27/01/2017
Télérama - Palantir, l'encombrant ami américain du renseignement français
http://www.telerama.fr/medias/palantir-big-data-renseigne...
Lecture complémentaire :" La confidentialité en ligne pour les journalistes"
(Merci à Jackie pour ce lien)
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Publié le 27/01/2017.
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La start-up numéro un du big data poursuit son irrésistible ascension. Son co-fondateur, Peter Thiel, est aujourd'hui conseiller numérique de Donald Trump. Quant à sa filiale française, elle vient de signer un contrat de 10 millions d'euros avec la DGSI.
Dans Le Seigneur des anneaux de Tolkien, le palantir est une pierre magique qui permet de voir partout, tout le temps. Une boule de cristal elfique qui offre un pouvoir considérable. Dans le monde des hommes, Palantir est une entreprise qui ambitionne de voir partout, tout le temps. C’est l’une des « licornes » de l’économie numérique, valorisée à 20 milliards de dollars. Juste derrière Uber et Airbnb. Devant Snapchat. Pourtant, son nom n’évoquera rien chez les profanes. Comme ses petits camarades de l’économie californienne, Palantir veut changer le monde. A quelque détails près. Palantir ne conçoit pas de produits vernis de cool destinés au plus grand nombre. Palantir ne vous inonde pas de notifications push. Palantir ne se répand pas dans la presse. Palantir rechigne à être introduit en bourse. Pour faire simple, Palantir veut voir sans être vu.
Sentinelle d'une Amérique traumatisée
Créée en 2004, la start-up est un leader de l’analyse des données, qu’elle croise, compare et « crunche » à l’aide de ses logiciels phares, Gotham et Metropolis. C’est la Rolls-Royce du big data, ce terme à la mode des prospecteurs en pétrole immatériel. Elle a été cofondée par Peter Thiel, grand argentier de la Silicon Valley, désormais conseiller numérique de Donald Trump. Son premier investisseur ? In-Q-Tel, le fonds d’investissement de la CIA. Dans l’Amérique traumatisée de l’après-11 septembre, Palantir promet de mouliner des gigaoctets de données afin d’anticiper les menaces. Et, pourquoi pas, prédire l’avenir. Aux Etats-Unis, dans un pays qui compte pas moins de dix-sept agences de renseignement et une myriade d'agences fédérales, le marché s’ouvre aussi sûrement que la mer Rouge : de la NSA aux services de police de Los Angeles, les contrats pleuvent.
Pour faire étalage de leurs capacités, les « Palantirians », comme ils se nomment entre eux, offrent des démonstrations grandeur nature. En 2007, une ONG utilise une de leurs solutions maison pour enquêter sur la mort du journaliste Daniel Pearl, exécuté au Pakistan cinq ans plus tôt. Une visualisation plus tard, les vingt-sept individus impliqués dans son enlèvement apparaissent sur un écran. Le rôle de chacun d’entre eux y est détaillé, tout comme ses liens avec les autres. Plus besoin de punaiser des photos floues sur un tableau en liège avec la fébrilité d’une Carrie Mathison : Palantir prend les choses en main. Comme toute grande religion, la nébuleuse entreprise possède ses mythes fondateurs. Le plus connu ? Elle aurait aidé à la traque et à l’élimination d’Oussama Ben Laden. Une rumeur jamais confirmée, jamais infirmée non plus, qui lui garantit une place de choix à la droite du pouvoir régalien.
A la table de Trump
Au fil des ans, la petite start-up devient le plus gros propriétaire terrien de Palo Alto, juste derrière le campus de Stanford, dont le département de sciences informatiques est l’un de ses plus gros pourvoyeurs en méninges. Surtout, elle s’ouvre au secteur privé en lui faisant la danse du ventre : identifiez les menaces internes, optimisez vos résultats, ayez un coup d’avance sur la concurrence. En 2010, elle signe un juteux contrat avec son premier client commercial, la puissante banque JPMorgan. D’autres multinationales suivront, de Coca-Cola à BP. En mai 2016, une enquête de BuzzFeed révèle – documents à l’appui – la santé financière pas si florissante d’une entreprise minée par les départs et les défections de gros comptes dubitatifs. Qu’importe : Palantir continue d’avoir la côte. En six ans, l’entreprise a amassé pour 340 millions de dollars de contrats avec les autorités américaines. Alex Karp, son excentrique patron, est devenu un habitué du forum économique de Davos. Depuis 2011, il a également son rond de serviette aux réunions du groupe Bilderberg, à l’invitation d’Henri de Castries, encore P-DG d’Axa. Un client de… Palantir. Nom de code : Asterix.
Si Peter Thiel ne se départit jamais de son air compassé, sanglé dans des costumes impeccables qu’il préfère à rayures, Karp est sa parfaite antithèse. Avec ses bouclettes hirsutes et ses vêtements techniques fluo, on l’imagine mieux bivouaquer sur l’Everest que diriger la compagnie chérie des espions. Pourtant, les deux milliardaires se ressemblent à bien des égards. Ils sont nés à neuf jours d'écart, en octobre 1967. Ce sont tous les deux des érudits : Thiel est un spécialiste de la théorie mimétique de René Girard ; Karp a été l’élève de Jürgen Habermas à Francfort. Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’université de Stanford et partagent la même vision libertarienne et messianique du monde. Seuls leurs expédients diffèrent : la politique pour Thiel, fervent partisan de l’indépendance de la Californie ; Palantir pour Karp, qui voue sa vie et plus encore à l’entreprise qu’il dirige. En 2013, Forbes dressait le portrait halluciné d’un zigoto qui pourrait être le cousin new age d’Emmett Brown, le professeur foldingue de Retour vers le futur. Suivi comme son ombre par un malabar chargé d’assurer sa sécurité, l’éternel célibataire « s’adresse à ses ouailles à l’aide d’un chaîne vidéo interne appelée KarpTube, où il parle aussi bien d’avidité que d’intégrité ou de marxisme ». Dans son bureau, vingt paires identiques de lunettes de piscine et des kilos de vitamines. « Les seuls moments où je ne pense pas à Palantir, c’est lorsque je nage, que je pratique le qi gong ou que je fais l’amour », concluait celui qui se définit lui-même comme un « déviant », avec un sens évident de la formule.
Les habitudes de moine-soldat finissent par payer. Mi-décembre, Karp était autour de la table à la Trump Tower, quand le président fraîchement élu a reçu le gotha de la « tech ». Bien calé entre Brian Krzanich, le patron d’Intel, et Eric Schmidt, président exécutif d’Alphabet, la holding qui chapeaute Google. A quelques mètres de lui, Peter Thiel avait hérité d’une place privilégiée à la gauche de Trump. La position du souffleur. Deux Palantirians à la sauterie numérique du nouveau locataire de la Maison blanche. Un luxe. Sûrement pas un hasard. Selon The Intercept, Palantir pourrait être l’un des grands bénéficiaires de la nouvelle donne politique outre-Atlantique : depuis 2011, l’entreprise épaule les douanes américaines. A ce titre, elle pourrait être l’instrument de l’expulsion des Mexicains sans-papiers que Trump a promis de chasser du territoire. Et ce n’est pas le seul front. Alors que la future administration rêve à voix haute d’un fichier des musulmans, Alex Karp a récemment été obligé de sortir du bois. « Si on nous le demandait, nous refuserions », a-t-il juré la main sur le coeur.
“Un tel niveau de secret est toxique”
Ainsi va le quotidien de Palantir, piégé entre deux injonctions contradictoires : le bon et le mauvais flic. Sur son site, l’entreprise met en avant ses initiatives philanthropiques. Elle explique comment elle a aidé les secours pendant l’ouragan Sandy, pourquoi il faut améliorer le système de santé avec une analyse plus fine des données, et détaille les moyens qu’elle compte mettre en œuvre pour résoudre la crise humanitaire syrienne en cartographiant l’augmentation du prix du pain afin d’identifier les zones de famine potentielles. Rien que du très louable. Mais la start-up se fait beaucoup plus discrète dès qu’il s’agit d’évoquer ses clients institutionnels. Malgré nos sollicitations, nous n’avons jamais obtenu la moindre réponse. Seul Chris Hoofnagle a accepté de nous parler. Professeur de droit à l’université de Berkeley, il siège au Palantir Council of Advisors on Privacy and Civil Liberties (PCAP), un comité d’éthique installé en 2012. « A la différence d’autres entreprises travaillant avec les autorités, Palantir n’a pas attendu qu’on lui demande pour mettre au point des garde-fous, démine-t-il. C’est l’une des rares entreprises à promouvoir la “privacy by design”, c’est à dire le respect de la vie privée dans la conception même des outils. Elle en souffre et prend des coups pour ses concurrents, qui restent muets sur le sujet ». L’échange est intéressant, mais au détour d’un email, Hoofnagle glisse une information utile : il est rémunéré par Palantir pour siéger dans ce comité. Ici, tout est contrôlé, même les bons sentiments.
De quoi faire pester Edin Omanovic, spécialiste des technologies de surveillance pour l’ONG Privacy International, et auteur d'un rapport sur ceux qui les commercialisent. « Palantir est le meilleur avatar de cette nouvelle race d’entreprises qui veulent tirer profit du tour de vis sécuritaire, estime-t-il. Elles prospèrent grâce aux données et à l’information, mais ne veulent rien dire d’elles ou de leurs clients. Un tel niveau de secret est toxique, quel que soit le secteur d’activité. Comment savoir s’il y a des abus ? Comment savoir quelles données sont exploitées, et comment ? Comment savoir si c’est efficace ? Ces questions sont légitimes mais il est impossible d’y répondre. »
« Palantir a pour principe de ne pas répondre à la presse, pour ne pas alimenter davantage les fantasmes, confie encore un haut fonctionnaire qui les connaît bien. Ils ont une culture d’entreprise très différente des prestataires informatiques traditionnels ». Le siège californien de l’entreprise est peut-être surnommé « The Shire » (La Comté, encore un hommage à Tolkien), les conditions de travail sont loin d’être souples. Si vous passez à travers le tamis des six entretiens d’embauche, attendez-vous à des clauses de confidentialité drastiques. « En interne, c’est une véritable muraille de Chine », précise notre source, qui parle de personnels « pétrifiés par le secret défense » et d’ordinateurs « ultra-verrouillés ». Quand on lui demande quelques mots au sujet de son ancien employeur sur un chat sécurisé, un ingénieur répond du tac-au-tac : « Je n’ai rien à vous dire. Bonne chance pour votre article ».
