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14/03/2011

Techno-Sciences.net - Une percée dans la conception de moteurs moléculaires

Physique

Posté par Michel le Samedi 5 Mars 2011 à 12:00:11

Une percée dans la conception de moteurs moléculaires

Des chercheurs du CNRS (Le Centre national de la recherche scientifique, plus connu sous son sigle CNRS, est le plus grand organisme de recherche scientifique public français (EPST).) et de l'Université de Bordeaux, en collaboration avec une équipe chinoise(1), ont réalisé le premier piston moléculaire capable de s'auto-assembler.
Ces recherches représentent une avancée technologique significative dans la conception de moteurs moléculaires. Un tel piston pourrait, par exemple, servir à fabriquer des muscles artificiels ou à créer des polymères à la rigidité contrôlable.
Ces résultats sont publiés le 4 mars 2011 dans la revue Science.

Les organismes vivants ont largement recours à des moteurs moléculaires pour remplir certaines de leurs fonctions vitales comme stocker l'énergie, permettre le transport cellulaire ou même se propulser dans le cas des bactéries (Les bactéries (Bacteria) sont des organismes vivants unicellulaires procaryotes, caractérisées par une absence de noyau et d'organites. La plupart des bactéries possèdent une paroi cellulaire glucidique...).
Les agencements moléculaires de ces moteurs étant extrêmement complexes, les scientifiques cherchent à créer leurs propres versions, plus simples.
Le moteur développé par l'équipe internationale emmenée par Ivan Huc(2), chercheur CNRS  au sein de l'Unité "Chimie et biologie des membranes et des nano-objets" (CNRS/Université de Bordeaux), est un "piston moléculaire". Comme un véritable piston, il est constitué d'un axe sur lequel glisse une pièce mobile, à la différence près que l'axe et la pièce ne mesurent que quelques nanomètres de long.


a) Assemblage irréversible d'un axe et d'un anneau glissant le long de ce dernier.
b) Assemblage réversible d'une hélice s'enroulant lentement autour d'un axe puis glissant rapidement sur celui-ci.

Plus précisément, l'axe est formé d'une molécule longiligne, tandis que la pièce mobile est une molécule en forme d'hélice (toutes deux sont des dérivés de molécules organiques spécialement synthétisés pour l'occasion). Comment le mouvement de la molécule hélicoïdale est-il possible le long de l'axe ? C'est l'acidité du milieu dans lequel baigne le moteur moléculaire qui contrôle (Le mot contrôle peut avoir plusieurs sens. Il peut être employé comme synonyme d'examen, de vérification et de maîtrise.) l'avancée de l'hélice sur l'axe: en augmentant l'acidité, on pousse (Pousse est le nom donné à une course automobile illégale à la Réunion.) l'hélice vers une extrémité de l'axe, car elle possède alors une affinité pour cette portion de la molécule filiforme ; en réduisant l'acidité, on inverse le processus et l'hélice fait machine arrière.
Ce dispositif offre un avantage essentiel par rapport aux pistons moléculaires déjà existants: l'auto-assemblage. Dans les versions précédentes, qui prennent la forme d'un anneau glissant sur une tige, la pièce mobile passe mécaniquement à travers l'axe avec une extrême difficulté. A l'inverse, le nouveau piston se construit tout seul: les chercheurs ont conçu la molécule hélicoïdale spécifiquement pour qu'elle vienne s'enrouler spontanément autour de l'axe, tout en conservant une certaine liberté de mouvement ensuite pour ses déplacements latéraux.
En permettant une fabrication à grande échelle du piston moléculaire, cette faculté d'auto-assemblage laisse espérer voir fleurir rapidement des applications. Les domaines concernés sont variés: biophysique (La biophysique est une discipline à l'interface de la physique et la biologie où les outils d'observations des phénomènes physiques sont appliqués aux molécules d'intérêt biologique.), électronique, chimie (La chimie est la science qui étudie la composition et les réactions de la matière.)... En greffant bout à bout plusieurs pistons, on pourrait, par exemple, réaliser une version simplifiée d'un muscle artificiel, capable de se contracter sur commande (Commande : terme utilisé dans de nombreux domaines, généralement il désigne un ordre ou un souhait impératif.). Une surface (Il existe de nombreuses acceptions au mot surface, parfois objet géométrique, parfois frontière physique, souvent abusivement confondu avec sa mesure - l'aire ou la superficie.) hérissée de pistons moléculaires deviendrait, à loisir, un conducteur ou un isolant (Un isolant est un matériau qui permet d'empêcher les échanges d'énergie entre deux systèmes. On distingue : les isolants électriques, les isolants thermiques, les isolants phoniques et les isolants mécaniques. Le contraire d'un isolant est un conducteur (électricité et chaleur), ou transmetteur (mécanique et son).) électrique. Dernière idée: on peut imaginer une version grand format de l'axe sur lequel glisseraient plusieurs hélices, ce qui fournirait un polymère à la rigidité mécanique (Dans le langage courant, la mécanique est le domaine des machines, moteurs, véhicules, organes (engrenages, poulies, courroies, vilebrequins, arbres de transmission, pistons, ...), bref, de tout ce qui produit ou transmet un mouvement, une force, une déformation. On parle ainsi de mécanique générale, de génie mécanique, de mécanique automobile, de sports...) ajustable. On le voit, les possibilités de ce nouveau piston moléculaire sont (presque) infinies.
Notes:
(1) du Beijing National Laboratory for Molecular Sciences
(2) Son équipe fait partie de l'Institut européen de chimie et biologie.
Références:
Helix-Rod Host-Guest Complexes with Shuttling Rates Much Faster than Disassembly. Quan Gan, Yann Ferrand, Chunyan Bao, Brice Kauffmann, Axelle Grélard, Hua Jiang, Ivan Huc. Science. 4 mars 2011.

Source: CNRS
Illustration: © Yann Ferrand / CNRS

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21/11/2010

Qu'est-ce que "savoir" ? Comment être maître de son rapport au monde ?

Vidéo d'une conférence passionnante et d'une grande clarté de Rudolf Bkouche :

Enseigner ou former, la place du savoir dans l'enseignement

On enseigne des savoirs, on forme des individus. D’un côté, le projet issu des Lumières de l’émancipation des hommes, de l’autre, l’adaptation des hommes aux besoins de la société.

La question se pose d’autant plus que, dans la société dite de la connaissance, le savoir est renvoyé aux machines, les hommes n’étant plus que les rouages de la machine économique.

Dans ce cadre, l’université se situe sur une ligne de crête. D’une part, elle reste un lieu de liberté de la pensée, d’autre part, elle est soumise aux normes d’une société réduite à n’être qu’une machine économique. En ce sens, la question de la place des savoirs dans l’enseignement est fondamentale.

Support texte en 2 pages ici

Texte sur les pseudosciences au sein du système d'enseignement ici

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23/06/2010

VIVAGORA – Biologie Synthétique

  1. lundi 13 octobre 2008 - Biologie synthétique : des enjeux faramineux par Dorothée Benoit-Browaeys
    popularité : 4%
  2. vendredi 21 mai 2010 - Ne pas ouvrir la boîte de Pandore de la biologie synthétique par Hervé Le Crosnier popularité : 12%
  3. lundi 24 mai 2010 - Prométhée, Pandore et Petri par Philippe Marlière
    popularité : 100%
  4. mercredi 23 juin 2010 - Quel agenda politique pour la biologie de synthèse ? par Joël de Rosnay
    popularité : 28%

Biologie synthétique : des enjeux faramineux

Soixante-dix entreprises, près de dix mille laboratoires dans le monde, et pas moins de 18 programmes européens se consacrent actuellement à la biologie synthétique.

