maintenant va-t-on créer un site fournissant les coordonnées de M. Didier Cros??
Les recruteurs de “La Gueule de l'emploi” contre-attaquent
Le 28 octobre 2011 à 17h15 - Mis à jour le 31 octobre 2011 à 10h34
Responsable du cabinet de recrutement RST Conseil, mis en cause dans “La Gueule de l'emploi” (France 2), Rogers Teunkam estime que le documentaire donne “une image biaisée” de son travail.
Debout, Rogers Teunkam, recruteur de RST Conseil, dans le documentaire “La Gueule de l'emploi”. DR.
Comment avez-vous réagi au site Internet qui publiait les coordonnées personnelles des recruteurs présents dans le documentaire ?
Rogers Teunkam : J’étais décontenancé, comme le reste de mon équipe, par la diffusion du documentaire dans lequel nous n’avons pas du tout retrouvé ce que nous faisons au quotidien chez RST Conseil. L’image que l’internaute a eue de nous est totalement différente du message que nous voulions faire passer. Nous nous efforçons chaque jour de donner une chance à ceux qui ont été inactifs pendant un certain temps. A travers ce documentaire, cette idée a été dénaturée. Ce film ne donne qu’une image biaisée de notre métier, où il est extrêmement important d’aimer les gens, d’éprouver de l’empathie, de les sentir pour pouvoir les évaluer. On comprend que le téléspectateur puisse retenir de ce reportage une mauvaise idée du processus de recrutement.
Vous comprenez donc l’émotion suscitée par ce documentaire ?
Bien entendu, comment ne pas comprendre cette émotion ? Moi-même, au visionnage, j’ai été choqué ! Le travail de Didier Cros exprime son point de vue. Mais je pense que quelqu’un d’autre avec les mêmes images aurait pu présenter un visage tout à fait différent de notre travail. Je ne connaissais pas les techniques et les méthodes de la télévision. Je me suis aperçu que les images, c’est comme les chiffres : on peut leur faire dire ce que l’on veut !
Comment le réalisateur Didier Cros vous a-t-il présenté son projet ?
Nous lui avons permis d’observer plusieurs de nos sessions de recrutement. Il a nous a expliqué qu'il était intéressé de tourner avec notre cabinet parce qu’on donne une chance à ceux qui ont connu des accidents de parcours : il avait remarqué que dans nos sessions, il y avait des gens qui avaient subi des cassures, de tous âges, sexes, origines… Une diversité importante à ses yeux et qu’il ne retrouvait pas systématiquement ailleurs. Et puis, il nous trouvait, mon associé et moi, dynamiques et sympathiques, comme il le rappelle dans sa note. Voilà les circonstances de la rencontre, et l’objet du documentaire qui devait d’ailleurs s’appeler au départ : « Il y a un trou dans votre CV ».
Pourquoi avoir accepté ce projet ?
Nous pensions que donner une chance à ceux qui ont été mis de côté, et que souvent la société stigmatise, est une bonne chose. On veut dire aux candidats : « Vous avez tous une chance d’être recruté et de réussir à condition de le vouloir ».
Vous avez l’impression qu’il y a une différence entre l’intention de départ et le produit fini ?
C’est un travail techniquement de qualité, mais par rapport à notre travail au quotidien, ce n’est pas complet ! Trois exemples. A un moment du film, les candidats disent : « On ne sait pas pourquoi on est là ». Or, il y a quand même eu un tournage au cabinet, non montré, où nos chargés de recrutement convoquaient les candidats par téléphone avec des informations sur l’entreprise, le poste et la rémunération. Il est évident qu’on ne fait pas venir quelqu’un en session sans que celui-ci sache auparavant de quoi il s’agit !
Le deuxième élément est que le tournage a duré deux jours par la volonté du réalisateur et de la production, alors que nos sessions se déroulent habituellement sur une journée. Or, dans le documentaire, on laisse croire que nos sessions durent deux jours.
Troisième élément, la rémunération. Celle d’un vendeur est composée d’un fixe et d’une partie variable. Or, dans le film, l’on s’arrête volontairement sur la rémunération fixe, ce qui suscite les réactions du type : « Tout ça pour un smic ».Le réalisateur aurait pu laisser davantage développer le système de rémunération pour une meilleure information des téléspectateurs.
Comment s’est déroulé le travail de Didier Cros avec vous ?
Il a participé à plusieurs sessions animées par mon associé et moi-même. Avant le tournage proprement dit, il a filmé les présélections téléphoniques, et a tenu à rencontrer un maximum de candidats à l’extérieur afin d’affiner son choix. On lui a présenté un peu plus d’une trentaine de candidats, il en a retenu douze, et le jour de la session, dix se sont présentés.
Didier Cros a-t-il modifié le déroulement habituel du recrutement ?