Un contrat à 10 millions d'euros avec la DGSI
En mars 2015, quelques semaines après l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, Palantir a ouvert une filiale française, sur la très chic avenue Hoche, à quelques centaines de mètres de l'Arc de Triomphe. En toute discrétion, comme à son habitude. Après des mois de démarchages et de tractations, la firme américaine a trouvé un accord avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Selon nos informations, recueillies auprès de plusieurs sources au sein des services de renseignement, le contrat aurait été signé à l’été 2016. Montant estimé : 10 millions d’euros. 5% du budget de la DGSI. Auditionné par la commission défense de l’Assemblée nationale en mai dernier, Patrick Calvar, son patron, balisait le terrain en invoquant l’urgence : « Nous ne manquons pas de données ni de métadonnées, mais nous manquons de systèmes pour les analyser [...] Les entreprises françaises qui [les] développent ne sont pas encore capables de répondre à nos besoins, alors que nous devons acquérir ce big data immédiatement. Nos camarades européens sont dans la même situation. Le choix n’a pas encore été fait mais, en tout état de cause, la solution sera temporaire. »
L’appel d’offres, classifié, n’a pas été rendu public, mais plusieurs entreprises, françaises et étrangères, start-ups et multinationales, y ont répondu. Thalès aurait pu obtenir le marché, mais la toute nouvelle plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), est un fiasco doublé d’une très mauvaise publicité. « C’est leur EPR », glisse même avec dépit un membre des services. Alors que la loi renseignement de 2015 a sanctuarisé la souveraineté du renseignement, comment le loup Palantir est-il entré dans la bergerie ? Dans les secousses de l’affaire Snowden, Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale (et pas encore Garde des Sceaux), s’était ému de la curiosité maladive de la NSA : « Les Etats-Unis n’ont pas d’alliés, ils n’ont que des cibles ou des vassaux ». Pas de quoi empêcher le renseignement intérieur français de convoler en justes noces avec le meilleur ami des services américains. Ni tout à fait prestataire technique, ni complètement cabinet de consulting, Palantir a surtout vendu une belle promesse aux services de renseignement français : interconnecter les données collectées par les deux services dits du premier cercle (DGSE et DGSI, ndlr), faciliter leur exploitation et gérer le SAV. Afin de former les agents, des Palantirians sont en train d’être recrutés et déployés à Levallois, tandis qu’un expert venu de la DGSE est chargé d’auditer le nouveau système pour débusquer la moindre porte dérobée.
« C’est juste un prestataire. C’est comme acheter une version personnalisée de Windows 95 », tente de justifier un ancien cadre du renseignement intérieur. « La police est dans le bricolage, la réaction aux événements, au contraire de la DGSE, qui s’équipe depuis 2009. Pour moderniser et professionnaliser les outils, la DGSI a lancé trois plans de recrutement de contractuels. Ce qui la tuait, c’est qu’elle n’avait pas conscience de l’évolution technique. Il y a dix ans, les agents épluchaient encore des fadettes au stabilo. Maintenant que nous collectons en masse les métadonnées sur le territoire national, les entrepôts de données dormantes sont bien plus importants qu’avant et nous avons besoin d’outils pour les traiter. Le défi d’un service de renseignement aujourd’hui, c’est de croiser et d’exploiter du renseignement humain, des sources techniques, pour intervenir le plus en amont possible de la menace ».
Les boîtes noires rêvent-elles de moutons électriques ?
Capable de traquer des marchands de sommeil en analysant la consommation excessive d’eau dans un immeuble, Palantir pourrait matérialiser les rêves mouillés des services. En trente ans, le code pénal a vu apparaître l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste puis, en 2014, le délit d’entreprise terroriste individuelle. L’heure est à l’infiniment petit, et la doctrine privilégie les « signaux faibles » : une vidéo YouTube de l’Etat islamique, une amitié encombrante sur Facebook, un crédit à la consommation suspect. Pour les traquer, la loi renseignement a acté la création de « boîtes noires », soit des outils de détection algorithmique jetés comme des filets dérivants sur les réseaux des opérateurs télécom français. Ceux-ci ne pourront pas intercepter le contenu mais ils captureront les métadonnées. Selon la CNCTR, le gendarme du renseignement, ce dispositif expérimental devrait être déployé au printemps. Fin juillet, la commission de contrôle a transmis à Matignon une délibération classifiée sur son architecture, afin de clarifier les modalités d’accès et de stockage des données. C’est le GIC, le groupement interministériel de contrôle, basé aux Invalides, qui devrait s'occuper de gérer le péage.
« Attention, rendre les réseaux intelligents, c’est menacer les libertés », avertit un expert technique qui a longtemps roulé sa bosse chez un fournisseur d’accès hexagonal. Et si la conception de l’algorithme est la prérogative exclusive des services de l’Etat, Palantir pourrait agir comme un révélateur. « Le logiciel n’est pas une science occulte », pondère un développeur qui a récemment quitté l’entreprise. « C’est une solution utile pour donner du sens à des données disparates, mais il n’y a pas de bouton magique pour trouver les terroristes. Quiconque espérant le contraire sera invariablement déçu. Au bout du compte, les solutions de Palantir s’appuient sur des décisions humaines ». A l’instar d’un opérateur pilotant un drone Predator à des milliers de kilomètres de sa cible, un analyste des services devra-t-il demain, après-demain, évaluer une menace suggérée par une machine ? Interrogé sur les risques de dérapage d’un tel système, notre ancien cadre du renseignement s’en remet à l’expérience et à la perspicacité des agents : « A l’enquêteur de faire le tri ». En statistique, on appelle ça le risque de faux positif. Dans le monde réel, c’est l’arbitraire et l’abus de pouvoir. Risque-t-on de voir une douzaine de CRS casqués perquisitionner le domicile d’un innocent qui aura déclenché l’alarme à son corps défendant ? Sous un état d’urgence prolongé, alors qu’on punit désormais de prison ferme la simple consultation de « sites terroristes », la question se pose plus que jamais. Pas sûr que Palantir offre davantage de réponses.
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25/01/2017
Les nouveaux business de la longévité
Par Florence Pinaud | 25/01/2017, 7:28 | 2475 mots
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/chi...
L'Italienne Emma Morano, qui a fêté ses 117 ans le 29 novembre 2016 (photo), est l'actuelle doyenne de l'humanité. Elle est à ce jour la dernière personne vivante née avant 1900. Le record de longévité est détenue par la Française Jeanne Calment (1875-1997) : 122 ans. (Crédits : Reuters)L'immortalité a longtemps été considérée comme un sujet ringard. Mais, parce que le vieillissement est la cause de nombreuses pathologies qui coûtent très cher, le sujet, qui est en train de devenir une question de santé publique, est pris de plus en plus au sérieux par les milieux de la recherche scientifique.
- LES FAITS
Des chercheurs américains viennent d'inverser le vieillissement de souris par thérapie génique, et le premier essai clinique pour mesurer les effets contre le vieillissement d'un médicament antidiabétique ouvre la voie à une nouvelle approche médicale. De plus en plus d'équipes travaillent désormais sur la sénescence, avec le soutien des mouvements transhumanistes de la Silicon Valley.
- LES ENJEUX
Les pilules de jouvence devraient arriver sur le marché d'ici à dix ans, mais les prometteuses thérapies cellulaires et géniques se feront encore attendre. Et comme elles vont coûter cher, il faudra bien leur trouver un modèle économique.
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Un antidiabétique en guise de pilule de jouvence, une transfusion de sang jeune pour régénérer l'organisme et des chromosomes plus longs pour durer plus longtemps... Les recherches pour ralentir le vieillissement commencent à aboutir. En décembre dernier, des chercheurs du Salk Institute de San Diego ont inversé le processus de vieillissement de souris par manipulation génétique. Cette année, l'autorité de santé américaine a permis la première étude clinique d'une molécule pour lutter non contre une maladie, mais contre notre obsolescence programmée. Menée sur 3.000 patients de 70 ans à 80 ans en bonne santé, l'étude mesure l'effet de la metformine sur leur vieillissement et leur longévité. Après avoir constaté que les patients diabétiques traités par cette molécule vivaient 15% de plus que les non-diabétiques, les chercheurs misent beaucoup sur ce traitement.
Alors qu'il a longtemps été considéré comme un sujet ringard, le vieillissement est de plus en plus pris au sérieux dans les milieux de la recherche scientifique. Si les chercheurs européens refusent d'être associés à des rêves d'immortalité, ils reconnaissent que ce qu'on a longtemps considéré comme l'usure du corps est un phénomène complexe. En France, les membres de la communauté scientifique ont pris conscience de son intérêt, à l'instar de Jean-Marc Lemaître, directeur de recherche à l'Inserm, basé à Montpellier :
"Aujourd'hui, plusieurs équipes travaillent sur la sénescence avec des crédits publics. On sait que ce phénomène déclenche de nombreuses pathologies liées à l'âge, qu'on a du mal à soigner. Avec une population plus âgée, cette sénescence est devenue un véritable problème de santé publique, avec des coûts élevés."
Régénérer le sang des sujets âgés
Dans la course à la longévité, différentes pistes se côtoient. La première sera sans doute la plus rapidement accessible sur le marché : les petites molécules pharma. Certaines existent déjà, comme la metformine, commercialisée sous le nom de Glucophage pour les diabétiques de type II. C'est également le cas de la rapamycine, une molécule issue d'une bactérie découverte sur l'île de Pâques. Commercialisée par Pfizer, contre les rejets de greffe, elle semble également améliorer la longévité des chiens sur lesquels elle a été testée. Mais ses effets secondaires sont encore gênants.
Une autre molécule prometteuse pourrait améliorer la longévité. À son origine, un simple constat : les souris âgées transfusées avec du sang de jeunes rongeurs voient leur organisme régénéré. Le Harvard Institute a isolé la molécule GDF11 présente dans le sang des jeunes souris et qui réduit le nombre de cellules sénescentes chez les plus âgées. Pour Jean-Marc Lemaître, ce type de molécule fera sans doute l'objet du premier médicament anti-âge, dans les prochaines années.
Le risque de traitements hors règlementation (et hors de prix)
Autre médecine régénérative qui fait rêver les transhumanistes, la thérapie cellulaire et les cellules-souches embryonnaires. Déjà, certaines cliniques privées des États-Unis, du Mexique, de Chine ou du Kazakhstan proposent des thérapies aux cellules souches pour restaurer des fonctions vitales abîmées, technique vantée par quelques sportifs américains célèbres.
Si ces traitements hors réglementation coûtent plus de 40.000 dollars, les premiers accidents médicaux commencent à être médiatisés : certains patients développent des tumeurs. Car la thérapie cellulaire est une pratique nouvelle qui nécessite beaucoup de garanties. Les cellules injectées peuvent être les propres cellules-souches du patient, multipliées avant d'être réinjectées. Mais aussi des cellules-souches embryonnaires, prélevées sur des embryons issus d'avortements. Qu'elles soient natives ou embryonnaires, ces cellules nécessitent un traitement spécifique pour savoir se multiplier efficacement sans former des tumeurs. La FDA (Food and Drug Administration) conseille aux patients de s'assurer de la qualité des cellules qui leur sont injectées...
Compétition internationale
En Europe, différentes startups développent des traitements cellulaires pour régénérer des lésions dues à des maladies ou à des accidents. Les projets les plus avancés traitent des maladies neurologiques et ophtalmiques, comme celui de la biotech américaine Ocata Therapeutics qui réduit l'impact de la DMLA sur la rétine avec des cellules-souches embryonnaires.