Leur objectif : construire des systèmes vivants comme on élabore des machines, en assemblant des modules fonctionnels.

Il ne s’agit plus ici de manipuler le vivant, mais bien plutôt de construire des organismes de pièce en pièce !

Deux réalisations-phares publiées en 2000, ont donné le coup d’envoi de ce secteur :

  • la première, celle de Tim Gardner et Jim Collins est une bactérie contrôlable par un interrupteur ;
  • la seconde, de Stanislas Leibler et son élève Michael Elowitz, est un réseau moléculaire capable d’induire rythmiquement la synthèse d’une protéine.

En transformant des microsystèmes en systèmes pilotables, ces auteurs ont démontré que l’on pouvait concevoir – faire le design – de modules standards capables d’animer des organismes vivants, comme on construit des circuits électroniques avec des composants réalisant chacun une fonction.

La vie comme un jeu

Depuis, la démarche ne cesse de rallier des émules. Surtout depuis 2004, date du lancement par trois ingénieurs du MIT (Institut de technologie du Massachusetts) du concours international de machines génétiques (iGEM) (1).

Chaque année, une soixante d’équipes de jeunes post-doc et thésards issus de tous les coins du monde, formés à l’informatique, la biologie moléculaire, la chimie… partagent leurs innovations : bactéries clignotantes, pilotables, capables d’apprentissage, pourvoyeuses d’énergie… Et ils ne manquent pas d’apporter au « pot commun » leurs « biobriques », ces composants stratégiques à partir desquels les chercheurs espèrent pouvoir fabriquer une sorte de « microbe-chassis ». Ici la règle du jeu c’est l’open-source.

On en compte environ 3 000 aujourd’hui, dans le « Registre des éléments standards » mis en place au MIT (2).
Publications et investissements se déploient pour faire produire des substances inédites à des levures (l’artémisinine par exemple pour lutter contre le paludisme) ou à des bactéries (l’hydrogène ou des carburants). La fondation Bill et Melinda Gates a versé 42,5 millions de dollars, en 2004, pour soutenir l’Université de Berkeley, OneWorld Health et Amyris Biotechnologies dans le développement d’usines microbiennes à artémisinine.

Cette démarche de « legos génétiques » est complétée par une approche inverse dite « descendante » qui consiste à déterminer les « génomes minimaux » suffisant à « faire tourner » un organisme vivant. Il s’agit de dépouiller les génomes de toutes les informations superflues.

Les premières tentatives ont ciblé le patrimoine génétique des virus, formes de vies parasites les plus simples. Ainsi le virologiste américain Eckard Wimmer a élaboré en 2002 un poliovirus, à partir de « pièces détachées » (3) ; puis fut reconstitué, en 2005, un autre agent virulent, le virus de la grippe espagnole (4). Mais c’est surtout Craig Venter, champion du séquençage du génome humain et déjà surnommé le « Bill Gates de la vie artificielle » (5) qui devrait battre tout le monde sur le fil : il a annoncé en janvier 2008 avoir synthétisé le chromosome artificiel minimal, constitué de 386 gènes, de la bactérie modèle Mycoplasma genitalium. Reste à le réintroduire dans une bactérie sans noyau et vérifier que ça marche !

Risques, information et gouvernance

Avec comme horizon la fabrique d’organismes vivants artificiels, la biologie synthétique soulève des questions vertigineuses en matière de sécurité, de protection, de contrôle.

Le bioterrorisme va être de plus en plus difficile à contrôler d’autant que ces outils moléculaires sont faciles d’accès et leurs prix deviennent dérisoires.

Du côté économique, le risque de monopoles va aller croissant par le dépôt de brevets sur les génomes minimaux aux revendications très larges. En janvier 2007, le groupe ETC produisait un gros rapport de 65 pages intitulé « Ingénierie génétique extrême : une introduction à la biologie synthétique » (6) qui critiquait les tentations monopolistiques qui reproduisent les dominations de Microsoft (en informatique) et de Monsanto (en agriculture).

D’autres rapports soulignent la difficulté de contrôle de ces créations (7). Les options techniques de confinement sont peu convaincantes : isolement en laboratoire P4 ou P5, confinement alimentaire… Certains chercheurs comme Philippe Marlière, fondateur de la société Isthmus (Evry), propose de s’éloigner le plus possible des organismes naturels pour assurer l’étanchéité entre les mondes (8).

Le Conseil international sur la gouvernance des risques (basé en Suisse) a planché sur « les risques et opportunités, générés par la biologie synthétique ». Son rapport s’achève par une avalanche de questions (9) à l’instar du document publié par les deux Britanniques Andrew Balmer et Paul Martin en mai 2008 (10) qui pointe la nécessité d’associer la société civile à l’information et à la démonstration des avantages sociaux potentiels. « Des expériences d’engagement précoce des parties prenantes doivent être menées pour clarifier ce qu’est une science socialement acceptable », concluent les deux auteurs.

C’était déjà la revendication des trente-huit associations qui, dès mai 2006, à l’occasion de la conférence Synbio 2.0 (11) avaient rédigé une lettre ouverte (11) pour s’opposer à une autorégulation de ces activités par les scientifiques eux-mêmes.

(1) Les plus importantes sociétés aux Etats-Unis sont Codon Devices, Amyris Biotechnologies, Genencor, DuPont, EraGen Biosciences, Firebird Biomolecular Sciences, LS9 et Agrivida.
(2) http://2008.igem.org
(3) http://parts.mit.edu
(4) J. Cello, A.V. Paul and E. Wimmer, Science 297 (2002), pp. 1016–1018
(5) Terrence M. Tumpey et al, Characterization of the reconstructed 1918 Spanish influenza pandemic virus, Science 310 (2005), pp. 77–80
( 6) http://www.vivagora.org/spip.php ?page=recherche&recherche=craig+venter&bouton_ok=OK
(7) Michele Garfinkel, S Endy et Al. Synthetic Genomics : options for governance http://www.jcvi.org ; voir aussi le programme européen Synbiosafe, http://www.synbiosafe.eu/
(8) http://www.vivagora.org/spip.php ?breve150
(9) Note conceptuelle Irgc 2008, Biologie synthétique : Risques et opportunités d’un domaine émergent.
(10) Andrew Balmer, Paul Martin. Synthetic Biology : Social and Ethical Challenges, commandité par le Conseil de la recherche en biotechnologie et en sciences biologiques (BBSRC)
(11) Deuxième conférence de la série 1.0, 2.0 et 3.0 qui se sont tenues respectivement au MIT, à Berkeley, et à Zurich. La prochaine Synbio 4.0 est prévue en octobre 2008 à Hong Kong
(12) http://sciencescitoyennes.org/article.php3 ?id_article=1497

Prométhée, Pandore et Petri

Dans ce texte vif et acéré, Philippe Marlière, directeur d’Isthmus (Genopole) envoie ici la réplique à l’article d’Hervé Le Crosnier, paru vendredi 21 mai 2010. Avec ce grand écart, le débat sur la biologie synthétique, ouvert par VivAgora par son cycle 2009 sur l’ingénierie du vivant 2.0, gagne en intensité. Vos réactions sont les bienvenues

Le succès expérimental de l’équipe académique de Craig Venter dans l’incarnation d’un génome de synthèse vient d’être annoncé à grand renfort de media. Le jour même de la publication des travaux, le Président Obama a diligenté une analyse prospective technologique et éthique, donnant une résonance politique à la technologie naissante.