Il voulait une grande salle, et on lui a prêté les locaux de l’un de nos clients. Durant le tournage, il ne cessait de nous dire de « mettre plus la pression » sur les candidats. « N’hésite pas à les chercher », « n’hésite pas à les pousser dans leur retranchement », « n’aie pas peur », « tu ne vas pas assez loin, je n’ai pas assez de matière ». Il nous rassurait en nous disant : « Je reverrai tout cela au montage ».C’était la première fois que nous participions à un documentaire, nous nous en remettions à son professionnalisme. Il fallait créer une ambiance dure pour que ce soit parlant à l’écran.
Un effet dramatique a été crée par la disposition de la table d’entretien, par les grands rideaux noirs. D’habitude, les candidats ne sont pas face à ce décorum qui les impressionne. Dans le documentaire, les recruteurs arrivent par ce dispositif comme si c’était un jury de tribunal. On lui a fait la remarque, et il nous a répondu que cette mise en scène répondait aux exigences de la lumière. Il souhaitait également la présence des deux associés du cabinet : « Vous avez une belle complicité », disait-il. Du coup, chaque candidat se retrouvait devant cinq recruteurs, ce qui renforçait l’effet tribunal.
Mais pourquoi avoir accepté ces conditions ?
Nous lui avons fait totalement confiance, peut-être trop. Dans notre naïveté et face aux caméras qui créent une distanciation avec soi-même, on s’est trouvé à exécuter ses directives, il nous rassurait. Sans oublier à quel point la caméra pouvait, en choisissant un point de vue, déformer la réalité. Nous n’avons pensé à aucun moment que cela pouvait être contre nous.
Avez-vous l’impression d’avoir été instrumentalisé ?
Oui. Quand on voit comment les candidats ont répondu aux questions posés par le réalisateur lors des interviews qui ont suivi le documentaire, on peut se demander quel a été le fil directeur des questions posées. On peut, à travers les réponses données par les candidats, retrouver le message que le réalisateur voulait faire passer. Les mêmes thèmes reviennent : l’humiliation, la déstabilisation, la soumission, le chômage, le système, l’infantilisation… En permanence, ces mots reviennent comme une musique lancinante, écrite à l’avance, un refrain à prononcer à chaque fin de phrase.
Didier Cros explique qu’il a essayé de préserver un certain « équilibre »…
Quand je regarde le documentaire, l’équilibre, je ne sais pas où il se situe. Nous avons fait quatre heures d’interview avec lui au Forum des images, soi-disant pour répondre aux remarques des candidats. Les quatre heures d’interview se résument à dix secondes à la fin du documentaire !
Vous avez pu visionner le film avant la diffusion ?
Didier Cros nous a prévenus seulement deux semaines avant que son film allait être diffusé le 6 octobre sur France 2. A ce moment là, nous lui avons demandé s’il y avait un moyen de le voir avant, ne serait-ce pour prévenir les clients, les amis… Il nous a dit alors : « On essaye de tout faire pour que vous puissiez le voir avant, mais je ne vous promets rien ». Quelques jours plus tard, il nous rappelle : « Ecoutez, je vais vous donner les coordonnées de la responsable documentaire de France 2, essayez de plaider votre cause auprès d’elle, peut-être qu’elle sera plus sensible, mais de notre côté, on a tout fait, ça n’a pas été accordé ». Nous l’avons alors appelée. C’est une femme au demeurant très gentille qui nous a parlé de la position des juristes de France 2 : « On ne peut pas visionner les documentaires avant diffusion ».
Sur le site de France 2, le documentaire était toujours appelé « Il y a un trou dans votre CV », mais l’article associé commençait à nous refroidir. On rappelle alors Didier Cros qui nous dit : « Mais non, ne vous inquiétez pas, ça se passe toujours comme ça… ». Quelques jours encore après, on apprend qu’il y a eu une diffusion à la RTBF, et les commentaires commencent à fuser sur Internet. On apprend aussi qu’il y a eu une présentation presse, sans qu’on y soit invité, et toute la presse télé commence à se déchaîner sur le documentaire, « un film haletant de Didier Cros à ne pas louper… ». Et c’est là qu’on a commencé à se demander ce qui se passait. On avait prévu de déjeuner avec Didier Cros et sa productrice, à qui on demande pourquoi le documentaire s’appelle désormais La Gueule de l’emploi. Ils nous répondent que c’est France 2 qui a insisté pour changer le titre. On a fini par télécharger le documentaire deux jours avant sa diffusion grâce à un téléspectateur belge qui nous a envoyé un lien. Et c’est de cette manière là que nous avons pu regarder le film avant.
Pourquoi n’avez-vous pas réagi immédiatement ?
