30/07/2010
Berceuses
« tu es là et je suis là
les yeux fermés du bonheur
pour voir la vie
qui nous passe
demain dessus demain dessous »Henri Meschonnic
26 avril 2010
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20/07/2010
Rencontres de Pétrarque - Dominique Schnapper « En qui peut-on avoir confiance ? »
Source :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/14/en-qui-peu...
http://www.politique-actu.com/debat/dominique-schnapper/1...
Interviews :
http://publi.franceculture.com/2010-07-16-25emes-rencontr...
Ce texte est extrait de "la leçon inaugurale" que prononcera Dominique Schnapper, lundi 19 juillet, à Montpellier, lors de l'ouverture des Rencontres de Pétrarque, organisées par France Culture et Le Monde dans le cadre du Festival de Radio France.
Ni les pratiques de la vie économique ni la légitimité du politique, c'est-à-dire de l'ordre social, ne pourraient se maintenir s'il n'existait pas un minimum de confiance entre les hommes et si ces derniers n'avaient pas un minimum de confiance dans les institutions.
C'est sur l'établissement de la confiance (outrust en anglais) entre le peuple et l'autorité politique que le philosophe anglais John Locke(1632-1704) faisait reposer le passage de l'état de nature à la société civile. Les rois, les ministres et les assemblées élues n'étaient, pour lui comme pour nous, que les dépositaires de la confiance provisoire que leur avait accordée le peuple. La démocratie, comme l'économie de marché, repose sur la confiance à l'intérieur comme à l'extérieur.
Nous sommes là dans l'idée abstraite de la société démocratique. Mais qu'en est-il aujourd'hui ? Nous serions à l'âge de la "société de défiance généralisée". Et les indicateurs en ce sens ne manquent pas.
Si la confiance semble souvent faire défaut, son érosion est révélatrice de l'une des tensions majeures de l'ordre d'une démocratie, la nôtre, qui est devenue, selon le mot que j'emprunte à Montesquieu, "extrême".
D'un côté, l'individu démocratique, source de la légitimité politique parce qu'il est citoyen, accepte mal de respecter les institutions en tant que telles, il admet difficilement qu'elles doivent être respectées parce qu'elles nous ont été transmises par les générations précédentes. Il admet difficilement que le respect des procédures légales donne leur légitimité aux institutions et aux décisions politiques. L'Homo democraticus entend soumettre les unes et les autres à sa critique. Il se donne le droit de manifester son authenticité et sa personnalité irréductibles à toute autre, donc à tout juger par lui-même. L'argument de la tradition ou de la légalité n'est plus considéré comme légitime.
Les sociologues observent, selon le titre d'un livre de François Dubet, Le Déclin de l'institution (Seuil, 2002), c'est-à-dire de toute institution. Mais, en même temps - c'est la source de cette tension -, le progrès technico-scientifique est si rapide et si brillant qu'il conduit même les savants les plus respectés à être de plus en plus spécialisés. En sorte que l'individu démocratique doit, plus que jamais, s'en remettre à la compétence des autres. Plus que jamais, alors que nous n'accordons pas spontanément d'autorité aux institutions, nous sommes obligés de croire ce que disent les autres, ceux qui savent ou sont censés savoir, et de faire confiance à leur compétence, baptisée dans un terme emprunté à l'anglais "expertise".
Déjà, Tocqueville l'avait pressenti et écrivait dans la seconde partie de la Démocratie en Amérique(1840) : "Il n'y a pas de si grand philosophe qui ne croie un million de choses sur la foi d'autrui et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu'il n'en établit (...) il faut donc toujours, quoi qu'il arrive, que l'autorité se rencontre quelque part dans le monde intellectuel et moral. Sa place est variable mais elle a nécessairement sa place."