C'est aussi le cas du pionnier français, l'institut de recherche I-Stem (80 salariés), créé en 2005. Basé sur le Genopole, il développe deux thérapies cellulaires dans le cadre de la rétinite pigmentaire et pour restaurer les ulcères de la peau issus de la drépanocytose (maladie génétique de l'hémoglobine).
« Aujourd'hui, les cellules-souches embryonnaires atteignent le domaine clinique dans différentes applications, se réjouit son directeur Marc Peschanski. Avant d'être injectées, ces cellules sont traitées pour s'adapter au mieux à la fonction vitale dans laquelle elles vont devoir se spécialiser. » En Belgique, la biotech Celyad (85 salariés) a testé un traitement issu de la Mayo Clinic, pour réduire les risques d'insuffisance cardiaque, avec des cellules-souches, mais sans grand succès à l'issue de l'essai clinique phase 3. À Mulhouse, la startup CellProthera (20 salariés) est une pionnière de la thérapie cellulaire. Créée en 2008 autour de ses découvertes sur les cellules-souches sanguines, elle travaille également sur la régénération des muscles cardiaques après infarctus. Avec un essai clinique en phase 2, elle voit son traitement sur le marché occidental en 2020. « Mais Singapour, qui cherche à développer une plateforme d'innovations médicales de pointe, pourrait accélérer le mouvement, précise Philippe Henon, président et directeur scientifique. Le pays nous a proposé d'ouvrir une filiale chez eux et si nos essais de phase 2 sont concluants, les autorités locales pourraient labelliser le traitement pour toute l'Asie du Sud-Est dès 2018. »
En route pour le "Meilleur des mondes" ?
Si la thérapie cellulaire a longtemps promis une vraie révolution, les résultats se font encore attendre. Mais la découverte des cellules IPS - c'est-à-dire rajeunies et transformées en cellules-souches par manipulation génétique - pourrait accélérer le mouvement. « Ce type de thérapie a l'avantage de pouvoir soigner des maladies multifactorielles dont on ne comprenait pas les causes ou dont on ne savait traiter qu'une des causes possibles à la fois, explique Elsy Boglioli, directrice associée au Boston Consulting Group. Avec elles, on pourra réparer les dégâts de manière globale. » Autre piste prometteuse, la thérapie génique s'attaque à de nombreuses maladies de l'âge. L'inventeur même du mot « transhumanisme » n'était-il pas le généticien américain Julian Huxley, frère de l'écrivain de S.F. Aldous Huxley (auteur de Brave New World, « Le Meilleur des mondes »), et promoteur d'un eugénisme démocratique ? Si l'on n'a pas encore identifié les gènes de la longévité, une formule de thérapie génique de jouvence vient d'être testée sur la présidente de la biotech américaine BioViva (voir encadré).
Comme les thérapies cellulaires, ces traitements sont réalisés sur mesure et en période de maîtrise des dépenses de santé, difficile de se montrer très optimiste sur les modalités de prise en charge. « Contrairement aux traitements pharma habituels destinés à tous les patients, nous créons un lot par personne, précise Christian Homsy, de Celyad. Cela revient forcément plus cher et ce coût nécessite des résultats thérapeutiques bien meilleurs pour être justifié. » Pour mesurer leur intérêt économique, de nombreux transhumanistes font valoir que ces innovations retardent l'apparition de complications et de maladies coûteuses. Certes. Mais même si elles arrivent plus tard, ces maladies de l'âge pèseront quand même lourd dans l'enveloppe de soins.
À moins que la période dite « de morbidité » - durant laquelle un patient accumule les problèmes de santé jusqu'à son décès - soit considérablement raccourcie par ce type de thérapie. Et que l'allongement de vie finisse par réduire la facture des maladies liées à l'âge.
Flots de questions éthiques autour de l'humain augmenté
Reste que, dans cette course à l'innovation génétique, les questions d'éthique se posent de plus en plus sérieusement (voir pages suivantes). Et ce n'est pas un mince obstacle. Car lorsque les chercheurs commencent à manipuler l'ADN d'embryons, il y a de quoi s'inquiéter de voir apparaître une nouvelle race d'humains génétiquement modifiés. Surtout quand des fondations privées sont financées par les magnats de la Silicon Valley, comme Methuselah (Mathusalem) sponsorisée par Peter Thiel, fondateur de PayPal, difficile de vérifier ce qui s'y passe. Pour le spécialiste de ces technologies médicales innovantes, Laurent Alexandre (auteur du livre La Mort de la mort), on est encore loin de la médecine transhumaniste qui veut améliorer l'espèce humaine. « Aujourd'hui, les thérapies cellulaires comme les thérapies géniques visent à soigner les patients, pas à les perfectionner, rappelle le président de DNA Vision (actionnaire minoritaire de La Tribune). Il va nous falloir des années d'études pour voir si ces nouveaux traitements allongent vraiment l'espérance de vie sans effets secondaires graves. Mais il n'est pas exclu que d'ici à quelques années, les autorités de tutelle n'acceptent que l'on délivre des molécules comme la metformine à des bien portants pour améliorer leur longévité. Ce serait un phénomène très nouveau dans le monde médical. » Alors que l'espérance de vie des Français est de 82 ans, la course à la très longue longévité, vivre cent ans, reste cependant un mât de cocagne lointain. Pour l'heure, à en croire la majorité de ses promoteurs, il s'agit simplement de gagner des années de vie « en bonne santé » pour que l'opération ait un intérêt. Et d'ailleurs, les transhumanistes reconnaissent que le pari de l'éternité est encore loin d'être gagné.
Pourtant, cela n'empêche pas certains d'y croire et de s'intéresser à la cryogénisation, technique qui consiste à plonger les personnes décédées dans un bain d'azote liquide pour conserver leur organisme en attendant que la science sache les guérir avant de les réanimer dans vingt ans, ou dans deux siècles. Plus de 300 corps sont ainsi conservés par trois entreprises : Alcor et Cryonics Institute aux États-Unis, et par le russe KrioRus. Suivant le service (seulement la tête, ou tout le corps !), les tarifs oscillent entre 25.000 et 190.000 euros. Une pratique illégale en France et totalement interdite avant la mort, puisqu'elle reviendrait à tuer. Mais pour la première fois en novembre dernier, la justice britannique a autorisé la cryogénisation d'une adolescente de 14 ans souffrant d'un cancer en phase terminale, avant son décès. C'était sa dernière volonté, dans l'espoir d'être guérie un jour.
Par Florence Pinaud
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REPERES
- 10 milliards d'euros, c'est le marché des thérapies géniques en 2018, selon différents cabinets d'études, tels que BDC. Mais le chiffre semble surévalué.
- 122 ans, telle est la plus grande longévité humaine, atteinte par Jeanne Calment. Aujourd'hui, les doyennes de l'humanité sont une Américaine et une Italienne de 116 ans.
- 500 ans ? « Si vous me demandez aujourd'hui s'il est possible de vivre jusqu'à
- 500 ans, la réponse est oui », a affirmé en janvier 2016 Bill Maris, à la tête de Google Ventures, la branche de capital-risque de la firme.
- 70.000 euros, c'est le prix de la prothèse de bras bionique - soit directement connectée sur les nerfs - fournie au jeune Anglais James Young, en 2012. En France, les développements de prothèses nouvelle génération sont les rétines artificielles réalisées par Pixium Vision, et l'exosquelette « mains libres », développé par Wandercraft.
- 36 % des actifs de Google Ventures ont été investis dans de jeunes sociétés relevant des sciences de la vie, en 2014. Contre seulement 6% en 2013. F. P.
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ENCADRE
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BioViva "rallonge les chromosomes" pour contrer le vieillissement
CEO de la startup américaine BioViva, Elizabeth Parrish est la « patiente zéro » de la jeune biotech. En septembre 2015, cette entrepreneure de 44 ans a testé deux thérapies géniques expérimentales conçues par sa société.
La première vise à limiter la perte de masse musculaire. La seconde consiste à rallonger les télomères, c'est-à-dire les extrémités des chromosomes par « télomérase », car le raccourcissement des télomères implique le vieillissement cellulaire.
Après son intervention, l'ADN des globules blancs d'Elizabeth Parrish avait allongé d'une taille équivalant à une vingtaine d'années. Depuis ses deux interventions, la patiente zéro est sous surveillance et affirme se sentir en forme. Robert Powles, chef de projet chez BioViva, se montre confiant :
« L'induction de télomérase testée sur des souris améliore leur longévité de 24%, ainsi que leur santé. Nous pensons qu'elle aura les mêmes effets bénéfiques sur les humains. Si les effets de l'inhibition de la myostatine pour limiter les pertes musculaires sont déjà visibles sur Elizabeth Parrish, ceux de la télomérase ne pourront pas être observés avant un bon moment. Il faudra attendre quelques années pour comparer son état de santé à celui d'autres personnes du même âge. » Aujourd'hui, BioViva prépare le lancement d'un essai clinique plus large sur une série de patients sains. Les volontaires ne manquent pas, affirme la biotech basée à Bainbridge Island (Washington). F. P.
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>>Cet article a d'abord été publié dans La Tribune Hebdo n°196 titrée "Vivre 100 ans et plus... en bonne santé ?" et datée du jeudi 19 janvier 2017, jour de distribution de l'édition papier en kiosque et de diffusion de l'édition numérique (pdf).
> Lire les autres articles du n°196 sur le site latribune.fr
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11/01/2017
Nietzsche
On refusera longtemps à Nietzsche la qualité de philosophe, en alléguant ses contradictions, son style poétique et aphoristique. On invoqua sa maladie et l'effondrement final dans la folie pour classer ses écrits au nombre des documents pathologiques. L'œuvre de Nietzsche fut défigurée par la propagande nazie. On pourrait allonger la liste des interprétations aberrantes.
Mais l'essentiel est que, par l'influence qu'il exerça sur les esprits de l'époque, l'autorité philosophique de Nietzsche se soit universellement imposée au point que Nietzsche est reconnu aujourd'hui pour l'un des génies qui ont modelé le visage du XX° s.
Sommaire
Les sources de sa pensée.
La vie de Nietzsche
Apport conceptuel.
Principales œuvres.
Les sources de sa pensée.
Parmi les sources de la pensée de Nietzsche, on citera les penseurs présocratiques et en particulier Héraclite, ainsi que le stoïcisme (avec le concept d'éternel retour).
Schopenhauer l'influencera aussi mais il le rejettera ensuite, tout comme Wagner qu'il rejettera à partir de 1875.La vie de Nietzsche
Plus que pour tout autre philosophe une biographie de Nietzsche s'impose.