On a été dans un premier temps atterré. Dans notre cabinet, ni moi, ni mon associé n’avons l’habitude des médias. Après tout nous ne sommes que de simples chefs d’entreprise. Notre premier rôle est de rassurer nos employés et nos partenaires. Et même si on avait voulu réagir, qu’est ce qu’on aurait pu faire ? Auprès de qui ? La diffusion avait lieu deux jours plus tard. On était abattu.
Quelles sont les conséquences pour votre RST Conseil ?
Nous pensons que ceux qui nous connaissent depuis des années ont déjà testé nos méthodes et évalué leur sérieux. Ils nous ont heureusement renouvelé leur confiance. Cependant, ce reportage, en donnant une image aussi négative de notre travail, va hélas rendre nos prospections futures très délicates. On espère néanmoins que le public pourra aller au delà de ce parti-pris qui ne montre aucunement tout le travail fait en amont et en aval.
Propos recueillis par Marc Endeweld
Le 28 octobre 2011 à 17h15 - Mis à jour le 31 octobre 2011 à 10h34
VOS AVIS (5 COMMENTAIRES)
marieP - le 31/10/2011 à 08h26
Et bien messieurs les recruteurs vous me semblez bien naïfs!
Quand votre métier est de recruter THE super employé pour vos clients, à vous voir si facile à manipuler et abuser je me demande qui vous a recrutés vous!
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Davesnes - le 31/10/2011 à 03h24
Pourquoi avoir accepté ce projet ?
Rogers Teunkams :
"Nous pensions que donner une chance à ceux qui ont été mis de côté, et que souvent la société stigmatise, est une bonne chose. On veut dire aux candidats : « Vous avez tous une chance d’être recruté et de réussir à condition de le vouloir »."
Tout la monde à sa chance ! Ça y est, Bernard Tapie est revenu. Ce type nous prend vraiment pour des billes. Le chômage repart au galop et il ose nous dire que chacun à sa chance. Comme s'il n'y avait rien de structurel.
Je regrette que le gars qui donnait leur adresse ait dû fermer son site. Ils méritent qu'on leur envoie des tombereaux de fumier, ces s....
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n1co_m - le 28/10/2011 à 20h15
Ouais, enfin, le rideau, le salaire (dont on avait compris Monsieur, qu'il était accompagné d'une prime sur objectif. Ce mec prend vraiment les gens pour des cons, dans et hors le film...), c'est pas ce qu'il y avait de plus choquant dans le docu. Le bonhomme ne se justifie absolument pas sur son comportement vis-à-vis des candidats. Ni sur cette petite remarque hallucinante autour de la machine à café, où les types s'étonnent "qu'en temps de crise" il reste des gens qui ne sont pas prêts à n'importe quoi pour un taf (sous payé, qui plus est)...
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genielambda - le 28/10/2011 à 19h23
Trop marrant le rea qui balance : "ah ça va être compliqué de le voir avant diffusion. On a tout fait mais c'est pas possible!!". Toute personne qui bosse dans la Tv ou le ciné sait pertinemment que des projections privées sont organisées avant la diffusion sur les chaînes. Ce rea est juste malhonnête et savait très bien quelle serait la réaction des personnes filmées! Surtout que c'est pas ce qu'on peut appeler de l'investigation (les personnes sont consentantes et y a clairement de la mise en scène) donc il n y a aucune raison de ne pas dévoiler le documentaire avant sa diffusion, sauf si on a quelque chose à cacher...
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Sunny75 - le 28/10/2011 à 18h01
C'est un autre son de cloche que l'on entend cette fois-ci. Le réalisateur Didier Cros avait argué de sa bonne foi, prétendant que les intéressés avaient visionné le docu avant la diffusion, ce qui apparemment est un mensonge... C'est vrai que le documentaire sent quand même la mise en scène, par le choix des angles de caméra, les décors, qui sont porteurs de sens. J'attends la réaction du réalisateur qui doit répondre à tous les points abordés ici et qui laissent fortement suspecter une mauvaise foi intellectuelle.
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27/07/2011
Songez souvent à cette vidéo …
Comment des “Responsables” japonais – en réalité de vrais beaux salauds – peuvent-ils apporter d’aussi cruels et inutiles raffinements à l’ ”Art de se laver les mains”?
Au moins, en son temps, par cette formule, Ponce-Pilate marquait-il sa désapprobation de voir Jésus condamné par le peuple au lieu de Barabbas !…
03:38 Publié dans Management, Moeurs | Lien permanent |
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25/03/2011
ARTE 25.03.2011 22H10 - RAS NUCLÉAIRE, RIEN À SIGNALER
http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/Catastrophe-nuc...