Près de deux siècles après, cette analyse reste lumineuse. L'homme démocratique veut soumettre toute vérité et toute décision à sa critique, mais, en même temps, il est condamné à croire non plus "un", mais plusieurs "millions de choses sur la foi d'autrui". Notre autonomie intellectuelle n'a jamais été aussi affirmée, mais, en même temps, nos jugements reposent de plus en plus sur la confiance que nous sommes contraints d'accorder à autrui.
Il ne s'agit pas seulement de la recherche scientifique et de sa spécialisation accrue. Le progrès scientifico-technique rend l'organisation de la vie quotidienne rapidement obsolète et dépasse les capacités de compréhension de la majorité d'entre nous. Le développement de la démocratie providentielle est une autre source de complexité, elle multiplie les catégories et les dispositions législatives et administratives pour tenir compte des cas individuels et des circonstances particulières.
En sorte que nous dépendons plus que jamais étroitement des autres - de ceux qui maîtrisent la technique de nos ordinateurs et de notre déclaration fiscale, de ceux qui peuvent préciser nos droits à obtenir des aides ou des subventions, de ceux qui ont un avis fondé sur l'évolution du climat et sur le destin de la planète ; alors que nous ne cessons d'affirmer notre irréductible individualité et notre droit absolu à l'autonomie intellectuelle.
Contradiction à n'en pas douter. Ou dissonance cognitive pour parler dans les termes de nos savants psychologues sociaux.
Cette tension de l'ordre démocratique permet de comprendre pourquoi, s'agissant du politique, la position du citoyen respectueux des institutions démocratiques légitimes, mais critique - le citoyen est, par définition, critique - reste aussi difficile à maintenir. Nous risquons de céder au plaisir intellectuel de la dénonciation radicale, au nom de notre droit à juger absolument, facile à exercer dans les sociétés libres et souvent rentables dans le monde des intellectuels. La critique raisonnée et raisonnable, qui implique nécessairement la critique de la critique, définit pourtant le citoyen qui soumet librement les décisions prises par son gouvernement à l'épreuve de la raison.
Cela est d'autant plus difficile que la transparence de la vie publique est une exigence démocratique, puisque les gouvernants doivent rester sous le contrôle des citoyens. Or la transparence accrue de la vie politique a son effet pervers, elle a affaibli le caractère sacré du pouvoir qu'entretenait le secret qui entourait le monarque. La transparence, qu'il s'agisse des politiques ou même des grands entrepreneurs ou des grands commis de l'Etat, nourrit plus la méfiance que la confiance. Tous les êtres humains sont faillibles. Il n'est pas sûr qu'en les connaissant mieux on leur fasse une plus grande confiance.
La seule voie qui soit conforme à la vocation de la connaissance scientifique et aux idéaux de la démocratie, la seule à laquelle nous puissions faire une confiance critique, c'est celle de la raison. Elle refuse le relativisme absolu et l'idée que tout se vaut. Elle affirme que la recherche patiente, modeste, fondée sur le travail et la réflexion, permet d'atteindre non pas une vérité transcendantale que nos sociétés laissent à la liberté de chacun, mais des vérités scientifiques, c'est-à-dire partielles et provisoires, qui relèvent du développement de la connaissance rationnelle.
Il existe bien une forme de vérité, celle qui naît de la recherche lente, prudente et cumulative qui finit par entraîner, par corrections successives, l'accord de la majorité des savants. Il est vrai que les combats ne sont jamais définitivement gagnés et que le créationnisme est encore parfois enseigné comme une option scientifique parmi d'autres, mais personne ne prétend plus que la Terre soit plate et immobile.
Plus modestement, les sociologues ont montré, par exemple, qu'il ne suffit pas de mettre en présence des populations différentes pour que les phénomènes d'exclusion et de stigmatisation de l'autre, justifiés par des arguments divers, raciaux, ethniques ou sociaux, s'évanouissent par miracle. Les médecins, de leur côté, ont éradiqué nombre de maladies qui décimaient la population au cours des siècles passés.