Dans Par delà le bien et le mal, il écrit : " J'ai peu à peu découvert ce que toute grande philosophie a été jusqu'à ce jour : la confession de son auteur et une sorte de Mémoires involontaires et insus. Chez le philosophe, il n'y a absolument rien d'impersonnel et sa morale notamment témoigne de façon nette et décisive qui il est ". Ce ne sont bien entendu pas les évènements en eux-mêmes qui intéressent Nietzsche mais l'événement en tant qu'il exprime une attitude théorique et pratique.
Il n'y a pas pour Nietzsche de philosophie, il n'y a que des philosophes dont la vie cependant n'intéresse le penser philosophique que dans la mesure où elle acquiert signification universelle, dans la mesure où la vie de l'individu a valeur pour la communauté.
Du reste, l'œuvre de Nietzsche est inséparable de l'histoire occidentale et il faut s'en souvenir pour le comprendre. C'est dans cet esprit qu'il nous faut donc brièvement rappeler les éléments de sa biographie.
Nietzsche est né à Röchen, près de Leipzig en 1844. Il serait un descendant de l'aristocratie polonaise par son père. Sa mère était allemande. Nietzsche se réclame de l'aristocratie (par le sang il se sent hors des limites nationalistes) mais en même temps il s'en méfie : " Le sang est le plus mauvais témoin de la vérité " écrira-t-il dans Ainsi parlait Zarathoustra.
Son père était pasteur luthérien et sa mère issue d'une famille de pasteurs. Le père meurt prématurément en 1849. Nietzsche a cinq ans. Il vivra toute son enfance dans un univers exclusivement féminin avec sa mère, sa sœur Élisabeth et ses deux tantes.
À 6 ans, il entre à l'école communale et l'année suivante dans un institut privé préparatoire au lycée, lycée où il reste trois ans. Il se destine à être pasteur.
En 1859, Nietzsche devient boursier à la célèbre école de Pforta en Thuringe, école célèbre pour sa tradition humaniste et luthérienne. La discipline y est monacale. Les études y sont classiques et insistent sur l'apprentissage de la discipline de soi. Nietzsche lit les auteurs grecs : Sophocle, Eschyle, Platon. La culture grecque et latine l'influencera profondément et il s'y référera sans cesse dans son œuvre, même en la critiquant. Il étudie aussi l'hébreu et l'anglais. Il se passionne pour la littérature allemande et l'histoire mais ne mord guère aux mathématiques. Nietzsche sera marqué toute sa vie par son manque de formation scientifique qu'il regrettera.
En 1864, il rentre à l'université de Bonn pour suivre des cours de philologie (latin et grec ancien) et de théologie.
En 1865, il entre à l'université de Leipzig où il se consacre à la philologie, seul domaine qui l'intéresse quoiqu'il en sente de plus en plus les limites. C'est là qu'il reçoit sa vocation philosophique à travers la lecture enthousiaste de Schopenhauer. Cette lecture est pour lui un choc. Schopenhauer influencera beaucoup sa pensée avant qu'il ne s'en détache. Il lit Le monde comme volonté et comme représentation. Selon Schopenhauer, la réalité véritable de l'homme, sous les apparences, c'est la volonté (et non plus l'esprit, l'intelligence, la raison), force aveugle qui pousse tous les êtres vers des buts dont ils ne perçoivent pas le sens et qui, une fois atteints, laissent la place à d'autres, indéfiniment ; en d'autres termes, la réalité profonde de tous les phénomènes c'est le désir (instincts, pulsions) dont l'homme est animé inconsciemment. Vivre c'est vouloir, désirer. Mais cette volonté sans but, sans signification, fait de l'homme un jouet inconscient de ce qui le meut. Il faut donc s'efforcer de renoncer au désir, de nier la volonté.
Nietzsche gardera l'idée du désir, de la volonté qui fait vivre mais, plus tard, il se détachera de Schopenhauer en affirmant que l'homme doit affirmer ses désirs sans nier la volonté, l'instinct, la vie.
Nietzsche lit aussi Lange (un kantien) puis Kant dont il retiendra la critique de la métaphysique dont les prétentions scientifiques lui semblent définitivement dépassées. La théologie lui apparaît aussi comme une illusion grossière. Il ne se détache pas de la philologie mais il veut lui donner une base philosophique.
En 1868, Nietzsche reçoit le prix du concours de l'Université pour un travail sur les sources de Diogène Laërce. Il croit pressentir dans la philologie le seul moyen d'accéder à la philosophie c'est-à-dire à l'humain universel.
À Leipzig, Nietzsche noue plusieurs amitiés qui vont marquer son existence et notamment celle de Richard Wagner qui lui apparaît comme l'Eschyle des temps modernes, le héraut d'une renaissance de la tragédie.
Nietzsche est brillant, très brillant, ce qui lui vaut d'être nommé en 1869, à 25 ans, alors qu'il n'a pas fini sa thèse, sur une simple recommandation de Ritsch (professeur de grec), professeur de philologie classique à l'Université de Bâle. Il occupera cette chaire de langue et de littérature grecques plus de 10 ans. Il rend de nombreuses visites à Wagner et à sa femme Cosima. Il leur lira en 1871 le manuscrit de La naissance de la tragédie. Sa publication en 1872 lui vaudra les réactions hostiles des milieux universitaires mais lui vaut les éloges enthousiastes de Wagner.
Engagé volontaire comme ambulancier et infirmier pendant la première guerre franco-allemande, dont les atrocités le bouleversent, il tombe gravement malade de diphtérie et de dysenterie. Vers 1873, il ressent les premières manifestations de maux de tête et de troubles oculaires, dont il ne cessera de souffrir : la maladie va devenir consubstantielle à sa doctrine.
De 1873 à 1876, Nietzsche publie les Considérations Intempestives qui soulignent l'intérêt que porte Nietzsche aux problèmes de la culture et de l'histoire, en même temps qu'elles resserrent ses liens avec Wagner.
Sa maladie et le développement de sa pensée vont le plonger dans un isolement de plus en plus grand. En 1875, il rencontre le musicien Peter Gast avec lequel il poursuivra l'amitié la plus continue et échangera la correspondante la plus importante. Gast est le seul ami auquel Nietzsche se soit confié de façon parfaitement sincère, même s'il ne se fait aucune illusion sur ses talents de musicien. Mais aucune des amitiés de Nietzsche n'aura été heureuse.
Nietzsche publie Humain trop humain. Il a conscience alors d'amorcer un changement décisif avec la critique de Schopenhauer. Toute la métaphysique est ébranlée. Une des conséquences est la rupture avec Wagner. En 1876, Nietzsche assiste aux premières représentations wagnériennes de Bayreuth. Il est déçu par la pompe nationaliste et la résurgence visible des thèmes chrétiens les plus décadents. La rupture avec Wagner et le wagnérisme sera consommée et rendue publique dès le début de 1877.
En mai 1878, Nietzsche est si gravement malade qu'il doit quitter son poste de Bâle. Il obtient, à la suite de ses dix années d'enseignement, une maigre pension qui lui évite la misère. Commence alors une existence errante, neuf ans de séjours variés, de voyages continuels, motivés par la recherche du climat le plus favorable à sa santé et à l'éclosion de sa pensée. Aurore (1880-1881) prolonge les analyses de Humain trop humain.
C'est pendant l'été 1881, au cours d'une promenade près de Sils Maria " à 6000 pieds au-dessus de l'humanité " que Nietzsche éprouve l'expérience instantanée, atteint la certitude vécue de l'éternel retour. C'est alors que surgit à côté de lui son double, Zarathoustra. Dans Le Gai Savoir (1881-1882) se précisent les intuitions qui constitueront les thèmes centraux de sa philosophie.
En 1882, il rencontre Lou Salomé, jeune fille brillante, aux talents intellectuels exceptionnels (elle publiera le premier ouvrage sur Nietzsche et sera plus tard l'amie de Freud et de Rilke). Nietzsche veut en faire sa disciple, la confidente privilégiée de ses pensées. Il s'éprend d'elle mais son projet de mariage échoue de par sa propre maladresse (il charge Paul Rée, alors son rival, d'adresser à Lou sa demande) et à cause de la jalousie de sa sœur qui craint que Nietzsche ne lui échappe. Après cet échec sentimental, l'isolement grandit dans la souffrance et le drame de l'esprit. L'œuvre s'édifie.
En 1882, il écrit le premier livre de Ainsi parlait Zarathoustra à Nice, en 1883 le deuxième livre à Sils Maria, en 1884 le livre trois, de 1884 à 1885 le livre quatre (à Zurich, Menton et Nice). L'un des plus grands livres du siècle vient d'être écrit mais ses contemporains ne s'en soucient guère.
À partir de 1886, le rythme d'écriture s'accélère : livre V du Gai Savoir et Par delà le bien et le mal, 1887 La généalogie de la Morale, 1888 Le cas Wagner, Le crépuscule des Idoles, Nietzsche contre Wagner, L'Antéchrist et Ecce homo. Cinq œuvres écrites fiévreusement. C'est la dernière année de lucidité de Nietzsche.
Le 3 janvier 1889, sur la place Carlo Alberto, à Turin, Nietzsche embrasse un cheval de fiacre qu'un cocher vient de frapper puis tombe sans connaissance. De quelques jours auparavant, datent des lettres et billets de la folie adressés à des amis ou à des inconnus où il signe le plus souvent " Dionysos " ou " Le Crucifié ". Nietzsche a perdu définitivement son identité. Il n'écrira plus et, bientôt plongé dans un mutisme total, il continuera parfois de jouer un peu de musique.
Ramené à Bâle par Overbeck il est conduit par sa mère à Iéna où la clinique psychiatrique prononce le diagnostic de paralysie générale. Il habitera désormais auprès de sa mère qui le soignera jusqu'à sa propre mort en 1897, puis à Weimar, auprès de sa sœur dans la maison de laquelle il meurt le 25 août 1900.
De l'œuvre restent des fragments inachevés. Les fragments posthumes représentent en fait plus de la moitié de son œuvre. Un certain nombre en seront publié de façon partielle et tronquée par la sœur de Nietzsche sous le titre La Volonté de Puissance. Le problème est, qu'entre temps, celle-ci a adhéré au nazisme et elle cherchera à donner à cette dernière œuvre (par un habile montage des fragments) un sens qu'elle n'a pas. La Volonté de Puissance n'est pas vraiment une œuvre de Nietzsche
Apport conceptuel.
La finalité du philosophe est de devenir un surhomme. Cette affirmation, qui peut paraître surprenante, a besoin d'être déchiffrée. La philosophie nietzschéenne, toute en symbole, ne doit jamais être interprétée au premier degré. Elle suppose au contraire tout un travail d'interprétation.
Surhomme (übermensch) est un mot que Nietzsche emprunte à Goethe. Il n'a rien à voir avec le superman des bandes dessinées, pas plus d'ailleurs qu'avec l'Aryen SS, exterminateur de population. Le nazisme, par son interprétation erronée et malhonnête de la pensée de Nietzsche a voulu faire croire que Nietzsche défendait ce que justement dans son œuvre il a toujours refusé et critiqué. Si Nietzsche avait vécu à l'époque du nazisme, il en aurait été le plus virulent opposant.