Il est aisé de soutenir que la procédure biologique élaborée par l’équipe de Venter est sans précédent, rejoignant ainsi une infime catégorie de processus qui n’ont pas d’équivalent dans la nature. Même le clonage de la brebis Dolly par l’équipe de Wilmut, il y a quinze ans, qui causa une commotion morale universelle, n’entre pas dans cette étroite catégorie, car des transplantations nucléaires de cellules somatiques dans la lignée germinale de certains vertébrés sont suspectées de survenir naturellement. La réaction en chaîne par fission nucléaire, par laquelle Fermi inaugura la conquête du noyau atomique en 1942, semble elle aussi s’être produite dans certaines configurations géologiques naturelles, il y a plusieurs milliards d’années.

L’importance de l’exploit de Venter et al. peut donc difficilement être exagérée, en dépit de l’attitude hors-norme de celui-ci, auquel il plaît de choquer les bien-pensants urbi et orbi, et du dépit occasionné chez des compétiteurs rivalisant d’emphase avec lui mais moins capables que lui de mobiliser l’audace individuelle et les fonds exigés par une entreprise de cette envergure. Le parallèle avec le Manhattan Project, jadis conduit par Robert Oppenheimer pour faire détoner les premières bombes atomiques, paraît pertinent, même si l’organisation de la recherche en énergétique nucléaire et en biologie synthétique ne se déploient pas au moyen des mêmes équipements, périlleux ou anodins, suivant les mêmes modalités, civiles ou militaires ni aux mêmes fins, guerrières ou pacifiques.

Une banale boîte de Pétri est l’emblème du succès de Venter et al., non un champignon mortifère. On ne trouverait pas, dans l’arsenal du Venter Institute, d’appareil, de molécule ni de cellule que la pratique habituelle des biotechnologies réprouverait ou exigerait de contrôler de façon draconienne.

Chacune des opérations que son équipe et ses fournisseurs accomplissent est réalisée séparément dans des milliers de laboratoires, en particulier la synthèse chimique d’ADN, la PCR, le clonage dans des chromosomes artificiels de levure.

C’est la commande automatisée de l’enchaînement ordonné de caractères ACGT, accomplie suivant des instructions dictées par l’homme mais sans son intervention au cours de la synthèse, pour résulter en l’assemblage final d’un peu plus qu’un million de paires de bases, que Venter a souligné comme ayant constitué l’origine du génome de la version synthétique de Mycoplasma mycoides.

Chez tous les autres êtres vivants, sans exception, l’hérédité de messages génétiques préexistants commande, au moins en partie, leur édification et leur prolifération, et conditionne leur évolution. Ce fait est essentiel et indéniable et sa signification prométhéenne manifeste.

Les politiques au pied du mur

Les pouvoirs politiques vont maintenant devoir prendre conscience de l’extraordinaire capacité d’intervention que confère la synthèse chimique de matériel héréditaire, l’ADN, et de son potentiel pour façonner le monde, à un degré qui n’a de comparable que la capacité conférée par l’énergétique nucléaire, laquelle reste bridée tant qu’elle ne maîtrise pas le processus de fusion.

Experts et dignitaires de la biologie analytique sont démunis pour fournir une prospective fiable concernant les prochaines étapes de la démiurgie génétique. Aucun d’ailleurs ne semble oser s’y risquer. Au moins ne doit-on pas redouter l’instauration d’un GIEC de la biologie synthétique : son incompétence serait criante. C’est précisément ce qui fait de la biologie synthétique une science, au sens le plus moralement élevé et intellectuellement risqué du terme. Nul n’est plus prophète de ce qui va s’ensuivre dans les biosciences et les biotechnologies, même pas Craig Venter.

Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que des réflexes mythologiques s’expriment pour conjurer ce qui est perçu comme une transgression par des commentateurs sporadiques et moins officiellement appointés.

La boîte de Pandore est l’image communément évoquée par moult flagellants pour exorciser l’ouverture des boîtes de Pétri, comme si l’événement Prométhéen d’incarnation génomique était réversible et que sa procédure d’accomplissement pouvait être délibérément oubliée à l’avenir.

Le fait que des investissements privés, à hauteur d’environ 40 millions de dollars, aient été engagés pour parvenir au but expérimental et des brevets déposés, se trouve dénoncé comme une circonstance aggravante et comme le signe tangible que les marchands profanent cette fois le temple sacré de la nature.

Suivant cette mythologie réflexe, c’est le retour sur investissement, l’esprit de lucre qui menacent de dévaster les milieux naturels, l’agriculture et la santé publique par négligence ou par mégarde. C’est ainsi qu’au nom du sens commun, les flagellants justifient l’appel à un moratoire sur l’innovation en biologie synthétique, en attendant que les potentialités bénéfiques et néfastes trouvent à s’analyser suivant des méthodes éprouvées.

Or, c’est précisément une crise de l’approche analytique qu’instaure la démiurgie génomique, dans un contexte historique où des crises ont tendance à se multiplier dans tous les ordres de la technique, de l’environnement et de l’économie.

La faille épistémologique qui s’ouvre se mesure au mutisme de nos bardes et de nos druides, Bioethix et Deontologix, d’ordinaire si prompts et diserts à interpeller l’intelligence collective de notre village hexagonal sur le clonage, les mères porteuses ou le réchauffement climatique. C’est que la démarche analytique, hypothético-déductive, qui sous-tend l’étude de la dissémination des pollens OGM ou la modélisation de l’atmosphère enrichi en CO2, n’est d’aucun secours pour baliser la démiurgie génétique.

En effet, l’assemblée plénière de tous les experts du monde serait, de son propre et consensuel aveu, incapable de prédire quel texte génomique viable garantirait la colonisation d’un milieu donné par un organisme le propageant, ou entraînerait son extinction dans ce milieu.

La biologie synthétique instaure une démarche radicalement différente : comprendre en construisant, inférer pour construire, construire pour comprendre. La rupture est complète avec la démarche déductiviste, amont fondamental versus aval appliqué, académie versus atelier, lauriers versus cambouis.

Cette démarche n’avait pas cours jusqu’ici dans la théorie ni la pratique de la biologie, ce qui explique que les biologistes moléculaires restent pantois devant l’événement. La démarche constructiviste prévaut cependant dans la chimie organique depuis plus d’un siècle. Hélas, pas davantage que les OGM, le public ne goûte la chimie, laquelle est perçue comme contre-nature en dépit de la consommation massive et bénéfique de ses produits.

Avec l’avènement de la biologie synthétique, ce sont les approches constructivistes de la chimie qui s’emparent de la biologie déductiviste pour la faire progresser dans une direction et à un rythme jamais vus jusqu’ici. S’agissant de la synthèse de l’ADN, la lignée technologique a commencé par la volonté des chimistes Bruce Merrifield et Gobind Khorana pour franchir le cap de la commande génétique totale d’un organisme par celle de Craig Venter.