Dans tous les cas, la reconnaissance et l'explication de la source des erreurs commises devraient démontrer le sérieux de l'entreprise de connaissance. C'est bien parce que le Groupe d'information sur l'évolution du climat (GIEC) a reconnu avoir fait des erreurs, dont il a expliqué l'origine, qu'il devrait nous inspirer confiance. Les données scientifiques sont falsifiables ou ne sont pas scientifiques.
Dans la société démocratique, scientifique et technique, où la division du travail et la complexité de l'organisation sociale n'ont cessé de croître, chacun est plus que jamais objectivement tributaire de l'activité et des connaissances des autres. La dépendance qui nous unit, aux plus proches comme aux plus lointains, n'a cessé d'augmenter depuis que le philosophe et sociologue allemand Georg Simmel (1858-1918), il y a plus d'un siècle, observait que l'existence de l'homme moderne tenait à cent liaisons, faute desquelles il ne pourrait pas plus continuer à exister que le"membre d'un corps organique qui serait isolé du circuit de la sève".
Jamais l'enchevêtrement des liens entre tous les individus créés par l'universalité des connaissances scientifiques et par l'argent, instrument des échanges économiques, n'a été aussi intense et n'a mis en relation autant de personnes par-delà toutes les frontières. Chacun est de fait condamné à faire confiance à la compétence des autres. Et l'on peut dire qu'en ce sens jamais la confiance n'a autant été au fondement de l'ordre social, national et international.
Mais cette dépendance est objective et abstraite. Si elle n'est pas soutenue par un minimum de confiance subjective, ne risque-t-elle pas de rester formelle ? Non seulement ces liens abstraits ont perdu la saveur et la signification des relations entre les personnes pour les remplacer par les seuls échanges entre des signes, mais le moyen risque toujours de devenir la fin de l'activité des hommes.
La confiance subjective ne suit pas la confiance objective. Les individus démocratiques, qui entendent exercer leur pleine autonomie intellectuelle et juger de tout par eux-mêmes, ne savent plus à qui faire confiance. Ils jugent que leur opinion vaut ce que vaut celle de tous les autres. Tout est opinion, observait déjà Tocqueville. En qui, en quoi avoir confiance ? La confiance subjective ne se décrète pas.
Dominique Schnapper, sociologue, membre du Conseil constitutionnel entre 2001 et 2010
Mot clés : Radio France - dominique schnapper - rencontre - Pétrarque
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09/07/2010
Marianne s’engage : Et après, on brûlera les dictionnaires?
http://www.marianne2.fr/Et-apres-on-brulera-les-dictionna...
Jeter un oeil aussi sur "Corriger" de Jean-Paul Brighelli sur le blog Bonnet d'Âne http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2010/07/09/corrig...
Et après, on brûlera les dictionnaires?
Eric Conan | Vendredi 9 Juillet 2010 à 17:01 | Lu 2494 fois
L'Académie de Créteil a fait rédiger par les élèves de 700 classes de CE2, CM1 et CM2 un dictionnaire de 7000 mots, histoire de dépoussiérer un peu la langue française. Et sans intervention des instituteurs. Le résultat est à la hauteur des espérances : un nouveau désastre à mettre au crédit du pédagogisme.
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LYCÉE JEAN LURÇAT: ILS SONT NÉS LES DIVINS ENFANTS!
L’actualité nous offre parfois des situations aussi pures et symboliques que des expériences en laboratoire, cristallisant en un instant tous les paramètres d’une loi scientifique ou d’une hypothèse sociologique.
L’affaire du « Dictionnaire des élèves » de l’Académie de Créteil constitue l’un de ces modèles de transparence révélant à quel point l’idéologie pédagogiste reste puissante à tous les niveaux de l’appareil éducatif, se montrant toujours aussi déterminée sur ses objectifs qu’aveugle sur ses résultats.
Tous ses poncifs – l’élève au centre du système, l’enseignement par le jeu, la soumission des contenus au monde extérieur, le jeunisme - étaient en effet réunis dans cette opération consistant à doter les élèves d’un dictionnaire écrit par eux-mêmes pour leur donner un outil plus moderne que tous ces vieux dictionnaires d’adultes qu’ils ne comprennent pas.
