27/01/2017
Télérama - Palantir, l'encombrant ami américain du renseignement français
http://www.telerama.fr/medias/palantir-big-data-renseigne...
Lecture complémentaire :" La confidentialité en ligne pour les journalistes"
(Merci à Jackie pour ce lien)
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Publié le 27/01/2017.
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La start-up numéro un du big data poursuit son irrésistible ascension. Son co-fondateur, Peter Thiel, est aujourd'hui conseiller numérique de Donald Trump. Quant à sa filiale française, elle vient de signer un contrat de 10 millions d'euros avec la DGSI.
Dans Le Seigneur des anneaux de Tolkien, le palantir est une pierre magique qui permet de voir partout, tout le temps. Une boule de cristal elfique qui offre un pouvoir considérable. Dans le monde des hommes, Palantir est une entreprise qui ambitionne de voir partout, tout le temps. C’est l’une des « licornes » de l’économie numérique, valorisée à 20 milliards de dollars. Juste derrière Uber et Airbnb. Devant Snapchat. Pourtant, son nom n’évoquera rien chez les profanes. Comme ses petits camarades de l’économie californienne, Palantir veut changer le monde. A quelque détails près. Palantir ne conçoit pas de produits vernis de cool destinés au plus grand nombre. Palantir ne vous inonde pas de notifications push. Palantir ne se répand pas dans la presse. Palantir rechigne à être introduit en bourse. Pour faire simple, Palantir veut voir sans être vu.
Sentinelle d'une Amérique traumatisée
Créée en 2004, la start-up est un leader de l’analyse des données, qu’elle croise, compare et « crunche » à l’aide de ses logiciels phares, Gotham et Metropolis. C’est la Rolls-Royce du big data, ce terme à la mode des prospecteurs en pétrole immatériel. Elle a été cofondée par Peter Thiel, grand argentier de la Silicon Valley, désormais conseiller numérique de Donald Trump. Son premier investisseur ? In-Q-Tel, le fonds d’investissement de la CIA. Dans l’Amérique traumatisée de l’après-11 septembre, Palantir promet de mouliner des gigaoctets de données afin d’anticiper les menaces. Et, pourquoi pas, prédire l’avenir. Aux Etats-Unis, dans un pays qui compte pas moins de dix-sept agences de renseignement et une myriade d'agences fédérales, le marché s’ouvre aussi sûrement que la mer Rouge : de la NSA aux services de police de Los Angeles, les contrats pleuvent.
Pour faire étalage de leurs capacités, les « Palantirians », comme ils se nomment entre eux, offrent des démonstrations grandeur nature. En 2007, une ONG utilise une de leurs solutions maison pour enquêter sur la mort du journaliste Daniel Pearl, exécuté au Pakistan cinq ans plus tôt. Une visualisation plus tard, les vingt-sept individus impliqués dans son enlèvement apparaissent sur un écran. Le rôle de chacun d’entre eux y est détaillé, tout comme ses liens avec les autres. Plus besoin de punaiser des photos floues sur un tableau en liège avec la fébrilité d’une Carrie Mathison : Palantir prend les choses en main. Comme toute grande religion, la nébuleuse entreprise possède ses mythes fondateurs. Le plus connu ? Elle aurait aidé à la traque et à l’élimination d’Oussama Ben Laden. Une rumeur jamais confirmée, jamais infirmée non plus, qui lui garantit une place de choix à la droite du pouvoir régalien.
A la table de Trump
Au fil des ans, la petite start-up devient le plus gros propriétaire terrien de Palo Alto, juste derrière le campus de Stanford, dont le département de sciences informatiques est l’un de ses plus gros pourvoyeurs en méninges. Surtout, elle s’ouvre au secteur privé en lui faisant la danse du ventre : identifiez les menaces internes, optimisez vos résultats, ayez un coup d’avance sur la concurrence. En 2010, elle signe un juteux contrat avec son premier client commercial, la puissante banque JPMorgan. D’autres multinationales suivront, de Coca-Cola à BP. En mai 2016, une enquête de BuzzFeed révèle – documents à l’appui – la santé financière pas si florissante d’une entreprise minée par les départs et les défections de gros comptes dubitatifs. Qu’importe : Palantir continue d’avoir la côte. En six ans, l’entreprise a amassé pour 340 millions de dollars de contrats avec les autorités américaines. Alex Karp, son excentrique patron, est devenu un habitué du forum économique de Davos. Depuis 2011, il a également son rond de serviette aux réunions du groupe Bilderberg, à l’invitation d’Henri de Castries, encore P-DG d’Axa. Un client de… Palantir. Nom de code : Asterix.