Vers une biodiversité artificielle

Le bienfait public qu’il est permis d’attendre de la synthèse de génomes et de l’élaboration d’autres dispositifs, c’est de fournir des organismes génétiquement modifiés présentant une sûreté d’emploi que les OGM élaborés depuis le vingtième siècle ne permettaient pas d’envisager. Dans le principe, les verrous limitant la prolifération et la dissémination des espèces synthétiques peuvent être multipliés au sein d’un génome, réduisant ses opportunités adaptatives en échappant au contrôle de l’expérimentateur ou de l’industriel, et ce à un seuil aussi bas que l’on souhaitera.

Ce serait là une façon de mettre en application le principe de précaution, au lieu de le brandir comme une doctrine d’interdiction, de résignation et d’appauvrissement. Les filigranes introduits par Venter et al. dans le texte génomique de leur version artificielle de Mycoplasma mycoides préfigurent de façon rudimentaire les dispositifs de sûreté que comporteront les espèces synthétiques dans le futur.

Nous devons nous faire collectivement à l’idée que la biosphère sera maintenant accompagnée d’une biodiversité artificielle. Le processus n’a pas commencé hier mais au néolithique avec la domestication des plantes, des animaux et des ferments.

Aussi traditionnelle et anodine que puisse nous sembler la domestication, elle a entraîné la prolifération d’objets biologiques artificiels et déviants pour notre bien-être.

La percée réalisée par Craig Venter et son équipe porte le processus de domestication à son degré d’affranchissement informationnel, à sa vitesse de libération. Elle nous rapproche d’autant plus sûrement de l’étape où nous saurons préserver durablement les habitats naturels et la santé humaine. C’est seulement un paradoxe apparent de prédire que la réussite de la première incarnation totale d’un génome sera plus tard commémorée comme une aubaine pour l’environnement, comme une émancipation et non un asservissement de la biodiversité naturelle.

Messages du forum
Prométhée, Pandore et Petri Vive le progrès - vendredi 18 juin 2010 - par  ya basta

Nous devons nous faire collectivement à l’idée que la biosphère sera maintenant accompagnée d’une biodiversité artificielle. Le processus n’a pas commencé hier mais au néolithique avec la domestication des plantes, des animaux et des ferments. Aussi traditionnelle et anodine que puisse nous sembler la domestication, elle a entraîné la prolifération d’objets biologiques artificiels et déviants pour notre bien-être. La percée réalisée par Craig Venter et son équipe porte le processus de domestication à son degré d’affranchissement informationnel, à sa vitesse de libération. Elle nous rapproche d’autant plus sûrement de l’étape où nous saurons préserver durablement les habitats naturels et la santé humaine. C’est seulement un paradoxe apparent de prédire que la réussite de la première incarnation totale d’un génome sera plus tard commémorée comme une aubaine pour l’environnement, comme une émancipation et non un asservissement de la biodiversité naturelle.

Tout cela serait bien beau si on pouvait faire confiance à la sagesse des professeurs Tournesol et si le profit capitaliste n’existait pas. Vous me direz que dans ces conditions nous n’en serions pas là, il n’y aurait pas de prise de brevet sur le vivant, tous les hommes mangeraient à leur faim, vivraient comme bon leur semble et la planète ne serait pas menacée de destruction. Oui mais, ils sont fous ces romains, maintenant nous sommes au bord du gouffre, alors faisons un grand pas en avant, la science nous fournira les parachutes !

Prométhée, Pandore et Petri Vive le progrès - mardi 22 juin 2010 - par  CHARBONNEAU

L’article de Ph.Marlière s’inscrit dans la grande tradition des mythologies progressistes héritées du XIXième siècle. Donc rien de vraiment neuf ! Comme toujours dans ce genre de discours, l’inculture de l’auteur en matière d’histoire et de sociologie des sciences et des techniques est insondable ! Pourtant la situation actuelle de l’humanité après plus d’un siècle de progrès technoscientifique galopant aurait du faire réfléchir ! Eh bien non, on continue comme avant !

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10/11/2009

Dossier sur la sécurité nucléaire

LA Croix - 03/11/2009 14:34

http://www.la-croix.com/Les-autorites-de-surete-nucleaire...

Les autorités de sûreté nucléaire mettent en cause la fiabilité de l’EPR

Les autorités françaises, britanniques et finlandaises ont demandé à Areva de revoir les systèmes de contrôle de son réacteur nucléaire. Un coup dur pour le groupe qui attend de nombreuses commandes dans le monde

Vue du chantier du réacteur de troisième génération EPR à Flamanville (Manche), le 13 octobre 2009 (AFP/DANIAU).

Du jamais vu. Dans un communiqué commun, publié lundi 2, novembre dans la soirée, les autorités de sûreté nucléaire française (ASN), britannique (HSE) et finlandaise (Stuk) ont demandé à Areva de revoir la conception de son EPR, le réacteur nucléaire de troisième génération, en mettant en cause le niveau de sûreté de ses systèmes de contrôle commande.

L’EPR est en cours de construction en Finlande, en France (à Flamanville dans la Manche et bientôt à Panly en Seine-Maritime) ainsi qu’en Chine.

Selon les trois autorités, les deux logiciels informatiques servant à piloter la centrale, pour son fonctionnement normal et en cas de situation d’urgence, ne seraient pas assez indépendants l’un de l’autre.

Les trois autorités évoquent ainsi « beaucoup trop interconnexions complexes », alors que les deux systèmes devraient être conçus pour ne pas faillir en même temps.

Chez Areva, on minimise la portée de cette injonction, en évoquant « un processus normal de dialogue ».

« C’est la première fois que ce type de contrôle commande est appliqué au nucléaire. Il est logique que certaines questions se posent. Nous y travaillons depuis plusieurs mois avec les autorités et cela ne remet absolument pas en cause la fiabilité de l’EPR », souligne une porte-parole du groupe, en rappelant que 120.000 documents d’ingénierie sont établis pour la construction d’un réacteur.

De son côté, EDF affirmait mardi qu’il s’engageait

« à apporter toutes les réponses attendues d’ici à la fin de l’année et en particulier à réaliser la démonstration nécessaire concernant le deuxième système de pilotage du contrôle commande ».

« La renaissance du nucléaire est décapitée »

Les antinucléaires ne sont évidemment pas de cet avis. « La renaissance du nucléaire est décapitée », s’est ainsi réjoui le réseau « Sortir du nucléaire », qui demande « l’annulation générale du programme EPR ».

Les Verts ont, quant à eux demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire. « Qu’attend la France pour appliquer le principe de précaution au nucléaire et pour arrêter le programme EPR ? », s’interroge de son côté Yannick Rousselet, le porte-parole de Greenpeace.

L’affaire tombe, en tout cas, au plus mal pour Areva, alors que les projets de construction de centrales se multiplient dans le monde, et que le groupe est en pleine discussion avec l’État pour obtenir une augmentation de capital, jugée nécessaire pour mener à bien ses projets d’investissements (10 milliards d’euros d’ici à 2012).

L’entreprise dirigée par Anne Lauvergeon attend aussi avec impatience la décision des Émirats arabes unis, présentée comme imminente, sur l’appel d’offres concernant la construction de quatre réacteurs nucléaires.

Le camp français, associant Areva, EDF, GDF-Suez et Total, est en concurrence avec l’américain General Electric et le Coréen KEPC. Un contrat géant estimé à 40 milliards de dollars (plus de 27 milliards d’euros).
De sources diplomatiques, l’équipe tricolore, jugée trop chère, aurait été contrainte ces dernières semaines de revoir ses prix.