Le surhomme évoque le pas en avant que l'humanité doit accomplir à partir du moment où elle s'est débarrassée de l'idée de Dieu. Dans le prologue de " Ainsi parlait Zarathoustra ", Nietzsche écrit :
" Je vous enseigne le surhomme. L'homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu'avez-vous fait pour le surmonter ?
Le surhomme est le sens de la terre. Que votre volonté dise : que le surhomme soit le sens de la terre. "
Le sens de la terre s'oppose bien sûr au sens du Ciel.Critique du nihilisme : l'homme du ressentiment.
Le nietzschéisme procède tout entier d'une critique des valeurs du christianisme qui, aux yeux de Nietzsche, enferment l'humanité dans de fausses valeurs morales et limitent sa puissance de connaissance en lui donnant des réponses illusoires et apaisantes à ses ignorances.
" Dieu est mort " a écrit Nietzsche, ce qui signifie que les valeurs religieuses (et la religion) sont mortes et qu'il faut leur substituer de nouvelles valeurs plus positives. " Surhomme " signifie donc " au-delà de l'homme " c'est à dire au-delà de toutes les conceptions que l'on s'est faîtes jusqu'ici de l'homme, puisque toutes ces conceptions ont été négatives.
" Ecce homo " s'expliquera sur le surhomme : " Le mot surhomme utilisé pour désigner un type de la plus haute plénitude, par opposition aux modernes, aux bons, aux chrétiens et autres nihilistes, et qui, dans la bouche de Zarathoustra, devait donner à réfléchir, ce mot a presque toujours été employé avec une candeur parfaite au profit des valeurs dont le passage de Zarathoustra illustre l'opposé, pour désigner le type idéaliste d'une race supérieure d'homme, moitié saints, moitié génies. " Nous voilà prévenus : le surhomme n'est ni un saint, ni un génie et il est le contraire du bon et du chrétien.
Mais que reproche donc Nietzsche au christianisme ? Il lui reproche justement de nier l'homme, d'être, comme il le dit, une morale du ressentiment. Le mot ressentiment doit être pris dans ses deux acceptions :
- L'homme du ressentiment est celui qui ressent au lieu d'agir. Il n'agit pas mais réagit.
- L'homme du ressentiment est celui qui éprouve du ressentiment envers lui-même et les autres. C'est l'homme de la culpabilité (cf. la notion de péché), qui veut se punir lui-même, l'esprit de vengeance comme dira Nietzsche, esprit de vengeance d'abord tourné envers soi-même mais qui va ensuite se tourner vers les autres comme en témoigne la figure du prêtre qui vise à la culpabilisation de l'autre.
Le nietzschéisme part d'un constat : la société contemporaine se caractérise par une crise des valeurs qui est aussi une crise du fondement car le fondement sur lequel on avait fondé les valeurs s'est révélé faux. Notre société voit l'effondrement des valeurs. On s'aperçoit que les valeurs sont relatives (historiques), d'où une angoisse du vide, du néant, que l'homme moderne cherche à masquer. L'homme moderne découvre que les valeurs supérieures de son existence (et en particulier les valeurs morales) dépendent d'un fondement qui apparaît maintenant fictif, qui n'était "rien" du tout. "Rien" se dit en latin nihil , d'où le concept de nihilisme. Le nihilisme, c'est la barbarie contemporaine. C'est une décomposition dans le rien, dans l'incertitude qui est le propre de l'époque nihiliste.
S'il n'y a plus de fondement certain, la réaction peut être le pessimisme. Elle peut aussi être de transformer le néant en force active : pour ne plus avoir à contempler le néant, on se jette dedans. C'est le totalitarisme (que critique très fortement Nietzsche et l'on voit ici l'étendue du contresens hitlérien qui a cru que Nietzsche défendait le nihilisme quand il est ce qu'il critique le plus violemment), ce sont les mythes, les superstitions, la drogue, tout ce qu'on invente pour ne plus voir le néant.
Mais si les valeurs traditionnelles sont mortes de leur absence de fondement, il est encore des gens pour les défendre, d'où la figure du prêtre. Le prêtre n'est pas à confondre avec le simple membre du clergé. Il est la figure caractéristique de la conscience incapable de réagir au monde par des actions et le prêtre du clergé n'est rien d'autre qu'une des exploitations possibles de cette figure de la conscience.
Les hommes, ou plutôt certains hommes, ceux que Nietzsche appelle les faibles ou encore les esclaves, le troupeau des agneaux bêlants, sont dans la situation de celui qui subit sans pouvoir répondre et qui, par suite, ne peut pas oublier. Ne pouvant réagir en agissant, sa réaction est située sur le plan de l'imaginaire c'est à dire sur le plan des traces que sont les souvenirs douloureusement ressentis (ressentiment). Dès lors le fait même d'exister lui semble un malheur à cause du désir rentré de réagir. À partir de là, tout ce qui nous fait échapper aux douleurs d'exister aura une valeur. On donnera un privilège au sommeil, au rêve, à l'ascétisme (au sens chrétien de mortification). L'ascétisme chrétien est pour Nietzsche le ressentiment qui se retourne sur lui-même. Ne pouvant réagir sur le monde, l'homme du ressentiment réagit sur lui-même. C'est une autodestruction qui n'est rien d'autre que le désir de mort, de néant (nihilisme à nouveau). C'est la vengeance de l'homme malheureux qui se retourne contre lui-même. Mais ce désir de néant doit se masquer, justement par désir de vengeance. L'homme du ressentiment va vouloir se venger de son malheur (qui vient de sa propre faiblesse) contre les autres et notamment contre ceux qui ont échappé au ressentiment parce qu'ils sont forts. Il va dès lors masquer son idéal d'autodestruction par l'altruisme pour mieux les séduire. Pour les obliger eux-mêmes à s'autodétruire, il va prétendre que ce qui fait valeur dans l'existence c'est de se forcer soi-même à l'encontre de ses instincts et, en particulier, de se forcer soi-même à considérer comme mauvais tous les rapports de conflit avec les autres, d'où la morale traditionnelle. C'est sous le prétexte d'améliorer l'homme que cet idéal du prêtre va conquérir le monde alors qu'il ne s'agit que du désir de vengeance des hommes du ressentiment contre les forts qui sont capables de réagir au monde par des actions. On prétend améliorer l'homme alors qu'il s'agit en réalité de le domestiquer, de le soumettre. On va prétendre que l'homme fort (c'est à dire sain) est mauvais et le contraindre à devenir bon. Séduit et trompé, l'homme fort se soumet à la mutilation volontaire de ses instincts. On tente de l'affaiblir et de l'humilier. On le culpabilise pour mieux le soumettre en lui faisant croire qu'il commet le mal. La brisure des instincts entraîne le dégoût de soi.
Sublimer n'est pas briser. Sublimer l'instinct, c'est lui donner un autre but. Mais ici il s'agit de briser l'instinct. Il existe deux sortes d'ascétisme pour Nietzsche :
Un ascétisme destructif qui brise les instincts ; Un ascétisme positif qui discipline les instincts dans un but créatif sans les briser.Telle est la situation contemporaine pour Nietzsche. Les hommes du ressentiment, ce sont les faibles, les esclaves. Ces termes ne doivent pas être pris au sens physique ou politique. Les esclaves sont ceux qui sont esclaves d'eux-mêmes, qui sont incapables de vivre seuls, sans appuis. Ce sont les pratiquants de la morale traditionnelle, les moutons. Mais, paradoxalement, ce sont eux qui règnent. La morale des faibles règne parce qu'on s'est laissé prendre à la facilité. Les esclaves dominent parce que pour se venger de leur mal d'exister sur ces forts qu'ils craignent, ils les ont séduits en prétendant à l'altruisme (alors qu'ils les haïssent), en décidant que l'orgueil est le mal. On culpabilise les forts et alors les hommes authentiquement supérieurs ne veulent plus se sentir supérieurs. Ils culpabilisent. Tel est l'état des faits que Nietzsche décrit mais bien sûr ne défend pas.
Pour Nietzsche (et c'est le sens du nihilisme), l'homme contemporain doit trouver un nouveau chemin à l'écart de la morale nihiliste pour retrouver de nouvelles valeurs. Il s'agit de chercher de nouveaux fondements puisque c'est l'absence de fondement des valeurs traditionnelles qui a créé le nihilisme.
Dieu est mort. Dieu n'existe pas. L'ère de l'athéisme doit venir. Mais attention ! le véritable athéisme est l'athéisme de celui qui ne cherche pas à remplacer Dieu par quelque autre valeur destinée à lui servir d'aide contre sa faiblesse (un chef, un médecin, un idéal, une conscience de parti etc.)
Nietzsche accuse la morale judéo-chrétienne. Il accuse le judaïsme, non bien sûr par haine des juifs (encore un contresens d'Hitler) mais par refus de la morale de l'Ancien Testament (notamment les dix commandements). Il accuse aussi la morale chrétienne (le Nouveau Testament). Le Christ est, pour Nietzsche, l'incarnation de l'amour haineux (le pseudo altruisme de l'homme du ressentiment qui cache le désir de vengeance). C'est l'une des figures du prêtre.La méthode généalogique.
Une remarque méthodologique s'impose à ce point de l'analyse. La critique de la morale chez Nietzsche est généalogique. Il ne pose pas la question du "Qu'est-ce que ?" (Qu'est-ce que le Bien ?, par exemple, ce qui suppose déjà que le bien existe) mais la question du "Qui ?" Qui dit qu'il faut être bon et vertueux ? Pourquoi celui-là veut-il être bon ? Que vise celui qui dit qu'il faut être vertueux ? Cette méthode est généalogique, se veut une symptomatologie. Le philosophe est généalogiste, médecin, artiste. La morale traditionnelle est un symptôme, le symptôme du ressentiment. C'est en ce sens qu'on a pu dire de la philosophie de Nietzsche (mais on le dira aussi de celle de Marx</TARGET="MAIN"> et de celle de Freud</TARGET="MAIN">) qu'elle est une philosophie du soupçon. Il faut soupçonner les valeurs en cherchant qu'elle arrière-pensée se cache derrière elles.
Nietzsche fait l'arbre généalogique du Bien et du Mal (dans la Généalogie de la Morale). Originellement, dans toutes les langues, est bon l'individu qui se distingue des autres, l'homme d'élite. Pensons au Bonus vir à Rome. C'est l'aristocrate issu du guerrier, l'être supérieur, le fort.L'homme fort, le surhomme.