@Jean de Malter :
1) La parole a été donné à Marcel BOITEUX http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Boiteux le patron d'EDF qui a lancé la filière nucléaire. Il n'a pas caché que la sécurité de nos centrales nucléaires françaises était déjà, plutôt limite; il n’a pas hésité non plus à pointer la sous-traitance à outrance aux 5 compagnies qui se partage la maintenance nucléaire au plan national.
On imagine mal en revanche qu’à EDF des cadres d’Henri PROGLIO actuellement en fonction se mouillent pour lâcher quelques parcelles de vérité en ce sens. Ce serait, avouons-le, un sacrifice stupide, puisque d'une certaine façon, on la connait déjà ! Idem avec AREVA.
Néanmoins, notre ex-patron d’EDF aurait pu pointer les rivalités existant entre ces 2 groupes; plus sources d’antagonisme que de synergies.
Il aurait pu aussi rappeler les extravagances de la politique de l’énergie menée au travers d’EDF : ouvrir l’entreprise à la concurrence soit disant pour faire baisser les prix, aujourd’hui augmenter les prix publics soit disant pour permettre la concurrence, tout en étant amené, UE oblige, à accorder des tarifs préférentiels à ses concurrents. Une seule certitude : on n’est plus au pays de Descartes.
2) Envisager de sortir du nucléaire est moins un fantasmes qu'un choix plein de lucidité pour que les efforts d'investissements se portent sur des axes de recherche et d'innovation qui déboucheront sur des solutions plus aisément généralisables au monde global actuel que le nucléaire actuel ! Ce sera l'occasion par la même, de ne plus exposer le vivant à des risques de mutations croissant avec l’accumulations de radioactivités artificielles dans notre environnement !
@Sandycov & @Jean de Malter :
- Personne ne croit en effet que les moyens alternatifs qu'on est capable de concevoir aujourd'hui, vont se substituer au nucléaire. Il faudra faire avant d'importantes découvertes pour ce rapprocher de processus qui imitent mieux la nature.
- Mais tout le monde voit bien que les presque 500 centrales nucléaires en fonction dans le monde partagent 2 défauts connus dès leur conception, jusqu’ici toujours négligés, mais imparables à partir d’un certain niveau de catastrophe, même avec la technologie de la 3e puissance économique du monde et des travailleurs parmi les plus assidus et les plus disciplinés du monde.
(Voir, les réacteurs nucléaires : http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9acteur_nucl%C3%A9aire, la fusion du cœur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fusion_du_c%C5%93ur, le problème de criticité : http://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_de_criticit%C3%A9; Avec en fin d'article de chacun des articles, la liste des cas connus...)
Quand le cœur du réacteur ne peut plus être ralenti puis refroidi, le processus de fission devient incontrôlable, la chaleur du combustible atomique augmente, faisant péter la plomberie, fondre les enceintes de confinement et libérant la radioactivité qui pollue plus ou moins rapidement mais de façon irréversible, les installations, l'air, l'eau et les sols et sous-sols.
Sous l'effet conjugué d'une chaleur et d'une radioactivité intenables, l'homme perd tout contrôle de la machine qu'il a inventé en appliquant avec le plus grand soin des méthodes de conception qualité, dont - ironie du sort - les japonais ont été les meilleurs promoteurs puisque tout le monde occidental les a adoptées !
La dépêche AFP de ce 27/3/2011 midi fait état sur un des réacteurs, d’une radioactivité de l’eau contaminée, 10 millions de fois supérieure à la normale. La radioactivité du réacteur N°2 est montée maintenant à 1000 millisiverts par heure. En 1h un travailleur ramasserait la radioactivité qu’il ne devrait pas dépasser en 1 an (seuil révisée à la hausse Les communiqués de TEPCO montrent que la confusion la plus totale règne sur les sites de Fukushima.
Tout ça est fondamentalement une question de logique de conception, de vice fondamental certain qu’on essaye constamment de contourner mais qu’on ne sait ni surmonter ni résoudre.
Cet effort constant pour ne pas tomber dans l’erreur à ne pas commettre avec ce genre de machine, suppose aucune faille dans le pilotage, la maintenance, et l’appréciation des aléas naturels ou technologiques, ça fait beaucoup, beaucoup d’hypothèses et parmi elles des dizaines que nous trouverions probablement très fragiles si nous les connaissions !
Un assureur peut vous assurer contre les dommages résultant d'un aléa (le tsunami). Jamais il n’acceptera de vous assurer pour un travail mal fait ou un vice de conception (le cœur du réacteur dont on ne peut arrêter la fonte).
Parallèlement, qui accepterait sciemment dans la vie courante, de continuer à utiliser un appareil qui à la suite d’une série de mauvaises manipulations pourrait vous mettre à la merci d'inconvénients irréversibles et cumulatifs ?