La construction de l’EPR à Olkiluoto, un fiasco

Areva doit également finaliser dans les prochains mois ses négociations avec l’électricien indien NPCIL pour deux EPR. Le numéro un mondial du nucléaire joue également gros en Grande-Bretagne, qui a décidé de relancer son programme d’atome civil. British Energy, racheté par EDF, veut construire quatre EPR. Les Allemands E.ON et RWE ont également des projets de centrales dans le pays, et la semaine dernière GDF-Suez a annoncé l’achat d’un terrain, avec l’Espagnol Iberdrola et le Britannique Scottish Energy, pour la construction d’une centrale.

Hasard du calendrier, les réserves émises par les trois instances de contrôle interviennent également au moment même où les autorités américaines ont donné leur feu vert à EDF pour le rachat de Constellation, le premier électricien nucléaire du pays, qui prévoit, lui aussi, de construire quatre EPR.

Reste enfin pour Areva, la gestion dossier finlandais. La construction de l’EPR à Olkiluoto, dont la première pierre a été posée en 2005, s’avère pour l’heure un fiasco industriel et sans doute un désastre financier. Le chantier a pris trois ans de retard et le groupe a déjà passé 2,3 milliards d’euros de provisions sur ce contrat, qui devait initialement lui rapporter 3 milliards.

Pour expliquer ces retards, Areva met notamment en cause la lenteur de son client à valider les documents ainsi que l’inexpérience des entreprises finlandaises.

Le client, l’électricien TVO, s’interroge, quant à lui, ouvertement sur les capacités du Français à conduire un projet de cette taille.

Les deux groupes ont rendez-vous maintenant devant un tribunal d’arbitrage pour régler leurs litiges.

Jean-Claude BOURBON

Télérama 13.10.2009 – Dossier nucléaire sujet tabou

Attention séances fission

Réagissez 12 réactions
S i le nucléaire est négligé par les JT et éludé par les politiques, ses zones d’ombre et ses dangers suscitent des documentaires et des enquêtes souvent remarquables. Dont l'élaboration est la plupart du temps périlleuse. Nous avons décidé de creuser ce sujet tabou. Un premier tableau, puis un retour sur quatre films fort intéressants disponibles en VOD ou en DVD. Prudence, prudence, vous entrez dans un gros dossier

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8 octobre 2009 Réactions en chaîne
13 octobre 2009 Françoise Zonabend : “A La Hague, je suis repérée…”

Est-ce une réaction en chaîne qui touche la télévision ? Depuis un an, enquêtes et documentaires bombardent de questions cruciales un des domaines les plus tabous de notre société : le nucléaire.

Tous sont porteurs d'informations capitales, tous excellents dans des styles différents.

Mardi 13 octobre, Arte diffuse Déchets, le cauchemar du nucléaire, enquête magistrale – et internationale – sur le talon d'Achille de cette industrie pas comme les autres, menée par le réalisateur Eric Guéret et la journaliste de Libération Laure Noualhat.

Il y eut auparavant un portrait sensible de La Hague et de ses habitants : Au pays du nucléaire, d'Esther Hoffenberg (sur France 2) ; une inquiétante plongée dans la maintenance des centrales en compagnie de ses intérimaires : RAS, nucléaire, rien à signaler, du Belge Alain de Halleux (sur Arte) ; les insolubles problèmes que pose le démantèlement d'un petit réacteur : Brennilis, la centrale qui ne voulait pas s'éteindre, de Brigitte Chevet (sur France 3).

Il y aura bientôt Alerte nucléaire sur France 3, à propos des risques d'accident.

Mais c'est sans doute le numéro de Pièces à conviction, Uranium, le scandale de la France contaminée qui a fait le plus parler de lui en février dernier, provoquant la colère d'Areva (1).

De l'extraction du minerai (Niger, la bataille de l'uranium, sur France 5) au démantèlement des centrales en passant par leur exploitation et la gestion de leurs déchets, le tour d'horizon est complet, fouillé. On est très loin de la légèreté dont font preuve les journaux télévisés.

  • Quand EDF lance un grand emprunt ou annonce une augmentation de ses tarifs, jamais les choix énergétiques de la France ne sont questionnés. On parle d'« investissements » sans préciser qu'il s'agit de construire des réacteurs EPR et de racheter des centrales étrangères.
  • On euphémise à tout va (les centrales deviennent des « installations »), jusque dans les images puissantes et rassurantes de tours de refroidissement vues du ciel. Même cécité lorsque l'électricité est exonérée de la taxe carbone. Au mieux, on précise qu'« elle est considérée comme une énergie non polluante », images d'éoliennes et de panneaux solaires à l'appui... alors que 80 % de notre électricité est produite par le nucléaire (record mondial) !

Qui pouvait imaginer le déni dans lequel vivent la plupart des habitants du Cotentin, région la plus nucléarisée du monde ?

La négligence des JT peut s'expliquer par leur forme contrainte. Mais comment justifier l'ignorance des politiques ? En 2007, lors du débat télévisé entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, chacun des deux candidats proféra des énormités sur le sujet (pointées sans pitié dans Déchets, le cauchemar du nucléaire).

A l'indigence de l'info et à l'ignorance des politiques semble répondre le fatalisme du public...

  • Qui savait, avant d'avoir vu La France contaminée, que deux cents mines d'uranium furent exploitées dans l'Hexagone ?
  • Qui pouvait imaginer le déni dans lequel vivent la plupart des habitants du Cotentin, région la plus nucléarisée du monde ?
  • Quelqu'un avait-il idée du coût faramineux et des impasses techniques du démantèlement des centrales ?
  • Des risques que la politique du moindre coût fait courir à la sûreté des réacteurs ?
  • Et pourquoi si peu de gens ont-ils participé au débat public sur l'EPR ?

Le tabou du nucléaire, mis en évidence par l'ethnologue Françoise Zonabend dans un travail pionnier auprès des habitants de La Hague, aurait-il gagné toute la société ?

Pour les réalisateurs, s'attaquer à ce tabou ne fut pas aisé.

  • D'abord parce que, témoigne Esther Hoffenberg, « personne ne vient vous chercher pour faire un film sur ce sujet » – sauf Arte, qui jouit d'une grande liberté du fait de son statut transnational.
  • Ensuite parce que le sujet est difficile à représenter : la radioactivité est invisible, pas comme une marée noire.
  • Enfin parce que les lieux sont très protégés. Romain Icard, auteur de La France contaminée, en a fait l'expérience : « Avec une carte de presse, vous pouvez sans problème filmer devant l'Elysée. Mais si vous sortez une caméra devant la clôture d'une centrale, la gendarmerie est là dans les deux minutes. »

Résultat, la plupart disent avoir développé une certaine « parano » lors de leur enquête. Ils emploient même des mots étranges pour qualifier l'industrie nucléaire et ses pratiques : « lobby », « secte », « pieuvre », « consanguinité », « manipulation », « propagande », « culte du secret »...

Aurions-nous affaire à d'acharnés activistes antinucléaires adeptes de la théorie du complot ?

Tout le contraire : c'est leur approche pragmatique, équilibrée qui fonde leur travail. « Nous n'avons pas réalisé un film militant, dit Eric Guéret. Nous nous appuyons sur une enquête scientifique. » Celle-ci a été réalisée par la Criirad (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité), comme celles de Romain Icard dans La France contaminée et de Brigitte Chevet à Brennilis. Esther Hoffenberg, elle, a fait appel à l'Acro, l'Association pour le contrôle de la radioactivité de l'Ouest, animée par des scientifiques qui militent pour une information indépendante, mais affichent la plus stricte neutralité sur le choix de l'énergie nucléaire.