Qui est l'homme fort aux yeux de Nietzsche ? Nous pouvons dire que c'est l'homme de la volonté de puissance. Mais dans cette expression, il faut en fait comprendre puissance de la volonté. En effet, à partir du moment où une volonté veut la puissance (le pouvoir), c'est qu'en réalité elle en est dépourvue. La volonté de puissance n'est donc nullement une volonté de pouvoir. Seul l'esclave cherche la puissance, lui qui ne peut exister sans l'emporter sur les autres et donc sans les autres, lui qui est incapable de s'assumer seul. Pour Nietzsche, le fort est celui dont la volonté affirme sa puissance. Il veut créer, donner. L'homme bon, c'est l'homme fort non au sens politique mais au sens métaphysique et moral. Se sentir petit et faible, c'est le mal. La puissance de la volonté est un signe de moralité.
La moralité est maîtrise de soi (là est le véritable ascétisme par opposition à l'ascétisme nihiliste qui vise à la mortification). Il ne faut pas faire des autres des esclaves mais se maîtriser soi-même. Le texte des " Trois métamorphoses " dans Ainsi parlait Zarathoustra peut ici nous éclairer. L'homme doit passer par trois étapes :
Il sera d'abord chameau. Le chameau est la bête de somme qui porte, transporte. Il symbolise celui qui porte les valeurs. Sa devise est " tu dois donc tu peux " (référence à Kant</TARGET="MAIN">). Il veut s'humilier pour faire mal à son orgueil. Le chameau se hâte dans le désert. Il dit "oui" mais il s'agit d'un "oui" d'obéissance au devoir sans ivresse. C'est l'image de l'esclave, du besogneux. Le chameau doit devenir ensuite lion. Le lion est l'image de la révolte contre les valeurs traditionnelles. Il dit "non". Il symbolise le renversement des valeurs. Il veut être l'ennemi des dieux. Le lion devient enfin enfant. L'enfant dit "oui" mais il ne s'agit plus du "oui" de l'obéissance mais celui de la tranquille affirmation de soi qui a la force du jeu, de l'innocence.Le surhomme n'est rien d'autre que ce oui, délivré de tout mauvais négatif. Si on veut le distinguer de l'enfant, on ne pourra le faire qu'en le déterminant comme l'épanouissement de cet enfant : l'innocence créatrice et donatrice à très haut degré.
La volonté de puissance consiste à créer. Le fort, le véritable héros est l'artiste. C'est le maître, au sens où l'on dit de l'artiste, du créateur qu'il est un maître, au sens aussi où l'on dit être maître de soi. La volonté de puissance est création continue, volonté qui se crée dans la temporalité, qui a besoin du temps pour s'exercer.
C'est ici qu'intervient le thème de l'éternel retour. L'éternel retour est le sens du surhomme. Le surhomme est celui qui dit oui à l'éternel retour.
L'éternel retour n'est pas celui des Stoïciens. Nietzsche sait bien que les choses ne se répètent pas cycliquement. Il s'agit d'une formule morale (qu'il substitue à l'impératif kantien) : " Ce que tu veux, veuille-le de telle manière que tu puisses en vouloir le retour éternel ". L'homme supporte la douleur parce qu'il espère la récompense à sa souffrance (morale chrétienne). Mais il ne la supporterait plus s'il fallait toujours recommencer. L'idée du retour éternel élimine le désir de douleur et de négation de soi. Nous sommes prêts à recommencer nos joies et non nos faiblesses.
L'homme fort est celui qui veut être et qui veut être tour à tour tous les autres. Il dit " Je suis bon parce que j'existe ". Il s'affirme et cette attitude n'a rien à voir avec celle de l'homme faible qui dirait " Je suis bon parce que tu es méchant ". Quand la bonté de la morale traditionnelle est négation, la bonté du maître est positive.
Nietzsche réhabilite le corps. Le corps est un rapport de forces entre forces dominantes et forces dominées. Les forces dominantes sont les forces actives, les forces dominées sont les forces réactives. Chez le maître, les forces actives (d'action) sont dominantes. Il va jusqu'au bout de son vouloir. Il crée et fait son plaisir de sa création. Les forces réactives, au contraire, sont celles du souvenir, des traces laissées par les événements. Chez le maître, les deux types de force sont en équilibre. Il lui arrive de se souvenir mais sans y attacher de l'importance. " L'oubli est une forme et la manifestation d'une santé robuste ". La mémoire est pour Nietzsche esprit de vengeance. L'historien est le gardien de l'esprit de vengeance. Chez l'esclave, les forces du souvenir prennent le dessus. Au lieu d'agir, il se souvient (culpabilité, remords, ressentiment). Nietzsche refuse la morale du péché. Le péché est le ressentiment, la culpabilité de celui qui ne peut oublier sa faute, la mauvaise conscience qui cache la haine. S'accuser, c'est viser à la vengeance contre soi par autodestruction avec l'idée qu'on ne peut s'en sortir, se racheter que par la douleur du faux ascétisme.
Le maître aussi parfois souffre mais sans y attacher d'importance. L'esclave, lui, prend plaisir à s'accuser puis à accuser les autres.
Nietzsche rêve d'une culture supérieure d'homme : le surhomme, l'übermensch. Dans Ainsi parlait Zarathoustra on trouve l'image du danseur de corde. : un funambule marche sur une corde tandis que la populace le regarde. Le danseur de corde glisse et tombe. Il va mourir mais Zarathoustra lui dit qu'il était sur la bonne voie. La corde symbolise la marche vers le surhumain. C'est l'image du risque (mais la liberté ne s'accorde pas avec la sécurité) car l'homme fort aime le risque quand le faible cherche sans cesse des appuis, des crampons, la sécurité. C'est aussi l'image de la maîtrise de soi, nécessaire à un tel exercice. La populace qui regarde symbolise les faibles, le troupeau des agneaux bêlants. Le danseur tombe. Il n'est pas arrivé jusqu'au bout mais qu'importe ! il était sur la bonne voie et il faut continuer dans ce sens. D'ailleurs, on ne meurt pas toujours et " ce qui ne tue pas rend plus fort "Ainsi, pour Nietzsche, la philosophie se doit d'être remise en cause, puissance critique. Elle remet en cause les illusions des valeurs traditionnelles dont il pense qu'elles nient l'homme. Devenir un surhomme, c'est renoncer à ces valeurs négatives, les surmonter au profit de nouvelles valeurs positives, créatrices, valeurs dont il annonce l'Aurore. Tout aussi bien, le surhomme n'est pas un être mais peut devenir un peuple: " Solitaires d'aujourd'hui, vous qui vivez à part, vous serez un jour un peuple. Vous qui vous êtes élus vous-mêmes, vous formerez un jour un peuple élu - et c'est de ce peuple que sortira le surhomme ".
Les principales œuvres.
- L'origine de la tragédie (1871)
- Humain trop humain (1878)
- Le voyageur et son ombre (1880)
- Aurore (1880-1881)
- Le Gai Savoir (1881-1882)
- Ainsi parlait Zarathoustra (1882-1885)
- Par delà le Bien et le Mal (1886)
- La généalogie de la morale (1887)
- Le crépuscule des idoles (1888)
- Le cas Wagner (1888)
- L'antéchrist (1888)
- Ecce homo (posthume)
Index des auteurs
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L'invention de la Camargue ou la véritable histoire du marquis de Baroncelli
Qui sommes-nous ? en Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon
http://m.france3-regions.francetvinfo.fr/languedoc-roussi...
Revoir l'émission tout en bas de la page ci-dessus.
Guiseppin Marie-France
Un documentaire sur un personnage illustre, le marquis Folco de Baroncelli. Ame poétique, homme engagé, cultivé, qui, tombé amoureux fou de la Camargue, lui consacre sa vie. Histoire d'un aristocrate devenu paysan et véritable mythe dans cette région du Sud du Languedoc...
Le marquis Folco de Baroncelli-Javon est né le 1er novembre 1869 à Aix en Provence et est mort le 15 décembre 1943 à Avignon.
Entre ces deux dates, cet homme a accompli une œuvre immense : l’invention d’un pays, en lui donnant une identité à travers la mise en place de traditions et de coutumes, d’un folklore riche qui est toujours en place aujourd’hui…
La Camargue est née d’un rêve : celui du marquis de Baroncelli.
© Vincent Froehly | Camargue...
Un film de Vincent FROEHLY
une coproduction SUPERMOUCHE PRODUCTIONS et FRANCE TELEVISIONS
A voir lundi 9 janvier 2017 au soir vers minuit sur France 3 occitanie.
Rediffusion le mercredi 11 janvier 2017 vers 8h50 sur France 3 Occitanie et France 3 Nouvelle Aquitaine.
Un film hommage à Baroncelli
Le marquis Falco de Baroncelli est l’un de ces illustres personnages dont le nom reste à jamais associé à une région, un territoire. Totalement inconnu au niveau national, on ne jure que par lui en Camargue.© Supermouche productions | Portrait du marquis Folco de Baroncelli
C’est une histoire d’amour, mais entre un homme et une terre, qui visiblement méritait d’être aimé comme une femme : le film nous entraine dans ce récit où l’engagement du marquis de Baroncelli a eu des influences décisives jusqu’à aujourd’hui encore.
Rarement pourra-t-on témoigner d’une telle symbiose… et d’une telle volonté de mener haut une terre qui semblait être abandonnée aux proscrits, aux vagabonds et à quelques vachers sans grande importance…
© Vincent Froehly | Toro de Camargue
Ce film plonge dans l’histoire d’un lieu et d’un peuple : comment exister et faire exister sa culture à une époque où le jacobinisme français faisait rage, à l’époque où la révolution industrielle faisait foi d’un progrès qui allait finir par écraser le monde rural et paysan, et par là même faire disparaître la multitude de langues et cultures régionales ?
La Camargue dont les riches propriétaires rêvaient d’en faire une seconde Beauce française, drainée, aseptisée de ses marais et enfin rentable, eut à subir ce joug comme les autres régions : elle a failli devenir une région comme une autre.
Mais le marquis lutta de toutes ses forces pour cette culture, pour la langue provençale et pour ce lieu, à la manière d’un résistant face à la toute puissance d’un envahisseur !
© Vincent Froehly | Camargue...
Porté par Mistral...et d'autres vents
Avec l’aide de son ami Frédéric Mistral, le Marquis de Baroncelli crée un journal en 1891, l’Aïoli, qui défend ce monde fragile, mais qui n’avait pas envier de se laisser piétiner et de mourir sans lutter. Si Mistral menait le front dans les salons avignonnais, Baroncelli s’en va explorer le Sud, la Camargue. Et c’est le coup de foudre !
© Vincent Froehly
Il découvre un lieu où pour lui tout est possible…
Une sorte de page blanche sur laquelle il pourra inventer une histoire… son histoire qui deviendra une légende.
Dès lors tous les thèmes liés à la Camargue devenaient sujets et causes à défendre, luttes à mener, ou simplement articles dans l’Aïoli !
© Supermouche productions | Le journal l'Aioli...
Le marquis mena avec lui vers les hautes sphères de la dignité cette Camargue et tout ce qui l’a compose : les vachers devinrent des gardians avec une noblesse dans leurs rangs et leur manière de monter ; les jeux camarguais populaires se transformèrent en jeux codifiés, nobles et valeureux rappelant les joutes des chevaliers ; la langue quittait le statut de patois pour devenir langue de poète à part entière, glorifiant les traits d’un pays porté par Mistral et d’autres vents encore, bonifiant la pensée et inspirateur au possible.