Les risques liées aux ressources
- le manque d’eau (froide)
- le nombre limité d’équipements nécessaire pour assurer le refroidissement, et l’impossibilité de les réparer ou les changer en cas de panne ou destruction
- le manque d’énergie, électrique ou sous forme de vapeur, pour faire tourner les pompes
Erreur technique, erreur de gouvernance, erreur d’estimation des risques
Les tenants du nucléaire tentent de piper le débat :
- en comparant les morts attribués au filières charbon versus nucléaire. Alors qu’on peut être certain qu’il y a aura moins de morts potentiellement dans les filières traditionnelles que ce qu’il peut y a voir dans le fut dans le nucléaire. On insiste sur le côté catastrophe industrielle pour nier la catastrophe environnementale.
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22/03/2011
Corinne LEPAGE sur ACTU-ENVIRONNEMT : Faiblesse des centrales nucléaires et secret
On peut faire n’importe quoi, au nom de l’indépendance énergétique !
Et si on y rajoute des arrières pensées militaires, c’est le brouillage le plus complet sur tous les sujets sensibles !http://www.actu-environnement.com/
Japon : la catastrophe nucléaire avait été prévue
Nucléaire : le secret défense renforce l'opacité complète de la filière française
Tandis que le « j’accuse » d’ex-cadres de l’atome japonais emplit de terreur au regard de la catastrophe toujours en cours, force est de constater que subsistent toujours en France, les conflits d'intérêts qui renforcent le déni de démocratie dans les choix énergétiques français.
Chronique | Gestion des risques | 21 Mars 2011 | Actu-Environnement.com
Corinne Lepage
Ancien Ministre de l'Environnement, Présidente de Cap21
Le « j'accuse » d'ex-cadres de l'atome japonais est terrifiant et sonne tellement « juste ».
Reconnaissant que l'ampleur du tremblement de terre comme celui du tsunami était bien supérieur aux scenarii envisagés à Fukushima, ces ingénieurs avouent que les canalisations étaient posées en surface et non enterrées, ce qui explique qu'elles aient été arrachées.
Ils ont accepté les plans de General Electric sans trop se préoccuper de leur adaptation à la géographie locale pour assurer l'indépendance énergétique du Japon. Mashashi Goto, ingénieur ayant travaillé à la construction de la centrale admet que les systèmes de pompes étaient destinés à éteindre des incendies mineurs, pas à refroidir les réacteurs.
Ces ingénieurs réunis dans un collectif font le procès de leurs négligences, de leur indifférence, de leur légèreté, mais surtout du système auquel ils ont appartenu.
Mais ils ont été contrôlés par le NISA, équivalent de notre ASN, par l'AIEA, par leur administration. Comment expliquer cet aveuglement collectif dans un pays où la culture du risque apparait si ancrée et les techniques si sophistiquées.
Ces ingénieurs ne supportent plus la culpabilité qui les ronge mais qu'en est-il de TEPCO et des organismes de contrôle ?
Ce type de comportement n'est-il pas en définitive inhérent au système nucléaire lui-même ?
En réalité, la consanguinité entre les contrôleurs et les contrôlés dans le système nucléaire n'exclut-il pas a priori un réel contrôle ? Ainsi, à titre d'exemple parmi des centaines, faut-il le rappeler, la réponse de Mr Repussard, Directeur Général de l'Institut de Radioprotection, répondant à une interrogation sur les risques de contamination dus aux dégagements nucléaires de la centrale de Fukushima pour la France, lors de son audition dans le cadre de la commission parlementaire du 16 Mars, ayant pour sujet la crise nucléaire Japonaise, fût la suivante : « Il n'y a pas plus de risques que durant la période des Essais Nucléaires ».
Conflits d'intérêts
Si on ne comprend pas que c'est bien la raison d'État qui est à l'origine du développement de l'énergie nucléaire civile (et bien sûr a fortiori militaire), on ne peut pas comprendre ce système hors du droit commun qui dispose de ses propres organismes, de son propre droit, de son propre contrôle.
Or, ce "j'accuse" japonais devrait résonner dans la société française comme un avertissement sans frais en ce qui nous concerne. En effet, nombre d'ingénieurs, y compris venus du nucléaire ont, au cours des années, souligné les faiblesses et les risques de nos installations.
Ils ont été évidemment poursuivis et mis sur la touche au bénéfice d'"experts" qui défendaient le nucléaire, y compris en occultant au passage le fait qu'ils étaient consultants pour les exploitants nucléaires eux même.
Grâce à Michèle Rivasi, nous disposons aujourd'hui en France de la CRII-RAD, qui est en capacité de donner des informations fiables sur la pollution radioactive. Grâce à Youri Bandajevsky, nous disposons dans le domaine médical d'un certain nombre d'informations fiables sur la réalité de la tragédie de Tchernobyl.