« Neutralité » ? « Indépendance » ? Des gros mots dans l'univers du nucléaire où, si l'on n'est pas « pro », on est forcément « anti ».

« Poser des questions, c'est déjà être subversif », témoignent en chœur Laure Noualhat et Esther Hoffenberg. Dans le film de cette dernière, la physicienne Monique Sené constate : « Choisir de devenir expert indépendant revient à sacrifier sa carrière. » Déjà, dans les années 80, La Presqu'île au nucléaire, le livre de l'ethnologue Françoise Zonabend, se heurta à une indifférence irritée. Que venaient faire les sciences humaines (et une femme !) au milieu de nos prouesses technologiques (tellement viriles) ? En 1994, son film (2) fut même l'objet d'une campagne de dénigrement, et sa personne directement visée. Même procès d'intention contre le professeur Jean-François Viel, qui mit en évidence un surcroît de leucémies près de l'usine de retraitement de déchets de La Hague.

“Parler du nucléaire, c'est toucher le zizi du président.”

Pourquoi les défenseurs de cette industrie sont-ils si chatouilleux ? Alain de Halleux fournit une réponse très imagée : « Parler du nucléaire, c'est toucher le zizi du président. »

  • A l'origine, le développement du nucléaire fut un secret d'Etat. La création du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) par le général de Gaulle, en 1945, puis le développement de la filière française répondaient à de nobles ambitions : assurer le rayonnement de la France et procurer le bien-être social. En dotant le pays d'un arsenal nucléaire et d'une technologie exportable, le très nationaliste CEA redorait le blason d'un pays affaibli par la perte de l'empire colonial.
  • En construisant des centrales à tour de bras, EDF tout juste nationalisée fournissait aux Français une électricité abondante et bon marché. Se mit donc en place un régime « technopolitique » – des choix technologiques dictés par des objectifs politiques. Mais opérés par des techniciens. En l'occurrence, les ingénieurs du corps des Mines, élite de l'élite, minorité des minorités, qui perpétue l'immense pouvoir que représente la maîtrise de l'énergie en occupant tous les postes clés : autorités de contrôles, industries (Areva, EDF), ministères, enseignement supérieur. Et bien sûr présidence de la République , depuis de Gaulle, tout se décide dans la plus grande opacité.

Nous ne sommes plus dans les années 50. L'industrie nucléaire, bien plus qu'à la grandeur de la France, travaille à gagner des parts de marché, à réaliser des profits... et à sa reproduction. Par ailleurs, la catastrophe de Tchernobyl et l'émergence du principe de précaution obligent à imaginer le pire. Mais la nucléocratie, elle, n'a pas bougé. Voilà donc le « lobby » auquel se sont frottés les auteurs des enquêtes. Et auquel ils risquent de ne plus s'attaquer : « On est fichés », « on a un casier », disent-ils. Réaliser un film un tant soit peu critique sur le nucléaire et sa gestion ne pardonne pas.

Les « pros » et les « antis » On y revient toujours. Cette irréductible opposition rend le débat impraticable. Ce n'est peut-être pas un hasard. Confiner la critique à des cercles militants (qui aiment à se l'accaparer) fait certainement l'affaire de ceux qui préfèrent éviter la discussion. Jacques-Emmanuel Saulnier, porte-parole d'Areva, s'en défend : « On ne choisit pas ses adversaires », répète-t-il en évoquant « le lobby antinucléaire. D'ailleurs, nos opposants nous aident à progresser dans le domaine de la transparence ». Et de la communication, aussi. Car Areva est très bien rodée pour répondre aux attaques des « antis » (Greenpeace ou le réseau Sortir du nucléaire). En revanche, quand des journalistes soulèvent des questions jamais formulées, dans La France contaminée (sur les déchets miniers) ou dans Déchets, le cauchemar du nucléaire (sur le retraitement), la grande machine à communiquer se trouve prise au dépourvu.

Reconnaissons cependant à Areva le mérite de la franchise. Comme son ancêtre le CEA, elle assume son rôle politique. « Si nous réalisons des campagnes de publicité, c'est parce que le grand public est notre client politique : tout le monde a une opinion sur le nucléaire », explique Jacques-Emmanuel Saulnier, dont la fonction – porte-parole – est plus courante dans les gouvernements ou les partis que dans les entreprises. Pour travailler à l'acceptation citoyenne de leur technologie, EDF et Areva se donnent les moyens. La première dépense pas loin de 100 millions d'euros en achat d'espaces publicitaires chaque année. Le budget de communication de la seule usine Areva de La Hague s'élève à 2 millions d'euros par an. Par comparaison, Déchets, le cauchemar du nucléaire, fruit de longs mois d'enquête, énorme investissement pour Arte, n'a coûté que 550 000 euros...

Des belles affiches d'Areva sont envoyées dans les collèges sans que les enseignants aient rien demandé…

Les moyens sont financiers mais aussi rhétoriques :

  • occultation,
  • dénégation,
  • banalisation,
  • euphémisation.

L'occultation, ce sont les plaquettes d'information restées dans les armoires des mairies pour ne pas effrayer les populations, comme le montre Brigitte Chevet à Brennilis. C'est affirmer que les risques sont maî­trisés sans jamais évoquer la nature de ces risques.

La dénégation, c'est le fameux nuage de Tchernobyl bloqué à nos frontières.

La banalisation, c'est comparer les dangers de la radioactivité avec ceux du tabac... ou du « sel de cuisine » !!! C'est affirmer que la production de déchets nucléaires s'élève à moins d'un kilo par habitant et par an... comme s'il s'agissait d'un kilo d'épluchures de pa­tates !

L'euphémisation,

c'est présenter le nucléaire comme une éner­gie « durable » – les ressources en ura­nium sont-elles donc inépuisables ? –,

c'est parler de « recyclage » au lieu de retraitement, alors que l'en­quête diffusée mardi sur Arte le révèle : 90 % du combustible « recyclé » n'a pour l'heure trouvé aucun emploi...

« Les communicants se comportent comme des gendarmes du langage », note Esther Hoffenberg, également inquiète du fait qu'ils visent spécialement le jeune public.

Tandis que les manuels scolaires préoccupés de réchauffement clima­tique célèbrent l'énergie qui a assuré l'indépendance énergétique de la France, des belles affiches d'Areva sont envoyées dans les collèges sans que les enseignants aient rien demandé, des partenariats sont noués avec des publications destinées aux enfants ou aux ados (Mon quotidien, Les Clés de l'actualité) pour y glisser les mêmes « informations »...

Alors, « pro » ou « anti » ? « Ce n'est pas la question, on est tous ensemble dedans », résume Esther Hoffenberg.

A défaut de résoudre les questions anthropologiques que posent son irréversibilité, ses déchets qu'il faudra surveiller pendant des centaines et des milliers d'années, il est urgent de faire du nucléaire un objet du débat politique. De relever le défi de la démocratie.

Déchets, le cauchemar du nucléaire
envoyé par arte. - Regardez les dernières vidéos d'actu.