Bref, de sauvage, la Camargue est devenue noble ; d’insalubre, elle a atteint le sacré ; de terre sans avenir elle s’est métamorphosée en sanctuaire de la liberté.
© Vincent Froehly | Camargue...
Si les traces du marquis sont visibles partout dans la Camargue d’aujourd’hui (son symbole : la croix en forme d’ancre surmontant un cœur ; les règles des jeux camarguais, abrivado, courses camarguaises… ; la tenue des gardians ; le pèlerinage des gitans aux Saintes Maries de la Mer ; etc…), il faudra cependant s’interroger sur ce qu’il reste de cette culture qui fut au cœur de son œuvre.
Ce film en racontant l’histoire du Marquis de Baroncelli, homme un peu fou qui a toujours ouvert sa porte aux plus faibles et aux plus démunis, se veut aussi poème et réflexion, par amour total pour ce lieu merveilleux que seul l’hiver semble encore pouvoir sauver de lui-même et de ses faiblesses !
Un vrai marquis, un vrai homme
Il arrive qu'un homme "invente" un pays, Tel est le génie du marquis de Baroncelli, qui voua sa vie à la Camargue.
© Folco de Baroncelli | Folco de Baroncelli
Issu dune famille florentine installée dans le Comtat Venaissin au XVe siècle, Folco de Baroncelli est né en 1869 à Aix.
© Vincent Froehly | Maison des Baroncelli
Sa famille, quoique aristocratique, parlait le provençal, une véritable hérésie à l'époque où cette langue ne pouvait être que celle du peuple. Ses premiers contacts avec les taureaux remontent à son enfance, passée au château de Bellecôte, à Bouillargues, près de Nimes, chez sa grand-mère.
Les troupeaux y faisaient étape au moment de la remontée vers les pâturages de la petite Camargue. Après ses études à Avignon, alors ville taurine et capitale des félibres, il rencontre Mistral (cf photo) et Roumanille. Dès 1890, il publie un premier ouvrage en provençal, « Babali », et dirige avec Mistral le journal L'Aioli.
La découverte de la Camargue va alors sceller son destin. Il sera manadier envers et contre tout Le temps de se marier avec la fille d'un propriétaire de Châteauneuf-du-Pape, et en 1895 il s'installe en Camargue où il crée la "Manado santenco", aux Saintes-Maries-de-la-Mer, Devant tant de détermination et de passion Mistral lui déclare: "je te confie la Camargue."
Qu'est-ce que la Camargue en cette fin de XIXe siècle ?
Endigué depuis moins de trente ans, c'est un pays encore hostile, un bout du monde....un pays insalubre. Il y fait chaud ou froid, les moustiques pullulent, l'été les marécages empestent, les gens y sont pauvres et travaillent durement. Mais l'imagination enflammée et poétique de Folco de Baroncelli n'en a cure.
Il voit bien autre chose : une terre provençale intacte, la gardienne d'une identité: 'J'ai voué ma vie à un idéal: la Provence, et je n'ai embrassé mon métier que pour mieux servir cet idéal, pour me trouver plus près du peuple provençal, pour mieux arriver jusqu'à son coeur et pour mieux l'aider à sauver son passé de gloire, sa langue et ses coutumes."
En 1853, le mariage de l'Espagnole Eugénie de Montijo avec Napoléon IIIavait ouvert la voie de la tauromachie en France, mais les taureaux camarguais n'étaient alors qu'un bétail dégénéré à demi-sauvage dont on s'amusait parfois. Il supportait mal la comparaison avec les fougueux « toros » de corridas.
En 1869, Christophe Yonnet tente les premiers croisements entre race brave espagnole et race camarguaise. Malgré sa large diffusion dans les manades, le résultat médiocre de ce croisement inapte à la tauromachie espagnole comme aux jeux provençaux qui émergent timidement marque le début de la reconquête de la pure race Camargue. Le marquis, avec d'autres, en est le grand ordonnateur, tout comme il participe activement à la codification de la course camarguaise naissante. La sélection draconienne qu'il opère est récompensée en1909 par son taureau Prouvenço, historique cocardier qui déchaine les foules, baptisé ainsi autant pour ses qualités esthétiques que combatives.
Etrange destinée que celle de cet aristocrate qui accepta de vivre dans des conditions matérielles difficiles pour servir la cause provençale. Tous les témoignages insistent sur la grande humanité et la générosité de l'homme. Mais le trait marquant de son caractère, outre sa ténacité, réside dans ses prises de position en faveur des minorités opprimées. Il s'insurge contre l'agression des Boers, défend les vignerons du Languedoc, les Indiens d'Amérique, rencontrés dans le cirque de Buffalo Bill, et qui le surnomment « Oiseau Bon » (Zinkala Waste).
Il défend les républicains espagnols, et bien sûr les gitans pour qui il obtient en 1935 le droit d'honorer publiquement leur patronne, Sainte Sara. Lors de la Grande Guerre, il échappe de peu au conseil de guerre pour propos antimilitaristes; il dénonce le projet d'assèchement du Vaccarès, se bat pour la création d'une
réserve, manifeste pour le maintient des courses camarguaises, témoigne pour le maire communiste des Saintes-Maries-de-la-Mer, proteste en 1940 auprès de Daladier après des manoeuvres de tirs d'avions dans le Vaccarès.
Bref… il est de tous les combats et contrairement à Don Quichotte de la Mancha… il en perdit peu !
Jeanne de Flandreysy
Impossible de raconter le Marquis sans évoquer celle qui fut l'amour de sa vie. Jeanne de Flandreysy
De son mariage avec Henriette Constantin, Folco de Baroncelli aura trois filles. Mais les moustiques et la rudesse de l'endroit auront vite raison de leur couple. Henriette reviendra vivre dans son domaine de naissance et ne fera plus que des passages, de plus en plus épisodiques, sur les terres de son époux...
Au début du siècle en 1908, à l'époque où les cinéastes, ramenés par Baroncelli, découvrent la terre camarguaise et y plantent leurs caméras, notre marquis fait la connaissance de Jeanne de Flandreysy (cf photo).
Lors du tournage de "Mireille", film adapté du livre de Frédéric Mistral, Folco la découvre et en tombe éperdument amoureux.
Femme indépendante et libre, journaliste au Figaro, ils avaient tous deux la faculté et la volonté d'écrire leur propre histoire. Tous deux dotés de tant d'amour de liberté, de détermination et de ténacité.
Jeanne deviendra son pilier, son meilleur défenseur et l'épaulera dans toutes les épreuves de sa vie...
© Supermouche productions | Le marquis de Baroncelli et Jeanne
Vincent Froehly, auteur et réalisateur du film
© DR | Vincent Froehly, auteur et réalisateur du film
Vincent Froehly tente de faire des films depuis 25 ans, en Europe, en Afrique et en Amérique ! Il n’a toujours pas trouvé de formule magique et reprend son métier à zéro à chaque film engagé… (c'est lui-même qui le dit...) . Cela laisse la foi et l’engagement intacts : la curiosité ne s’altère jamais.
Depuis le début, ses sujets de prédilections tournent autour du monde agricole, de la petite paysannerie quasiment disparue aujourd’hui en France.
Nombreux films qu’il a réalisés ont été primés à des festivals internationaux : « Liebsdorf-city » tourné en Alsace et plus particulièrement « Le pays où vivait la terre » tourné en Roumanie, ont été distingués de multiples fois. Vincent Froehly a été sélectionné plusieurs fois au Fipa à Biarritz ou au Cinéma du Réel à Paris, où il a remporté le prix Pierre Perrault. Dans tous ses films, le réalisateur donne la parole à ceux qui ne l’ont jamais, privilégiant les rencontres et la liberté de parole des « petites gens »…
SON RAPPORT À LA CAMARGUE :
Lorsqu’en classe de troisième au collège de Ferrette en Alsace, la professeur de Français voulait organiser le voyage de classe à Paris… comme d’habitude… Vincent Froehly s’est insurgé et a provoqué une petite révolte. Lui ne voulait pas aller dans cette capitale qui décide de tout, mais en Camargue, terre de liberté ! Toute la classe a suivi sa proposition au grand dam du professeur de Français qui voyait en Paris la « capitale de la culture »… Résultat des courses… La classe de troisième a fait son voyage vers le Sud…mais s’est arrêté dans le Jura !
Ne pas aller à Paris était déjà une victoire… mais la Camargue restait un rêve… ce qui n’était peut-être pas plus mal !
« L’invention de la Camargue ou la véritable histoire du légendaire marquis de Baroncelli » est le troisième film que Vincent Froehly tourne en Camargue. Il bat au moins un record cette fois-ci : celui du titre le plus long pour un documentaire ! Avant il y a eu le film « Joe Hamman, le français qui inventa le western » avec France 3 Languedoc-Roussillon et un autre film « La guerre des tellines » pour l’émission Géo 360° du samedi soir sur Arte, qui montrait le vieux métier de pêcheur à pied.
© Vincent Froehly | Saintes-Marie de la Mer
Les intervenant(e)s du film
Rémy VENTURE, historien de la CamargueOlivier CALLÉRIZA, photographe
Louis MILLET, Adjoint au conservateur du Palais du Roure
Fanette JUDLIN-HILLS, écrivain et ami du marquis
Pierre AUBANEL, manadier et petit-fils du marquis
Estelle ROQUETTE, conservateur du musée de la Camargue
© Supermouche productions | Coutume gitane de Saintes-Marie-de-la-Mer - Retour de Sara vers la mer
L'équipe technique et artistique du film
Scénario, réalisation et image : Vincent FROEHLYSon, assistant réalisation et étalonnage : Corentin BAEUMLER
Musique et voix : Henri MULLER
Montage : Benjamin GÉHANT
Montage son et Mixage : Grégoire DESLANDES
© Vincent Froehly | Camargue
Revoir l'émission tout en bas de la page suivante :
http://m.france3-regions.francetvinfo.fr/languedoc-roussi...
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04/01/2017
Le jour où mon robot m’aimera, Vers l’empathie artificielle, Serge Tisseron
Ecrit par Jean-François Vernay 24.10.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Albin Michel
Le jour où mon robot m’aimera, Vers l’empathie artificielle, septembre 2015, 208 pages, 16 €
Ecrivain(s): Serge Tisseron Edition: Albin Michel
Les hommes sont des machines désirantes, on le sait, notamment depuis Deleuze et Guattari. Les machines, quant à elles, sont modelées sur les désirs humains. On le sait moins, mais les plus curieux auront l’occasion de le découvrir à la lecture du dernier Tisseron, Le jour où mon robot m’aimera. A l’heure où les expositions sur les robots fleurissent un peu partout en France (à Paris, Lyon, Pau, etc.), d’aucuns s’interrogent sur la frontière, entre l’homme et la machine, le vivant et l’artificiel, frontière que les technologies de pointe ont rendue de plus en plus poreuse.