Mais, pour l'essentiel et en particulier pour l'information qui est donnée à nos concitoyens, nous sommes victimes d'une désinformation permanente qui dénie le risque et cache les fragilités. Bien évidemment, l'extension du secret défense à la quasi-totalité du domaine nucléaire n'a fait que renforcer une opacité complète qui exclut la réalité d'une information au sens propre du terme sur les centrales nucléaires françaises pour se limiter dans le meilleur des cas à une communication et dans le plus mauvais à une propagande.
Pour ma part, ayant vu de très près le dossier de Fessenheim, je suis scandalisée des risques pris par l'exploitant avec la bénédiction de l'autorité de sûreté. Le refus d'investir des sommes, qui auraient été nécessaires pour répondre aux normes de 2000, témoigne de la prise de risques de manière délibérée tant par le ministre que par l'exploitant et par l'autorité de sûreté.
Dès lors, si la France est un pays démocratique, si la presse fait son travail et en particulier croise les "informations" qui lui sont fournies par le lobby nucléaire et se pose les bonnes questions, alors, des bouleversements sont à attendre dans l'organisation même du contrôle des installations nucléaires.
À l'heure où le sujet des conflits d'intérêts est brûlant et public, ce sujet ne peut pas être exclu du débat sur le nucléaire. Simplement, il revêt une configuration très particulière dans la mesure où le lobby nucléaire a accrédité l'idée que son intérêt se confondait avec celui de l'État, qui se confondait avec celui des Français. C'est évidemment faux. Mais, partant de là, il ne peut y avoir conflits d'intérêts puisqu'il s'agit du même intérêt.
C'est la raison pour laquelle il est fondamental de bien distinguer l'intérêt de l'industrie du nucléaire, celui de la Défense Nationale (nucléaire militaire) et celui de tous les Français.
À partir du moment où ces séparations sont bien marquées, il devient alors possible et finalement assez simple de démontrer les conflits d'intérêt évidents entre ceux qui sont chargés de porter l'intérêt de la nation et ceux qui ne font que défendre un intérêt industriel, dont le profit est de plus en plus privé mais dont la nation française assume les risques technologique et financier.
C'est la raison pour laquelle il est indispensable d'ouvrir un très large débat pour bien déterminer ce dont nous parlons. Qu'est-ce qu'aujourd'hui le nucléaire en France ? Quels avantages économiques ? Combien d'emplois créés ? Combien d'impôts perçus ? Quels coûts collectifs ? Quels coûts financiers passés présents et futurs ? Quels impacts sur les autres activités économiques ? Quel coût sanitaire pour les populations exposées et pour les salariés, à commencer par les sous-traitants ? Quel coût pour le démantèlement ?
Autant de questions qui démontrent à l'évidence que l'intérêt des uns n'est pas nécessairement celui des autres et qu'en conséquence confondre intérêt général et intérêt du nucléaire, par les gouvernements successifs et nombre de parlementaires depuis près de 50 ans, est non seulement faux mais dangereux à bien des égards. Espérons que la raison sera suffisante pour ne plus perdre de temps avant de changer notre fusil d'épaule.
Des alternatives sont possibles, il suffit de les mettre en place.
Corinne LEPAGE, avocate, ancien Ministre de l'Environnement, Présidente de Cap21.
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04/07/2010
Démarches créatives & méthodiques pour élaborer les politiques publiques
Publication sur Internet ACTU.net :
Pour un design des politiques publiques (http://www.la27eregion.fr/)
Design et politique : voilà deux mots qui ressemblent à la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection. C’est pourtant ces deux termes qui fondent la 27e Région, ce laboratoire d’innovation publique lancé début 2008, avec le soutien de l’Association des régions de France, la Caisse des Dépôts, la Commission européenne, et incubée à la Fing. Ce sont aussi les deux termes qui composent le titre du livre que ce laboratoire vient de publier à la Documentation Française : Design des politiques publiques, ce qui consiste, comme l’explique le designer Romain Thévenet, chargé de mission dans ce laboratoire en avant-propos de l’ouvrage, à appliquer une démarche créative méthodique à la façon de faire de la politique. “Notre démarche consiste à imaginer une “conception” de l’action publique – au sens où l’entend l’innovation sociale, c’est à dire de repenser les systèmes “avec et pour les gens”.
A l’occasion de la parution du livre nous publions l’avant-propos signé Stéphane Vincent, directeur de ce laboratoire “de transformation publique” – rien de moins ! – qui revient sur le rôle et le sens de la 27e Région.
Que se passe t-il lorsque l’on crée un cadre expérimental au sein de l’action publique, un espace dans lequel il est permis d’essayer des choses différentes, sans que cela ne vous le soit reproché ? Une forme de “hacking” mené avec l’adhésion de l’acteur public et même son soutien actif !