Et aussi :

“Uranium : le scandale de la France contaminée”, dans “Pièces à conviction”
“RAS, nucléaire : rien à signaler”, d’Alain de Halleux
“Brennilis, la centrale qui ne voulait pas s'éteindre”, de Brigitte Chevet
“Au pays du nucléaire”, d’Esther Hoffenberg

Samuel Gontier

Télérama n° 3117

(1) Tandis qu'EDF s'occupe de l'exploitation des centrales, Areva (émanation du Commissariat à l'énergie atomique auparavant dénommée Cogéma) gère l'extraction et la transformation du minerai, construit des réacteurs et assure le retraitement des déchets.
(2) La Hague, le nucléaire au quotidien, réalisé avec Paule Zajdermann et diffusé sur Canal+.
A voir

Déchets, le cauchemar du nucléaire, Arte, mardi, 20h45 (disponible en DVD chez Arte Editions). Le site d’Arte consacré à ce documentaire.

A lire

Déchets, le cauchemar du nucléaire, de Laure Noualhat, éd. Arte Editions /Le Seuil.

Le Rayonnement de la France, énergie nucléaire et identité nationale après la Seconde Guerre mondiale, de Gabrielle Hecht, éd. La Découverte, 2004.

 

Le 13 octobre 2009 à 19h10

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VOS REACTIONS (12 commentaires)

Coukoutsi - le 15/10/2009 à 23h40
Bravo au journaliste pour cette série d'articles radioactifs, très bien tenus et documentés.
Bravo à la rédaction de Télérama pour son intégrité.
On ne lit pas souvent de si bonnes choses dans la presse française.
Merci.

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laprouj - le 13/10/2009 à 19h55
Comment aller au bout du raisonnement (ce qui est "bien" ) sans passer pour un jusqu'auboutiste (ce qui est "mal").
Car enfin, pour consommer moins d'électricité, c'est simple : il faut juste consommer moins de tout. Moins de voitures, moins de téléphones portables, moins d'i_phones, moins de trucs et de machins inutiles (à renouveler) qui coûtent tant d'énergie à fabriquer. Juste fabriquer moins d'objets, mais des objets utiles, voire même ludiques, mais qui tiennent le coup - et le coût.
Seulement voilà : la consommation est la béquille qui nous permet de tenir debout dans un monde qu'ont délibérément privé de sens ceux-là mêmes qui nous proposent de travailler plus pour gagner plus pour consommer plus pour travailler plus... Plus, plus... toujours plus !
La boucle est bouclée.
Amicalement à tous.

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xavol - le 11/10/2009 à 04h42
On ne construit pas des centrales nucléaires pour satisfaire un lobby ou pour enrichir qui que ce soit. On construit des centrales nucléaires pour fabriquer de l’électricité de qualité, en grande quantité.
On peut en faire avec du vent, quand il y en a ;
On peut en faire avec le soleil, quand il y en a ;
Les cours d’eau sont saturés, la géothermie coûte très cher ;
Le pétrole et le charbon polluent notre air.
C’est vrai, toute industrie nuit à la planète et l’humain trop négligent augmente les risques d’incidents, voire d’accident. C’est pour cela qu’il faut une SURVEILLANCE.
La fission de l’uranium crée des matières dangereuses. C’est la technologie intermédiaire qui permettra d’atteindre le procédé de fusion des atomes, non polluant mais au point dans un petit siècle seulement.
Trop peu d’entre nous sont prêts à réduire leur consommation; l’énergie, c’est tellement confortable ! Je me résigne à croire que le problème est beaucoup plus vaste qu’un simple sujet et qu’aujourd’hui on a pas trop de choix.
A qui profite l’acharnement médiatique ?

5 internautes sur 11 ont trouvé cet avis intéressant.

service télévision - le 9/10/2009 à 16h02
Bonjour Elijah / Patrice
"Au pays du nucléaire" devrait sortir dans quelques salles en janvier et en DVD en avril 2010. D'ici là, des avant-premières sont organisées, dont vous trouverez le programme sur le site : http://www.estherhoffenberg.fr/ à la rubrique "actualités".

6 internautes sur 11 ont trouvé cet avis intéressant.

swampman - le 9/10/2009 à 15h44
Bravo à Samuel Gontier pour cet article fort complet. Un journaliste qui prend la peine de s'informer et de réfléchir, plutôt que d'écrire ce que les attachés de presse lui dictent, ça devient tellement rare que cela mérite d'être salué! Bravo également à Télérama d'avoir laissé passer cet article, quand on sait que les gros acheteurs d'espaces publicitaires, directement ou via les centrales d'achat, ne se privent pas d'exercer des pressions pour interdire de parler de ce qui les dérange...

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MariAziliz - le 9/10/2009 à 12h09
Résolument éco-citoyenne, je suis également une "anti" convaincue ; je participe aux campagnes et actions du Réseau "Sortir…" et j'ai la prétention de n'être ni stupide ni bornée !
Petite contribution au débat : la solution énergétique la plus abondante et absolument inoffensive, c'est d'économiser l'énergie !
Alors, apportons notre (certes très modeste) contribution : logement bien isolé, chauffage à 19° maxi, déplacements en transports en commun, à pied ou en vélo chaque fois que c'est possible… c'est déjà ça ! N'oubliez pas aussi de privilégier les produits frais de saison et produits près de chez vous (AMAP, ou maraîchers au marché). Et cette liste des possibilités est loins d'être exhaustive. C'est tout bête mais comme on dit, si tout le monde s'y met… Je suis "bisounours" ?Tant pis, j'assume !
Amitiés à toute l'équipe de Télérama, et aux lecteurs de mon p'tit magazine préféré !…

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ya basta - le 9/10/2009 à 10h46
Mieux vaut tard que jamais, enfin les médias mettent le turbo pour dénoncer le scandale du nucléaire, dont les déchets vont polluer la planète pour des millions d'années, sans parler de l'utilisation militaire qui va avec. Au passage, il faudrait aussi dénoncer la langue de bois de notre omni président qui fustige le nucléaire iranien, mais vend des EPR à qui en veut, finance avec nos deniers les missiles à tête nucléaire, M 51, ou le laser mégajoules... beaux sujets de reportage!
En matière d'énergie, une partie de la solution passe par les économies à titre individuel, l'autre partie par les sources renouvelables, l'énergie du soleil est inépuisable , reste à promouvoir l'industrie pour l'utiliser avec l'impact minimum sur l'environnement; pas de fermes photovoltaïques, mais des toitures, des parkings équipés.
Mais il y a aussi dangereux, voire plus: les nanos particules qui, comme les OGM, subrepticement envahissent notre quotidien, sous couvert de progrès ( nanos fibres, nanos aliments, nanos médicaments, nanos matériaux..) aux propriété aussi étonnantes qu'inquiétantes. Où sont les évaluations? Où est le principe de précaution? Ces particules inodores, incolores, sans saveur sont des bombes à retardement. Leur taille (échelle atomique) leur permet de pénétrer dans nos cellules, pour y faire quoi? Va -t-on attendre 20 ans pour alerter les populations?