Pendant toute l’année scolaire, un dictionnaire de 7000 mots a ainsi été entièrement rédigé par des élèves de CE2, CM1 et CM2 de l’Académie de Créteil. Chacune des 700 classes des trois départements (Seine-Saint-Denis, Seine-et-Marne, Val-de-Marne) se sont vues attribuer dix mots pour lesquels elles devaient rédiger une définition, trouver des synonymes et proposer des phrases les employant.
Tout cela, évidemment en ne consultant pas les dictionnaires ringards qui se trouvent peut-être encore sur quelques étagères poussiéreuses, mais en utilisant les immenses ressources propres des élèves que les enseignants devaient se garder d’influencer ou d’orienter par leur propre savoir.
Le rectorat précisait que cette opération, placée sous la direction du nouveau « Correspondant académique en charge de l’illettrisme », avait été organisée en partenariat avec l’association de lutte contre l’illettrisme « Lire et faire lire » fondée par Alexandre Jardin, lequel a souligné que ce projet constituait « la meilleure politique anti-violence ».
« Nous avons décidé d’explorer cet outil parce que nous avions besoin d’un projet-phare pour dynamiser les pratiques en classe », a expliqué de son côté le rectorat. Le raisonnement est imparable : de plus en plus d’élèves ont des difficultés en Français ? Au diable l’instruction, vive l’autogestion : le meilleur moyen de leur permettre d’être au niveau est de ne pas les intimider par le vocabulaire qu’ils ne connaissent pas et de les laisser définir eux-mêmes leur langage.
Mais en faisant fonctionner l’institution éducative à l’envers – non pas défaire les préjugés et l’ignorance par l’accès à la connaissance commune mais donner à ces préjugés valeur de savoirs légitimes – l’on aboutit inévitablement à des petits problèmes, d’autant plus que ce dictionnaire si moderne fut évidemment mis en ligne sans interférence pour conserver la pureté de l’expérience.
Comme l’expliquait au Figaro le rectorat de Créteil : « Nous avons pris les mots les plus courants de la langue française. Il ne faut pas lire les définitions avec nos yeux d’adultes, ce sont les enfants qui les ont élaborées. Le rectorat n’est quasiment pas intervenu sur le sens, pour conserver cet aspect ».
Cela se voit.
- L’on a ainsi pu lire que le « pape » est « le représentant de Dieu sur terre ».
- Les exemples pour « fille » et « femme » sont conformistes ou étranges :
« cette femme est belle », « cette fille me donne froid au dos », « j’ai trouvé une jeune fille dans la forêt ».- Pour « chrétien », l’exemple retenu est : « les chrétiens partent en croisade pour défendre le tombeau du Christ en Terre sainte ».
- Pour « juif » : « un juif va s’installer dans notre immeuble ».
- Et « Arabe » figure avec la connotation essentialiste propre aux intégristes et aux racistes (« je suis arabe et je fais l’aïd »).
Mais l’on ne trouve pas trace, dans ce dictionnaire de l’enseignement public, du mot « laïcité ». Sans parler d’« athée » ou « homosexuel ».
C’est toute une collection d’approximations et de préjugés qui sont ainsi légitimés par l’institution scolaire alors que son rôle est de les combattre.
L’école républicaine avait pour objectif de sortir les élèves de leurs trous, de leurs familles, de leurs œillères, pour les instruire d’un savoir extérieur afin de leur permettre de dépasser ce qu’ils étaient au départ : petits paysans, petit-bourgeois, petits provinciaux, petits parisiens, petits immigrés.
L’école méritocratiques s’efforçait, non sans rudesse parfois, de rendre les élèves « autres » que ce qu’ils étaient au départ - leur dépendance à l’égard de leur milieu familial, local, culturel ou religieux - par la constitution d’un libre-arbitre et la transmission de savoirs universels et de savoir-faire nouveaux.
