30/06/2010
L’oral du Capes des agrégation, un futur jeu de dupes.
La valorisation des réseaux sociaux et la recherche de l’émergence d’une forme moderne de vertu qui soient une forme d’épanouissement pour le plus grand nombre, doivent être considérés dans les hautes sphères dirigeantes comme le mal absolu.
A l’inverse, la mauvaise application des méthodes de gestion de la qualité qui font la part belle au secteur privé, les conforte et les réconforte… jusqu’à ce que ça donne naissance ou développe des réseaux sociaux corporatistes qui – même si leurs raisons sont bien fondées n’ont d’autre choix que de reproduire les divisions si néfastes à notre pays.
Relire aussi un texte de Paul VALERY sur les diplômes
Sur ce dossier, consulter quelques “sujets zéro” “Agir en fonctionnaire de l’Etat”
http://media.education.gouv.fr/file/agir_fonctionnaire/82...
http://media.education.gouv.fr/file/sujets_0/86/9/agir_fo...
Lire aussi le billet de Françoise GUICHARD présidente de "Reconstruire l'école" http://www.r-lecole.freesurf.fr/fguichardmais05.htm
Exemples de “sujets zéro, autres pour session 2011 : http://www.education.gouv.fr/cid49096/exemples-de-sujets....
Arrêté du 28 décembre 2009 (rechercher “Agir en fonctionnaire de l’Etat”)
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=?...
Tribune publiée dans Libération du 16 juin 2010
Membres du jury de l’agrégation externe de philosophie, nous n’accepterions pas d’être reconduits dans cette fonction si n’était pas supprimée la nouvelle épreuve, intitulée «Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable», introduite par arrêté ministériel pour la session 2011 dans les Capes et les agrégations de toutes les disciplines. Nous en dénonçons le principe et refusons catégoriquement de la faire passer. Elle tend à réduire l’éthique à l’application mécanique et servile de règles apprises. Elle dénature l’esprit des concours de recrutement des fonctionnaires. Ce faisant, elle porte atteinte à la conception républicaine du service public.
Il s’agit d’une épreuve orale susceptible de recevoir une note éliminatoire, que pourraient faire passer des membres du jury «aux compétences particulières», nommés à cette fin par le ministère, et non par le président du jury. Selon les exemples de sujets publiés sur le site du ministère, les candidats seront interrogés sur des situations pratiques de la vie scolaire et devront se prononcer sur le comportement correct à adopter. Dans certains cas, il s’agit simplement de connaître les lois et les règlements, le fonctionnement de l’institution : cela n’a rien de choquant. Mais, de quelque façon qu’on la prenne, cette épreuve ne se réduira pas à la vérification de telles connaissances factuelles. L’intitulé de l’épreuve, qui contient explicitement la notion d’«éthique», les exemples de sujets donnés par le ministère ainsi que les «compétences» qui, selon le texte d’un autre arrêté, doivent être évaluées à l’occasion de cette épreuve : tout montre qu’il s’agira bien, dans de très nombreux cas, de juger des valeurs et des dispositions morales des candidats, voire de leurs convictions politiques.
- Un sujet porte ainsi sur la discipline : jusqu’à quel point un enseignant aura-t-il le droit d’exiger celle-ci, quels moyens pourra-t-il employer ?
- D’autres sujets invitent à s’interroger sur les tâches complémentaires (outre l’enseignement) qu’il devra assumer, sur le degré de courage et de dévouement dont il devra faire preuve pour affronter la souffrance et la violence sociales qui minent l’institution scolaire.
A quelle utilité sociale, pourra-t-on encore lui demander, est soumise cette institution : doit-elle former des individus adaptés au monde socio-économique, adhérant avec confiance aux institutions existantes, ou doit-elle en priorité cultiver la pensée critique, l’esprit de libre examen et de doute, fût-il corrosif ?
Un dernier exemple : comment arbitrer, ayant en vue la réussite des élèves, entre le devoir d’appliquer les programmes, réformes, circulaires, projets d’établissements… et l’exercice de l’indépendance intellectuelle et pédagogique ?
De deux choses l’une. Ou bien ces questions importantes, qui donnent lieu à controverses et peuvent mobiliser des arguments solides en faveur de thèses opposées, sont réellement posées au candidat, comme des questions : un tel questionnement a-t-il sa place dans le cadre d’un concours ? Certes, chaque enseignant devra les affronter dans l’exercice de son métier. Mais précisément, pour qu’elles ne donnent pas lieu à de simples exercices rhétoriques portant sur des situations désincarnées, la réponse qu’elles appellent exige une immersion réelle et durable dans le milieu professionnel (faut-il le rappeler ? Le contexte de cette nouvelle épreuve est celui de la suppression de l’année de stage pratique qui suivait la réussite au concours). Et plus fondamentalement, il s’agit de décisions personnelles et intimes, qui relèvent d’un examen de conscience. En effet, la seule modalité légitime d’un «examen éthique» est la décision en conscience, qui prend appui sur une expérience et une démarche personnelles. Or devant la conscience s’arrête tout pouvoir qu’un individu prétend exercer sur un autre. Ce serait une prétention absolument exorbitante, de la part des examinateurs, que de se prévaloir de leur position pour juger les réponses du candidat ; donc de décider de son avenir professionnel en se fondant sur leurs propres convictions personnelles - à supposer qu’ils soient d’accord entre eux ! Ou bien, autre hypothèse, tout aussi inacceptable : ces questions n’ont pas vocation à être posées comme de véritables questions.
Un indice est sur ce point révélateur. Le ministère a indiqué dans des textes officiels, avec les suggestions de sujets (dits «sujets zéro»), les «pistes de réponses attendues». Ainsi, pour ces questions, il existerait des réponses correctes. Si tel est l’esprit de l’épreuve, il ne sera certes pas techniquement impossible de la faire passer. Mais elle sera tout à la fois indigne et désastreuse dans ses effets. Le candidat sera soumis à l’obligation de fournir la réponse éthiquement correcte.
- Soit il reconnaîtra un sujet publié par le ministère : il aura donc la chance de connaître par avance la «bonne réponse», la réponse institutionnelle.
- Soit il tentera de tirer celle-ci des généralités d’une doctrine apprise.
- Soit enfin il cherchera à deviner la réponse qu’attend le jury. Dans tous les cas, loin que le candidat soit incité à faire la preuve de son discernement et de son libre jugement, l’enjeu immédiat du concours le contraindra à donner une réponse convenue et hypocrite.
Cet oral deviendra ainsi un véritable jeu de dupes. Si l’on voulait ruiner le sens même de l’exigence éthique, on ne s’y prendrait pas autrement. Des associations de professeurs, des sociétés savantes, des départements universitaires, des jurys d’autres disciplines, des syndicats ont déjà exprimé avec force leur opposition à cette épreuve. Une pétition exigeant son retrait [lire ci-dessous] a en quelques semaines recueilli plus de 5 300 signatures. Le ministre, pour l’instant, est resté sourd à ces appels. Nous prendrons nos responsabilités en nous démettant s’il nous est demandé d’agir contre des principes sur lesquels nous ne pouvons pas transiger.
Signataires : Blaise Bachofen, Jean-François Balaudé, Joël Biard, Anissa Castel-Bouchouchi, Jacques Darriulat, Christian Dubois, Vanessa Nurock, Antoine Grandjean, Jean-François Lavigne, Éléonore Le Jallé, Marie-Frédérique Pellegrin, Sylvie Robin, Alexandra Roux, Gérald Sfez, Olivier Tinland.
11:31 Publié dans Enseignement, Modernité, Société et Justice | Lien permanent |
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