16 internautes sur 22 ont trouvé cet avis intéressant.

jojo63 - le 9/10/2009 à 09h35
Le noeud de la problématique est là ! Et il ne concerne pas seulement le nucléaire. Un invité sur les médias, qui doit répondre aux questions d'un public présent est dans une position très confortable. Une seule question, d'une seule personne, Quelques secondes et... plusieurs minutes pour répondre et éventuellement noyer le poisson. On a souvent évoqué la difficulté de contrer la dialectique du Front National, en précisant que ses phrases choc, qui durent quelques secondes, ne pouvaient recevoir d'explications aussi simplistes pour les démonter de façon rationnelle. Qu'il fallait un discours long et méthodique pour mettre en lumière l'ineptie de son propos. Il en va de la politique comme des lobbys, on ne peut pas contrer quelqu'un qui a un temps de parole supérieur au notre. Voilà pourquoi ARTE et France-culture nous rendent moins "cons". Ils rétablissent un peu l'équilibre. Dommage qu'ils n'aient pas les mêmes moyens de communication que les lobbiistes pour diffuser leurs démarches...

20 internautes sur 23 ont trouvé cet avis intéressant.

Fr B - le 9/10/2009 à 09h33
Certes le nucléaire pose des problèmes pour le traitement des déchets et on entend plus les pros que les anti, pourquoi. Etre contre le nucléaire c'est très facile mais quand on est contre il faut pouvoir proposer autre chose. Pour remplacer la plus grosse centrale nucléaire actuelle, il faudrait entre 1000 et 2000 éoliennes or plus personne n'en veut, il faudrait au moins 9 centrales charbon !!!... ou il faudrait innonder 3 belles vallées pour construire des centrales hydrauliques. Alors oui, il faut réfléchir à autre chose que le nucléaire car on ne sait pas traiter les déchets mais aujourd'hui il n'y a aucun autre rendement meilleur pour répondre aux besoins toujours plus exigeants en matière d'électricité des consommateurs (que dit-on à ceux qui abusent de la clim, qui chauffent leur grande piscine dans leur jardin, qui sont équipés des pieds à la tête d'engins électroniques qu'il faut bien recharger,..)
Tuer le nucléaire, pourquoi pas, réfléchir et changer la mentalité des gens : de toute urgence !

24 internautes sur 33 ont trouvé cet avis intéressant.

Elijah - le 9/10/2009 à 07h05
Au pays du nucléaire, d'Esther Hoffenberg est-il disponible en DVD ou VOD, comme annoncé dans le chapeau de l'article ? Je n'ai pas trouvé !
Merci,
Patrice

4 internautes sur 7 ont trouvé cet avis intéressant.

niakita83 - le 9/10/2009 à 02h34
Il est clair qu'il ne faut attendre aucune information publique non orientée sur ce sujet ;il y a tant d'intérêts économiques en jeu que l'information ne peut être que manipulée à grand coup d'omissions quant aux réels dangers des déchets ,pourtant ravageurs .A l'heure où il est de bon ton de songer à la couche d'ozone ,où l'écologie "est en vogue",il est plus que jamais nécessaire de relancer les débats sur le nucléaire et de prendre les choses à bras le corps ,de dénoncer,de faire connaitre des travaux reconnus ,de ne pas renoncer à une véritable information surtout .

22 internautes sur 25 ont trouvé cet avis intéressant.

Sortir du nucleaire - le 8/10/2009 à 16h38
Excellent article à part une chose : "Areva est très bien rodée pour répondre aux attaques des « antis » (Greenpeace ou le réseau Sortir du nucléaire). "
Ca laisse à penser que les "antis" sont nuls. En réalité, il n'y a quasiment jamais d'occasion de "coincer" les pronucléaires qui sont les "grands invités" des médias (cf le 7/9 sur France inter !) et les antis peuvent, au mieux, poser une question en tant que simples auditeurs... et les pronucléaires ont ensuite tout leur temps pour répondre (en mentant).
S'il y avait des lieux de débat "à armes égales", on verrait bien que les pronucléaires seraient vite coincés...
SL
Sortir du nucléaire

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11/09/2009

ADEME – Le débat Maitrise de l’énergie (clôturé juillet 2007). Fiche d’information “facteur 4″

Articles d’actualité :

Fiche d’information “facteur 4″

La division par 4 à l’échelle de la France et par 2 à l’échelle du monde des émissions des 6 Gaz à Effet de Serre (GES) actuellement couverts par le Protocole de Kyoto nécessitera d’activer au cours des 20 à 30 prochaines années une gamme cohérente de mesures (ex : mécanismes économiques, réglementation, cadre institutionnel) dans l’ensemble des 6 secteurs émetteurs de GES (agriculture et pêche, production d’énergie, industrie manufacturière, bâtiments résidentiel et tertiaire, transport et utilisation des terres).

L’objectif « facteur 4 » repose sur les hypothèses simplifiées et le raisonnement suivant.

  • Selon le GIEC [1], pour une stabilisation de la concentration atmosphérique en CO2 à 450 ppm [2], la croissance de la température s’établirait dans une fourchette comprise entre 1,5 et 3,9°C. Autrement dit, la probabilité pour qu’on reste en dessous de 2°C pour une concentration de 450 ppm est largement inférieure à 50%.
  • Cet objectif de 450 ppm est sans doute le plus bas qu’on puisse se fixer puisque nous sommes aujourd’hui à 382 ppm avec une croissance proche de 2 ppm par an qui ne s’atténuerait que progressivement, même si nous supprimions toute émission.
  • Pour stabiliser à 450 ppm, il faut avoir réduit les émissions annuelles mondiales en 2050 à 4 Gt [3] de carbone, soit, pour une population actuelle de 6,5 milliards d’habitants, 0,6 t de carbone par habitant et par an.
  • La France, avec 61 millions d’habitants, aurait droit, pour une répartition proportionnelle au nombre d’habitants, à 38 Mt de carbone, c’est-à-dire une division par quatre par rapport à ses émissions actuelles (140 Mt C).

L’expression « facteur 4 » n’est en fait directement mentionnée dans aucun rapport du GIEC. Il ne figure pas plus dans un texte réglementaire de l’Union européenne qui définirait la stratégie de long terme face au changement climatique. Par ailleurs, les pays ayant formulé des engagements ou des objectifs de long terme n’utilisent pas cette référence. En France, le concept « facteur 4 » a été intégré dans la vie politique par le Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin. Celui-ci a déclaré, lors de l’ouverture de la 20ème session plénière du GIEC, le 19 février 2003 à Paris, qu’il faut « diviser par deux les émissions de GES avant 2050 à l’échelle de la planète » ; pour la France, pays industrialisé, « cela signifie une division par quatre ou par cinq. En vertu du principe de responsabilité commune mais différenciée, nous devons montrer l’exemple en matière de mise en œuvre des politiques domestiques de lutte contre l’effet de serre ». Cet objectif a été ensuite repris dans l’article 2 de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique du 13 juillet 2005.

Plus globalement, au niveau international, l’enjeu d’une stratégie de type « facteur 4 » est de voir les gouvernements reprendre le contrôle de leur futur énergétique. Les changements dans les modes de production et de consommation devront être majeurs (l’ampleur du chantier à mener s’agissant des bâtiments existants ou de l’automobile suffit pour en convaincre). Il s’agit donc bien d’écrire, et non d’essayer de décrire, le futur à l’horizon 2050. Il s’agit bien de politique et non de prévision.



Les éléments explicatifs du concept de facteur 4 présentés dans cette fiche sont extraits du rapport du groupe facteur 4 présidé par Christian de Boissieu.
[1] GIEC : Groupement international d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).
[2] ppm : parties par millions, une mesure de concentration.
[3] Gt : giga-tonnes ou milliards de tonnes. Mt : méga-tonnes ou millions de tonnes.

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