Si Peter Thiel ne se départit jamais de son air compassé, sanglé dans des costumes impeccables qu’il préfère à rayures, Karp est sa parfaite antithèse. Avec ses bouclettes hirsutes et ses vêtements techniques fluo, on l’imagine mieux bivouaquer sur l’Everest que diriger la compagnie chérie des espions. Pourtant, les deux milliardaires se ressemblent à bien des égards. Ils sont nés à neuf jours d'écart, en octobre 1967. Ce sont tous les deux des érudits : Thiel est un spécialiste de la théorie mimétique de René Girard ; Karp a été l’élève de Jürgen Habermas à Francfort. Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’université de Stanford et partagent la même vision libertarienne et messianique du monde. Seuls leurs expédients diffèrent : la politique pour Thiel, fervent partisan de l’indépendance de la Californie ; Palantir pour Karp, qui voue sa vie et plus encore à l’entreprise qu’il dirige. En 2013, Forbes dressait le portrait halluciné d’un zigoto qui pourrait être le cousin new age d’Emmett Brown, le professeur foldingue de Retour vers le futur. Suivi comme son ombre par un malabar chargé d’assurer sa sécurité, l’éternel célibataire « s’adresse à ses ouailles à l’aide d’un chaîne vidéo interne appelée KarpTube, où il parle aussi bien d’avidité que d’intégrité ou de marxisme ». Dans son bureau, vingt paires identiques de lunettes de piscine et des kilos de vitamines. « Les seuls moments où je ne pense pas à Palantir, c’est lorsque je nage, que je pratique le qi gong ou que je fais l’amour », concluait celui qui se définit lui-même comme un « déviant », avec un sens évident de la formule.
Les habitudes de moine-soldat finissent par payer. Mi-décembre, Karp était autour de la table à la Trump Tower, quand le président fraîchement élu a reçu le gotha de la « tech ». Bien calé entre Brian Krzanich, le patron d’Intel, et Eric Schmidt, président exécutif d’Alphabet, la holding qui chapeaute Google. A quelques mètres de lui, Peter Thiel avait hérité d’une place privilégiée à la gauche de Trump. La position du souffleur. Deux Palantirians à la sauterie numérique du nouveau locataire de la Maison blanche. Un luxe. Sûrement pas un hasard. Selon The Intercept, Palantir pourrait être l’un des grands bénéficiaires de la nouvelle donne politique outre-Atlantique : depuis 2011, l’entreprise épaule les douanes américaines. A ce titre, elle pourrait être l’instrument de l’expulsion des Mexicains sans-papiers que Trump a promis de chasser du territoire. Et ce n’est pas le seul front. Alors que la future administration rêve à voix haute d’un fichier des musulmans, Alex Karp a récemment été obligé de sortir du bois. « Si on nous le demandait, nous refuserions », a-t-il juré la main sur le coeur.
“Un tel niveau de secret est toxique”
Ainsi va le quotidien de Palantir, piégé entre deux injonctions contradictoires : le bon et le mauvais flic. Sur son site, l’entreprise met en avant ses initiatives philanthropiques. Elle explique comment elle a aidé les secours pendant l’ouragan Sandy, pourquoi il faut améliorer le système de santé avec une analyse plus fine des données, et détaille les moyens qu’elle compte mettre en œuvre pour résoudre la crise humanitaire syrienne en cartographiant l’augmentation du prix du pain afin d’identifier les zones de famine potentielles. Rien que du très louable. Mais la start-up se fait beaucoup plus discrète dès qu’il s’agit d’évoquer ses clients institutionnels. Malgré nos sollicitations, nous n’avons jamais obtenu la moindre réponse. Seul Chris Hoofnagle a accepté de nous parler. Professeur de droit à l’université de Berkeley, il siège au Palantir Council of Advisors on Privacy and Civil Liberties (PCAP), un comité d’éthique installé en 2012. « A la différence d’autres entreprises travaillant avec les autorités, Palantir n’a pas attendu qu’on lui demande pour mettre au point des garde-fous, démine-t-il. C’est l’une des rares entreprises à promouvoir la “privacy by design”, c’est à dire le respect de la vie privée dans la conception même des outils. Elle en souffre et prend des coups pour ses concurrents, qui restent muets sur le sujet ». L’échange est intéressant, mais au détour d’un email, Hoofnagle glisse une information utile : il est rémunéré par Palantir pour siéger dans ce comité. Ici, tout est contrôlé, même les bons sentiments.