Dans l’initiative du dictionnaire, cet objectif est abandonné au profit d’une reconnaissance et d’une valorisation de la culture ambiante : que chacun reste dans son jus.
Après avoir été légèrement expurgé des détails les plus gênants, une version papier de ce dictionnaire nombriliste va être tirée à plusieurs milliers d’exemplaires pour que chaque classe de l’Académie de Créteil puisse disposer dès la rentrée de cet outil indispensable à la poursuite du désastre scolaire.
19:00 Publié dans Enseignement, Modernité, Société et Justice | Lien permanent |
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04/07/2010
Démarches créatives & méthodiques pour élaborer les politiques publiques
Publication sur Internet ACTU.net :
Pour un design des politiques publiques (http://www.la27eregion.fr/)
Design et politique : voilà deux mots qui ressemblent à la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection. C’est pourtant ces deux termes qui fondent la 27e Région, ce laboratoire d’innovation publique lancé début 2008, avec le soutien de l’Association des régions de France, la Caisse des Dépôts, la Commission européenne, et incubée à la Fing. Ce sont aussi les deux termes qui composent le titre du livre que ce laboratoire vient de publier à la Documentation Française : Design des politiques publiques, ce qui consiste, comme l’explique le designer Romain Thévenet, chargé de mission dans ce laboratoire en avant-propos de l’ouvrage, à appliquer une démarche créative méthodique à la façon de faire de la politique. “Notre démarche consiste à imaginer une “conception” de l’action publique – au sens où l’entend l’innovation sociale, c’est à dire de repenser les systèmes “avec et pour les gens”.
A l’occasion de la parution du livre nous publions l’avant-propos signé Stéphane Vincent, directeur de ce laboratoire “de transformation publique” – rien de moins ! – qui revient sur le rôle et le sens de la 27e Région.
Que se passe t-il lorsque l’on crée un cadre expérimental au sein de l’action publique, un espace dans lequel il est permis d’essayer des choses différentes, sans que cela ne vous le soit reproché ? Une forme de “hacking” mené avec l’adhésion de l’acteur public et même son soutien actif !
Nous avons débuté à tâtons, tout d’abord en interrogeant des entrepreneurs sociaux et numériques, des designers, des collectifs d’intervention urbaine, des acteurs du développement local. Avec des élus et des agents de collectivités, nous sommes allés à la rencontre de l’innovation sociale britannique, et pour ne pas trahir notre culture latine, nous nous sommes penchés sur les nouvelles pratiques du design et de l’innovation sociale vues en Italie, en Espagne, en Amérique du Sud, et partout en France, du Massif central à l’Ile-de-France. Mais surtout, en collaboration avec les Régions et les communautés locales, nous avons testé de la façon la plus concrète possible des méthodes d’innovation sociale, sur des terrains allant du lycée à la maison de santé, et du village au quartier, à travers notre programme “Territoires en Résidences“. C’est du fruit de ces rencontres, de ces expériences et de nos analyses dont nous aimerions témoigner dans cet ouvrage.
Image : l’ouvrage lors de sa présentation au dernier Salon du Livre, par la 27e Région.
La crise du management public
Le point de départ de notre travail, c’est la crise qui touche, selon nous, le “nouveau management public”, ce mode de gestion inspiré du fonctionnement des entreprises du siècle dernier. Elus qui décident et votent des lois qui s’empilent, administrations qui exécutent et délivrent des services, usagers priés de les utiliser… Il y a dans ce modèle une lecture bancale de la modernisation, basée sur la fixation d’objectifs, l’externalisation à outrance, l’audit permanent. Elle génère de la souffrance chez les agents, organise le système en silos, détruit jour après jour les valeurs de solidarité, de partage, et toutes les formes d’ajustements qui existaient auparavant dans les services publics.Même l’OCDE constate que cette pensée a conduit à une dégradation de la qualité des services publics, ainsi qu’à un accroissement de l’inégalité d’accès à ces services (.pdf).