Nous avons débuté à tâtons, tout d’abord en interrogeant des entrepreneurs sociaux et numériques, des designers, des collectifs d’intervention urbaine, des acteurs du développement local. Avec des élus et des agents de collectivités, nous sommes allés à la rencontre de l’innovation sociale britannique, et pour ne pas trahir notre culture latine, nous nous sommes penchés sur les nouvelles pratiques du design et de l’innovation sociale vues en Italie, en Espagne, en Amérique du Sud, et partout en France, du Massif central à l’Ile-de-France. Mais surtout, en collaboration avec les Régions et les communautés locales, nous avons testé de la façon la plus concrète possible des méthodes d’innovation sociale, sur des terrains allant du lycée à la maison de santé, et du village au quartier, à travers notre programme “Territoires en Résidences“. C’est du fruit de ces rencontres, de ces expériences et de nos analyses dont nous aimerions témoigner dans cet ouvrage.
Image : l’ouvrage lors de sa présentation au dernier Salon du Livre, par la 27e Région.
La crise du management public
Le point de départ de notre travail, c’est la crise qui touche, selon nous, le “nouveau management public”, ce mode de gestion inspiré du fonctionnement des entreprises du siècle dernier. Elus qui décident et votent des lois qui s’empilent, administrations qui exécutent et délivrent des services, usagers priés de les utiliser… Il y a dans ce modèle une lecture bancale de la modernisation, basée sur la fixation d’objectifs, l’externalisation à outrance, l’audit permanent. Elle génère de la souffrance chez les agents, organise le système en silos, détruit jour après jour les valeurs de solidarité, de partage, et toutes les formes d’ajustements qui existaient auparavant dans les services publics.Même l’OCDE constate que cette pensée a conduit à une dégradation de la qualité des services publics, ainsi qu’à un accroissement de l’inégalité d’accès à ces services (.pdf).
L’innovation vue par le nouveau management public est pour l’essentiel une vision comptable et techno-centrée : au risque de caricaturer, ’administration électronique a surtout permis de numériser des fonctionnements sans vraiment chercher à les renouveler… Vocabulaire bureaucratique, absence d’ergonomie démocratique, tout concourt à ce que la machine se replie sur elle-même. Au-delà des soubresauts de la modernisation administrative, le modèle politique et administratif français, né sous la Révolution et le Premier Empire, donne l’impression de ne s’être jamais véritablement transformé. La société peut bien enchaîner les tsunamis technologiques, géopolitiques et financiers, rien n’y fait ou presque : la matrice reste globalement la même.
Les institutions ont certes prévu des mécanismes d’ajustement, comme les dispositifs de démocratie participative, mais ce sont avant tout des créations de l’institution, conçues autour d’elle et non des individus. Au-delà des grands principes de citoyenneté et de démocratie active, dans la pratique, l’individu n’a qu’une valeur de consultation, jamais de construction.
On pourrait simplement s’en désoler, et même regretter que la démocratie en sorte vaguement affaiblie – ça va tellement plus mal ailleurs ! Le problème est que le système actuel n’est pas de taille à affronter les nouveaux défis sociaux, écologiques, énergétiques et technologiques. Le niveau de mobilisation, de souplesse, de dialogue, d’ouverture, d’apprentissage, de transversalité nécessaire est tel qu’à fonctionnement égal, il ne parviendra pas à faire face. Il faut donc imaginer, concevoir – “designer” en somme – autre chose…
L’individu en otage
Selon nous, le principal reproche à faire au “nouveau management public” est qu’il voit les individus comme des objets passifs, isolés, désincarnés – en aucun cas comme des sujets actifs, sociaux, sensibles, capables de prendre leur part à la production de l’intérêt général.
Les fonctionnaires eux-mêmes, pris au piège d’une obligation de réserve décidée au début des années 80, n’ont pas la capacité de contribuer quotidiennement à l’amélioration du système, en dehors des mouvements syndicaux.
Les français seraient-ils plus passifs qu’ailleurs ? Vraisemblablement pas, lorsque l’on observe la vigueur du bénévolat et du mouvement coopératif et associatif de proximité, y compris en période de crise. Le nouveau management public ne prend pas en compte toute cette énergie individuelle et collective. Bien entendu, il la soutient, la subventionne… mais il n’y voit presque jamais une source d’inspiration pour se transformer lui-même en profondeur.
Notre sentiment est que les choses fonctionnent mieux lorsqu’on y associe très étroitement les gens. Depuis l’internet, l’open source ou même Google, on sait qu’en leur fournissant un cadre et des outils facilitant, ils sont plus enclins à construire collectivement des réponses, y compris à grande échelle. Ceci ne veut pas dire que chaque individu doit participer tout le temps, ni pour tout et en toute circonstance ; mais que chacun peut être mis en capacité de proposer, de contribuer, de prendre part à l’élaboration de l’intérêt général. Changer notre regard sur les capacités des gens ne va pas tout bouleverser. Mais cela va libérer de nouvelles marges aujourd’hui cadenassées. Si une école se crée dans mon quartier, m’offre t-on la possibilité de prendre part à sa conception ? Si je suis retraité et que j’ai du temps libre, me propose t-on un cadre facilitant pour aider mes voisins ? Mon expertise du quotidien est-elle moins utile que celle des spécialistes ?