De quoi faire pester Edin Omanovic, spécialiste des technologies de surveillance pour l’ONG Privacy International, et auteur d'un rapport sur ceux qui les commercialisent. « Palantir est le meilleur avatar de cette nouvelle race d’entreprises qui veulent tirer profit du tour de vis sécuritaire, estime-t-il. Elles prospèrent grâce aux données et à l’information, mais ne veulent rien dire d’elles ou de leurs clients. Un tel niveau de secret est toxique, quel que soit le secteur d’activité. Comment savoir s’il y a des abus ? Comment savoir quelles données sont exploitées, et comment ? Comment savoir si c’est efficace ? Ces questions sont légitimes mais il est impossible d’y répondre. »
« Palantir a pour principe de ne pas répondre à la presse, pour ne pas alimenter davantage les fantasmes, confie encore un haut fonctionnaire qui les connaît bien. Ils ont une culture d’entreprise très différente des prestataires informatiques traditionnels ». Le siège californien de l’entreprise est peut-être surnommé « The Shire » (La Comté, encore un hommage à Tolkien), les conditions de travail sont loin d’être souples. Si vous passez à travers le tamis des six entretiens d’embauche, attendez-vous à des clauses de confidentialité drastiques. « En interne, c’est une véritable muraille de Chine », précise notre source, qui parle de personnels « pétrifiés par le secret défense » et d’ordinateurs « ultra-verrouillés ». Quand on lui demande quelques mots au sujet de son ancien employeur sur un chat sécurisé, un ingénieur répond du tac-au-tac : « Je n’ai rien à vous dire. Bonne chance pour votre article ».
Un contrat à 10 millions d'euros avec la DGSI
En mars 2015, quelques semaines après l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, Palantir a ouvert une filiale française, sur la très chic avenue Hoche, à quelques centaines de mètres de l'Arc de Triomphe. En toute discrétion, comme à son habitude. Après des mois de démarchages et de tractations, la firme américaine a trouvé un accord avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Selon nos informations, recueillies auprès de plusieurs sources au sein des services de renseignement, le contrat aurait été signé à l’été 2016. Montant estimé : 10 millions d’euros. 5% du budget de la DGSI. Auditionné par la commission défense de l’Assemblée nationale en mai dernier, Patrick Calvar, son patron, balisait le terrain en invoquant l’urgence : « Nous ne manquons pas de données ni de métadonnées, mais nous manquons de systèmes pour les analyser [...] Les entreprises françaises qui [les] développent ne sont pas encore capables de répondre à nos besoins, alors que nous devons acquérir ce big data immédiatement. Nos camarades européens sont dans la même situation. Le choix n’a pas encore été fait mais, en tout état de cause, la solution sera temporaire. »
L’appel d’offres, classifié, n’a pas été rendu public, mais plusieurs entreprises, françaises et étrangères, start-ups et multinationales, y ont répondu. Thalès aurait pu obtenir le marché, mais la toute nouvelle plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), est un fiasco doublé d’une très mauvaise publicité. « C’est leur EPR », glisse même avec dépit un membre des services. Alors que la loi renseignement de 2015 a sanctuarisé la souveraineté du renseignement, comment le loup Palantir est-il entré dans la bergerie ? Dans les secousses de l’affaire Snowden, Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale (et pas encore Garde des Sceaux), s’était ému de la curiosité maladive de la NSA : « Les Etats-Unis n’ont pas d’alliés, ils n’ont que des cibles ou des vassaux ». Pas de quoi empêcher le renseignement intérieur français de convoler en justes noces avec le meilleur ami des services américains. Ni tout à fait prestataire technique, ni complètement cabinet de consulting, Palantir a surtout vendu une belle promesse aux services de renseignement français : interconnecter les données collectées par les deux services dits du premier cercle (DGSE et DGSI, ndlr), faciliter leur exploitation et gérer le SAV. Afin de former les agents, des Palantirians sont en train d’être recrutés et déployés à Levallois, tandis qu’un expert venu de la DGSE est chargé d’auditer le nouveau système pour débusquer la moindre porte dérobée.