Les industriels, les artistes et les réalisateurs d’une inventivité débordante forcent le trait du rapprochement entre les deux espèces. Her de Spike Jonze imagine la relation sentimentale entre Theodore Twombly et Samantha, la voix féminine d’une intelligence artificielle ; le PDG du groupe Softbank déclare triomphalement lors du lancement de leur robot dernier cri baptisé Pepper : « Pour la première fois dans l’histoire de la robotique, nous présentons un robot avec un cœur » (p.11).
Le cultissime Isaac Asimov énonce dans Runaround (1942) trois lois garantes d’une parfaite cohabitation entre les humains et les robots :
1/ Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger.
2/ Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi.
3/ Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi (1).
La course est engagée et l’intelligence artificielle gagne du terrain. Si elle n’est pas encore en mesure de façonner la conscience de soi ou la subjectivité, a-t-elle déjà créé l’empathie artificielle ? Peut-on même qualifier l’empathie d’artificielle ?
Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, soutient que l’empathie « implique aussi une dimension de réciprocité : j’accepte que l’autre se mette à ma place, ce qui suppose que je lui fait confiance. Et j’accepte qu’il m’éclaire sur des aspects de moi-même que j’ignore » (2). Mutatis mutandis, on pourrait reprendre cette notion de réciprocité ainsi : « J’accepte que le robot ou le personnage de roman se mette à ma place, ce qui suppose que je lui fais confiance. Et j’accepte qu’il m’éclaire sur des aspects de moi-même que j’ignore ». On le voit bien, la formulation de la première partie de la proposition conduit à une aporie, car comment penser qu’un objet dénué de subjectivité (dans le cas du robot) ou même d’existence (tel un personnage de fiction) puisse se mettre à ma place ?
La définition de l’empathie qui divise les chercheurs de tous bords est quelque peu problématique pour deux raisons essentielles, me semble-t-il. D’une part, la frontière entre cette émotion et d’autres notions comme la compassion, la théorie de l’esprit, l’adoption du point de vue d’autrui, ainsi que la contagion émotionnelle, est très ténue. D’autre part, chaque discipline envisage et circonscrit l’empathie à travers son propre prisme, ce qui conduit à une pluralité d’acceptions au sein desquelles chaque discipline met l’accent sur ses propres enjeux.
Véritable « feuilleté de concepts » selon la formule de Serge Tisseron (p.23), l’empathie se déclinerait en aspects, degrés, voire en stades et fonctionnerait donc selon deux processus cognitifs de base que Monique Desault prend soin de rappeler dans sa thèse : la résonance émotionnelle qui repose sur le mécanisme des neurones miroirs, alias les « neurones empathiques », découverts par l’équipe de Giacomo Rizzolatti dans les années 1990 ; puis « l’inférence émotionnelle qui permet de se représenter l’émotion d’autrui en mobilisant une capacité à se représenter comme distinct de l’autre » (3). Au cœur de la relation intersubjective, la capacité d’empathie, variable d’un individu à l’autre, oscillerait entre confirmation de soi dans l’autre et confrontation de l’autre à soi.
Dans le premier chapitre, Serge Tisseron distingue quant à lui « l’empathie directe » (nantie de trois composantes : l’empathie émotionnelle plus connue sous le nom de contagion émotionnelle, l’empathie cognitive et la capacité de changer de perspective émotionnelle) de « l’empathie morale ». Elle « correspond à la décision de nous orienter vers une utilisation de notre empathie émotionnelle et cognitive dans celui d’un bien vivre-ensemble plutôt que dans celui d’une manipulation permanente de notre entourage » (p.33). Surnommée empathie de l’altruisme, cette émotion se compose de trois éléments qui doivent tous opérer sur le mode de la réciprocité : « l’estime de soi », « la faculté que je m’accorde d’aimer et d’être aimé » et « l’ensemble des droits citoyens » (p.33-4).
La générosité va donc physiologiquement et neurobiologiquement de soi puisque, à en croire les scientifiques, elle solliciterait les mêmes aires du cerveau que le plaisir. Non seulement les comportements sociaux altruistes sont récompensés par une sensation hédonique, mais ils sont par ailleurs orientés puisque la stratégie évolutionniste du donnant-donnant privilégierait la solidarité mutuelle grâce à l’empathie morale. Si toutefois l’intelligence artificielle parvenait à recréer l’empathie telle qu’elle est éprouvée par les humains, les robots seraient-ils tous portés à l’altruisme ? A ce moment-là, pourquoi les récits et films de science-fiction en font-ils des machines rebelles et tueuses ? S’agit-il du fameux « complexe de Frankenstein » (4) identifié par Asimov ? Ou est-ce parce que l’impact positif de l’empathie sur l’environnement social est tributaire de l’utilisation qui est en faite ? En effet, bipolarité oblige (bienveillance/malveillance), l’empathie pourrait être récupérée à des fins moins vertueuses telle la manipulation : « ces machines conçues pour être capables de s’adapter au moindre de nos désirs auront des pouvoirs de séduction, et donc de manipulation, sans précédent » (p.13)
Les recherches qui explorent l’empathie homme-machine vont bon train et « portent sur trois domaines : mieux comprendre les émotions humaines, fabriquer les robots mieux acceptés par la majorité de la population, et, dans certaines circonstances, réduire la complexité des échanges de façon à les adapter aux handicaps de leurs interlocuteurs » (p.17), à l’instar du robot MOTI pour les enfants qui souffrent d’autisme. C’est parce que certains soldats développent une forme d’attachement pour leur robot que Serge Tisseron associe cette dernière à des occurrences d’empathie homme-machine et prépare « un test d’empathie mesurant ce risque d’attachement et ses conséquences » (p.44). Il en découle que toute dynamique psychoaffective d’attachement, besoin social primaire évident, sous-tendrait automatiquement au préalable un processus d’empathie. Au fil des chapitres, l’auteur finit par mettre habilement le doigt sur le nœud du problème qui se pose. Ce dernier est « moins celui de savoir si le robot aura un jour une “vraie intelligence” ou des “vraies émotions” que celui de comprendre pourquoi nous serons si facilement enclins à lui en attribuer. L’une des réponses se trouve à mon avis dans le caractère difficile et décevant, pour beaucoup d’entre nous, des relations avec nos semblables » (p.65).
Et de toute évidence, « le risque est que l’homme finisse par attendre de ses semblables qu’ils se comportent comme des robots » (p.71). L’autre dérive serait la tendance de l’homme à anthropomorphiser sa relation aux robots, surtout s’ils sont « appelés à devenir des partenaires de vie » (p.119). C’est un peu ce que fait l’auteur de ce livre lorsqu’il décline les quatre fonctions des robots. Serge Tisseron n’emploie pas des mots neutres comme les fonctions de servitude, de repère, de complicité et de partenariat, il parle de fonctions d’esclave, de témoin, de complice et de partenaire ! Serait-ce une manifestation de « Cet obscur désir qui nous attache aux objets » ? Ces fonctions correspondraient trait pour trait aux quatre désirs fondamentaux chez l’être humain (emprise, réciprocité, autonomie et servitude) illustrés par un diagramme synoptique (p.119), fonctions qui « rendent également compte des rôles que nous pouvons vouloir imposer à nos semblables » (p.120). Ces fonctions s’observent davantage au singulier (isolées) qu’au pluriel (combinées) car « Les objets qui nous entourent aujourd’hui ont peu de plasticité dans les changements possibles de rôles » (p.129), mais nous pouvons compter sur la culture numérique pour faire le lit des objets multifonctions, pour ne pas dire multi-identitaires.
« La fascination que les robots exercent sur nous trouve son origine dans notre désir de réunir trois domaines que l’homme a toujours été obligé d’aborder et de résoudre séparément : communiquer en utilisant ses cinq sens et les interfaces mimo-gestuelles dont la nature l’a pourvu ; contrôler totalement un objet au point de lui confier tout ou partie de lui-même en toute sécurité ; et voir devant lui les personnages qui peuplent son monde intérieur. Avant le développement des technologies numériques, ces trois désirs étaient satisfaits dans trois domaines distincts. […] Or ce sont ces trois domaines, et les désirs qui y sont associés, que les robots vont réunir sur eux » (p.179-80). La nouvelle mutation est en marche : « Les robots seront en effet à la fois et inséparablement un alter ego, un simple objet et une image » (p.182).
Le slogan du projet Feelix-croissance « Emotional robot has empathy n’est pas seulement un mensonge », nous dit-on en guise de conclusion, « c’est un poison qui pousse à la confusion entre l’homme et la machine, et qui risque de nous faire oublier qu’un robot “empathique” pourra être en même temps un espion invisible et permanent de tous les faits et gestes de son propriétaire » (p.161).
Big brother is watching you ! La réalité est en passe de dépasser la fiction dystopique et ce n’est sans doute qu’une question de temps. Autant faire preuve d’anticipation, mais pas dans l’écriture cette fois-ci.
Jean-François Vernay
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A propos de l'écrivain
Serge Tisseron
Serge Tisseron est né à valence le 8 mars 1948. Il est psychiatre, docteur en psychologie et psychanalyste, chercheur associé habilité à diriger des recherches (HDR) au Centre de Recherche Psychanalyse Médecine et Société à l’université Paris VII Denis Diderot.
A propos du rédacteur
Jean-François Vernay
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Essayiste et chercheur en littérature, Jean-François Vernay est notamment l’auteur de Panorama du roman australien des origines à nos jours (Paris, Hermann, 2009) qui paraîtra en 2016 en Australie dans une édition revue et augmentée sous le titre de A Brief Take on the Australian Novel. Son dernier livre documentaire Plaidoyer pour un renouveau de l’émotion en littérature (Paris, éditions Complicités, 2013) est aussi en cours de traduction.
Dignité humaine
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dignit%C3%A9
John Rawls considérait ainsi qu'on ne pouvait fonder une théorie de la justice sur la notion abstraite de dignité, qui requiert d'être définie par des principes déterminés11
La dignité, telle que conceptualisée par Kant dans la Critique de la raison pratique, est accordée à tout Homme en tant qu'être raisonnable. On cite souvent à cet égard la maxime kantienne de traiter toujours autrui comme fin et non simplement comme moyen9, qui selon Schulman influence par exemple la notion de consentement éclairé. Toutefois, la dignité kantienne se rapproche du stoïcisme en ce qu'elle est exclusivement la capacité d'agir moralement en dehors de déterminations empiriques, et sensibles, de la volonté. C'est pour Kant le devoir moral (l'impératif catégorique) d'agir librement, y compris et surtout contre les inclinations du désir et de la chair. La dignité kantienne se distingue donc fortement du respect de la vie en tant que vie sensible et souffrante : elle est au contraire respect de la liberté humaine, c'est-à-dire de l'Homme en tant qu'être suprasensible.
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