L’innovation vue par le nouveau management public est pour l’essentiel une vision comptable et techno-centrée : au risque de caricaturer, ’administration électronique a surtout permis de numériser des fonctionnements sans vraiment chercher à les renouveler… Vocabulaire bureaucratique, absence d’ergonomie démocratique, tout concourt à ce que la machine se replie sur elle-même. Au-delà des soubresauts de la modernisation administrative, le modèle politique et administratif français, né sous la Révolution et le Premier Empire, donne l’impression de ne s’être jamais véritablement transformé. La société peut bien enchaîner les tsunamis technologiques, géopolitiques et financiers, rien n’y fait ou presque : la matrice reste globalement la même.
Les institutions ont certes prévu des mécanismes d’ajustement, comme les dispositifs de démocratie participative, mais ce sont avant tout des créations de l’institution, conçues autour d’elle et non des individus. Au-delà des grands principes de citoyenneté et de démocratie active, dans la pratique, l’individu n’a qu’une valeur de consultation, jamais de construction.
On pourrait simplement s’en désoler, et même regretter que la démocratie en sorte vaguement affaiblie – ça va tellement plus mal ailleurs ! Le problème est que le système actuel n’est pas de taille à affronter les nouveaux défis sociaux, écologiques, énergétiques et technologiques. Le niveau de mobilisation, de souplesse, de dialogue, d’ouverture, d’apprentissage, de transversalité nécessaire est tel qu’à fonctionnement égal, il ne parviendra pas à faire face. Il faut donc imaginer, concevoir – “designer” en somme – autre chose…
L’individu en otage
Selon nous, le principal reproche à faire au “nouveau management public” est qu’il voit les individus comme des objets passifs, isolés, désincarnés – en aucun cas comme des sujets actifs, sociaux, sensibles, capables de prendre leur part à la production de l’intérêt général.
Les fonctionnaires eux-mêmes, pris au piège d’une obligation de réserve décidée au début des années 80, n’ont pas la capacité de contribuer quotidiennement à l’amélioration du système, en dehors des mouvements syndicaux.
Les français seraient-ils plus passifs qu’ailleurs ? Vraisemblablement pas, lorsque l’on observe la vigueur du bénévolat et du mouvement coopératif et associatif de proximité, y compris en période de crise. Le nouveau management public ne prend pas en compte toute cette énergie individuelle et collective. Bien entendu, il la soutient, la subventionne… mais il n’y voit presque jamais une source d’inspiration pour se transformer lui-même en profondeur.
Notre sentiment est que les choses fonctionnent mieux lorsqu’on y associe très étroitement les gens. Depuis l’internet, l’open source ou même Google, on sait qu’en leur fournissant un cadre et des outils facilitant, ils sont plus enclins à construire collectivement des réponses, y compris à grande échelle. Ceci ne veut pas dire que chaque individu doit participer tout le temps, ni pour tout et en toute circonstance ; mais que chacun peut être mis en capacité de proposer, de contribuer, de prendre part à l’élaboration de l’intérêt général. Changer notre regard sur les capacités des gens ne va pas tout bouleverser. Mais cela va libérer de nouvelles marges aujourd’hui cadenassées. Si une école se crée dans mon quartier, m’offre t-on la possibilité de prendre part à sa conception ? Si je suis retraité et que j’ai du temps libre, me propose t-on un cadre facilitant pour aider mes voisins ? Mon expertise du quotidien est-elle moins utile que celle des spécialistes ?
La méthode, un sujet politique
Bien entendu, mieux mobiliser les populations est un sujet important pour de nombreuses collectivités locales. Mais au cours de nos expériences, nous avons été frappés de voir à quel point elles étaient, en général, peu en mesure d’y répondre.