La méthode, un sujet politique
Bien entendu, mieux mobiliser les populations est un sujet important pour de nombreuses collectivités locales. Mais au cours de nos expériences, nous avons été frappés de voir à quel point elles étaient, en général, peu en mesure d’y répondre.
Dans toutes les grandes organisations, des centres de recherche & développement orientent tous leurs travaux autour des utilisateurs : ils les associent à l’amélioration de leur propre fonctionnement, au prototypage de nouveaux services et à des expérimentations. Lorsque cette fonction n’est pas incarnée par un bureau spécifique au sein de l’entreprise, il s’agit au minimum d’une démarche qui irrigue l’organisation.
A contrario, presque aucune administration ou collectivité ne s’est dotée d’une telle démarche, de la Commission européenne jusqu’aux municipalités. Comme si la mise en oeuvre des politiques publiques devrait être un acte magique, capable de se réajuster tout seul, sans passer par des phases d’expérimentation ni de regard critique. Et plus qu’ailleurs, la recherche est soigneusement tenue à distance de la pratique.
Très peu d’élus occupent des mandats dans ce domaine, comme si la question de la méthode et des modes opératoires de l’action publique était perçue comme un sujet d’intendance.
Le temps et l’espace pour la réflexion critique ne sont pas disponibles : c’est la dictature du “nez dans le guidon”. Pourtant, il y a bien dans chaque méthode, implicite ou explicite, un élément de différenciation politique majeur, et à l’avenir, il nous paraît essentiel de changer le regard des élus sur cette dimension, d’anoblir les questions méthodologiques à leurs yeux.
Pour un design des politiques publiques
Comment tendre vers une forme de co-conception de l’action publique ? Inutile de chercher dans cet ouvrage la liste de tous les chantiers à lancer pour y parvenir, en particulier sur le plan politique, législatif et même constitutionnel… le terrain de jeu de la 27e Région est plus naturellement celui des méthodes, des outils, des stratégies, des stratagèmes, et de toutes les formes d’ingénieries qui permettent de favoriser l’innovation sociale et de mobiliser la créativité des populations.
Dans cette première édition, nous avons voulu montrer qu’aujourd’hui, cette vision nouvelle transcende les disciplines. De façon visible et sans qu’ils en aient toujours conscience, un trait d’union rassemble ces designers, architectes, urbanistes, artistes, sociologues, entrepreneurs, innovateurs numériques, responsables associatifs, fonctionnaires et agents dont les réalisations sont décrites dans cet ouvrage : la plupart sont en dissidence avec les doctrines de leur profession d’origine.
Ils ne croient pas à une forme d’expertise supérieure, en surplomb des gens, mais à la pédagogie et à l’émancipation des individus. Leur credo est celui de l’innovation sociale, l’innovation “par les gens et pour les gens”.
Stéphane Vincent, directeur de la 27e Région.
Cette première édition, dont la rédaction a été coordonnée par Anne Daubrée, a été conçue comme un livre-outil, avec des entrées multiples. Il y est décrit l’application de ces méthodes dans six thèmes, qui regroupent les expériences que nous avons menées, ou que nous avons identifiées en France et dans le monde. Ces thèmes, sans ordre de priorité, sont l’éducation, la prospective territoriale, l’isolement rural, les technologies relationnelles, la modernisation administrative et les enjeux énergétiques. Chacun d’eux débute par la description d’un des projets que nous avons menés dans le cadre du programme Territoires en Résidences, puis se poursuit par d’autres réalisations et d’autres méthodes – une trentaine au total et dont les auteurs sont présentés en fin d’ouvrage. En conclusion de chaque partie, nous proposons quelques enseignements, à portée tactique, stratégique ou plus politique. Pour enrichir cette succession de cas, nous les avons entrecoupé d’interviews réalisées en exclusivité auprès de six personnalités : Il s’agit de François Taddei, Catherine Fieschi, Charles Leadbeater, Bernard Stiegler, Marjorie Jouen, et Patrick Viveret. En fin d’ouvrage, « les mots du design des politiques publiques » est une tentative de dessiner les contours d’un univers, fait des valeurs, des outils, des disciplines dont la maîtrise nous semble essentielle aujourd’hui.
Bonne lecture, et bienvenue dans le laboratoire de la 27e Région !
Le bilan 2009 de la 27e Région
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