« C’est juste un prestataire. C’est comme acheter une version personnalisée de Windows 95 », tente de justifier un ancien cadre du renseignement intérieur. « La police est dans le bricolage, la réaction aux événements, au contraire de la DGSE, qui s’équipe depuis 2009. Pour moderniser et professionnaliser les outils, la DGSI a lancé trois plans de recrutement de contractuels. Ce qui la tuait, c’est qu’elle n’avait pas conscience de l’évolution technique. Il y a dix ans, les agents épluchaient encore des fadettes au stabilo. Maintenant que nous collectons en masse les métadonnées sur le territoire national, les entrepôts de données dormantes sont bien plus importants qu’avant et nous avons besoin d’outils pour les traiter. Le défi d’un service de renseignement aujourd’hui, c’est de croiser et d’exploiter du renseignement humain, des sources techniques, pour intervenir le plus en amont possible de la menace ».
Les boîtes noires rêvent-elles de moutons électriques ?
Capable de traquer des marchands de sommeil en analysant la consommation excessive d’eau dans un immeuble, Palantir pourrait matérialiser les rêves mouillés des services. En trente ans, le code pénal a vu apparaître l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste puis, en 2014, le délit d’entreprise terroriste individuelle. L’heure est à l’infiniment petit, et la doctrine privilégie les « signaux faibles » : une vidéo YouTube de l’Etat islamique, une amitié encombrante sur Facebook, un crédit à la consommation suspect. Pour les traquer, la loi renseignement a acté la création de « boîtes noires », soit des outils de détection algorithmique jetés comme des filets dérivants sur les réseaux des opérateurs télécom français. Ceux-ci ne pourront pas intercepter le contenu mais ils captureront les métadonnées. Selon la CNCTR, le gendarme du renseignement, ce dispositif expérimental devrait être déployé au printemps. Fin juillet, la commission de contrôle a transmis à Matignon une délibération classifiée sur son architecture, afin de clarifier les modalités d’accès et de stockage des données. C’est le GIC, le groupement interministériel de contrôle, basé aux Invalides, qui devrait s'occuper de gérer le péage.
« Attention, rendre les réseaux intelligents, c’est menacer les libertés », avertit un expert technique qui a longtemps roulé sa bosse chez un fournisseur d’accès hexagonal. Et si la conception de l’algorithme est la prérogative exclusive des services de l’Etat, Palantir pourrait agir comme un révélateur. « Le logiciel n’est pas une science occulte », pondère un développeur qui a récemment quitté l’entreprise. « C’est une solution utile pour donner du sens à des données disparates, mais il n’y a pas de bouton magique pour trouver les terroristes. Quiconque espérant le contraire sera invariablement déçu. Au bout du compte, les solutions de Palantir s’appuient sur des décisions humaines ». A l’instar d’un opérateur pilotant un drone Predator à des milliers de kilomètres de sa cible, un analyste des services devra-t-il demain, après-demain, évaluer une menace suggérée par une machine ? Interrogé sur les risques de dérapage d’un tel système, notre ancien cadre du renseignement s’en remet à l’expérience et à la perspicacité des agents : « A l’enquêteur de faire le tri ». En statistique, on appelle ça le risque de faux positif. Dans le monde réel, c’est l’arbitraire et l’abus de pouvoir. Risque-t-on de voir une douzaine de CRS casqués perquisitionner le domicile d’un innocent qui aura déclenché l’alarme à son corps défendant ? Sous un état d’urgence prolongé, alors qu’on punit désormais de prison ferme la simple consultation de « sites terroristes », la question se pose plus que jamais. Pas sûr que Palantir offre davantage de réponses.
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25/01/2017
Les nouveaux business de la longévité
Par Florence Pinaud | 25/01/2017, 7:28 | 2475 mots
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/chi...
L'Italienne Emma Morano, qui a fêté ses 117 ans le 29 novembre 2016 (photo), est l'actuelle doyenne de l'humanité. Elle est à ce jour la dernière personne vivante née avant 1900. Le record de longévité est détenue par la Française Jeanne Calment (1875-1997) : 122 ans. (Crédits : Reuters)L'immortalité a longtemps été considérée comme un sujet ringard. Mais, parce que le vieillissement est la cause de nombreuses pathologies qui coûtent très cher, le sujet, qui est en train de devenir une question de santé publique, est pris de plus en plus au sérieux par les milieux de la recherche scientifique.