Dans toutes les grandes organisations, des centres de recherche & développement orientent tous leurs travaux autour des utilisateurs : ils les associent à l’amélioration de leur propre fonctionnement, au prototypage de nouveaux services et à des expérimentations. Lorsque cette fonction n’est pas incarnée par un bureau spécifique au sein de l’entreprise, il s’agit au minimum d’une démarche qui irrigue l’organisation.
A contrario, presque aucune administration ou collectivité ne s’est dotée d’une telle démarche, de la Commission européenne jusqu’aux municipalités. Comme si la mise en oeuvre des politiques publiques devrait être un acte magique, capable de se réajuster tout seul, sans passer par des phases d’expérimentation ni de regard critique. Et plus qu’ailleurs, la recherche est soigneusement tenue à distance de la pratique.
Très peu d’élus occupent des mandats dans ce domaine, comme si la question de la méthode et des modes opératoires de l’action publique était perçue comme un sujet d’intendance.
Le temps et l’espace pour la réflexion critique ne sont pas disponibles : c’est la dictature du “nez dans le guidon”. Pourtant, il y a bien dans chaque méthode, implicite ou explicite, un élément de différenciation politique majeur, et à l’avenir, il nous paraît essentiel de changer le regard des élus sur cette dimension, d’anoblir les questions méthodologiques à leurs yeux.
Pour un design des politiques publiques
Comment tendre vers une forme de co-conception de l’action publique ? Inutile de chercher dans cet ouvrage la liste de tous les chantiers à lancer pour y parvenir, en particulier sur le plan politique, législatif et même constitutionnel… le terrain de jeu de la 27e Région est plus naturellement celui des méthodes, des outils, des stratégies, des stratagèmes, et de toutes les formes d’ingénieries qui permettent de favoriser l’innovation sociale et de mobiliser la créativité des populations.
Dans cette première édition, nous avons voulu montrer qu’aujourd’hui, cette vision nouvelle transcende les disciplines. De façon visible et sans qu’ils en aient toujours conscience, un trait d’union rassemble ces designers, architectes, urbanistes, artistes, sociologues, entrepreneurs, innovateurs numériques, responsables associatifs, fonctionnaires et agents dont les réalisations sont décrites dans cet ouvrage : la plupart sont en dissidence avec les doctrines de leur profession d’origine.
Ils ne croient pas à une forme d’expertise supérieure, en surplomb des gens, mais à la pédagogie et à l’émancipation des individus. Leur credo est celui de l’innovation sociale, l’innovation “par les gens et pour les gens”.
Stéphane Vincent, directeur de la 27e Région.
Cette première édition, dont la rédaction a été coordonnée par Anne Daubrée, a été conçue comme un livre-outil, avec des entrées multiples. Il y est décrit l’application de ces méthodes dans six thèmes, qui regroupent les expériences que nous avons menées, ou que nous avons identifiées en France et dans le monde. Ces thèmes, sans ordre de priorité, sont l’éducation, la prospective territoriale, l’isolement rural, les technologies relationnelles, la modernisation administrative et les enjeux énergétiques. Chacun d’eux débute par la description d’un des projets que nous avons menés dans le cadre du programme Territoires en Résidences, puis se poursuit par d’autres réalisations et d’autres méthodes – une trentaine au total et dont les auteurs sont présentés en fin d’ouvrage. En conclusion de chaque partie, nous proposons quelques enseignements, à portée tactique, stratégique ou plus politique. Pour enrichir cette succession de cas, nous les avons entrecoupé d’interviews réalisées en exclusivité auprès de six personnalités : Il s’agit de François Taddei, Catherine Fieschi, Charles Leadbeater, Bernard Stiegler, Marjorie Jouen, et Patrick Viveret. En fin d’ouvrage, « les mots du design des politiques publiques » est une tentative de dessiner les contours d’un univers, fait des valeurs, des outils, des disciplines dont la maîtrise nous semble essentielle aujourd’hui.
Bonne lecture, et bienvenue dans le laboratoire de la 27e Région !
Le bilan 2009 de la 27e Région
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