- LES FAITS
Des chercheurs américains viennent d'inverser le vieillissement de souris par thérapie génique, et le premier essai clinique pour mesurer les effets contre le vieillissement d'un médicament antidiabétique ouvre la voie à une nouvelle approche médicale. De plus en plus d'équipes travaillent désormais sur la sénescence, avec le soutien des mouvements transhumanistes de la Silicon Valley.
- LES ENJEUX
Les pilules de jouvence devraient arriver sur le marché d'ici à dix ans, mais les prometteuses thérapies cellulaires et géniques se feront encore attendre. Et comme elles vont coûter cher, il faudra bien leur trouver un modèle économique.
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Un antidiabétique en guise de pilule de jouvence, une transfusion de sang jeune pour régénérer l'organisme et des chromosomes plus longs pour durer plus longtemps... Les recherches pour ralentir le vieillissement commencent à aboutir. En décembre dernier, des chercheurs du Salk Institute de San Diego ont inversé le processus de vieillissement de souris par manipulation génétique. Cette année, l'autorité de santé américaine a permis la première étude clinique d'une molécule pour lutter non contre une maladie, mais contre notre obsolescence programmée. Menée sur 3.000 patients de 70 ans à 80 ans en bonne santé, l'étude mesure l'effet de la metformine sur leur vieillissement et leur longévité. Après avoir constaté que les patients diabétiques traités par cette molécule vivaient 15% de plus que les non-diabétiques, les chercheurs misent beaucoup sur ce traitement.
Alors qu'il a longtemps été considéré comme un sujet ringard, le vieillissement est de plus en plus pris au sérieux dans les milieux de la recherche scientifique. Si les chercheurs européens refusent d'être associés à des rêves d'immortalité, ils reconnaissent que ce qu'on a longtemps considéré comme l'usure du corps est un phénomène complexe. En France, les membres de la communauté scientifique ont pris conscience de son intérêt, à l'instar de Jean-Marc Lemaître, directeur de recherche à l'Inserm, basé à Montpellier :
"Aujourd'hui, plusieurs équipes travaillent sur la sénescence avec des crédits publics. On sait que ce phénomène déclenche de nombreuses pathologies liées à l'âge, qu'on a du mal à soigner. Avec une population plus âgée, cette sénescence est devenue un véritable problème de santé publique, avec des coûts élevés."
Régénérer le sang des sujets âgés
Dans la course à la longévité, différentes pistes se côtoient. La première sera sans doute la plus rapidement accessible sur le marché : les petites molécules pharma. Certaines existent déjà, comme la metformine, commercialisée sous le nom de Glucophage pour les diabétiques de type II. C'est également le cas de la rapamycine, une molécule issue d'une bactérie découverte sur l'île de Pâques. Commercialisée par Pfizer, contre les rejets de greffe, elle semble également améliorer la longévité des chiens sur lesquels elle a été testée. Mais ses effets secondaires sont encore gênants.
Une autre molécule prometteuse pourrait améliorer la longévité. À son origine, un simple constat : les souris âgées transfusées avec du sang de jeunes rongeurs voient leur organisme régénéré. Le Harvard Institute a isolé la molécule GDF11 présente dans le sang des jeunes souris et qui réduit le nombre de cellules sénescentes chez les plus âgées. Pour Jean-Marc Lemaître, ce type de molécule fera sans doute l'objet du premier médicament anti-âge, dans les prochaines années.
Le risque de traitements hors règlementation (et hors de prix)
Autre médecine régénérative qui fait rêver les transhumanistes, la thérapie cellulaire et les cellules-souches embryonnaires. Déjà, certaines cliniques privées des États-Unis, du Mexique, de Chine ou du Kazakhstan proposent des thérapies aux cellules souches pour restaurer des fonctions vitales abîmées, technique vantée par quelques sportifs américains célèbres.
Si ces traitements hors réglementation coûtent plus de 40.000 dollars, les premiers accidents médicaux commencent à être médiatisés : certains patients développent des tumeurs. Car la thérapie cellulaire est une pratique nouvelle qui nécessite beaucoup de garanties. Les cellules injectées peuvent être les propres cellules-souches du patient, multipliées avant d'être réinjectées. Mais aussi des cellules-souches embryonnaires, prélevées sur des embryons issus d'avortements. Qu'elles soient natives ou embryonnaires, ces cellules nécessitent un traitement spécifique pour savoir se multiplier efficacement sans former des tumeurs. La FDA (Food and Drug Administration) conseille aux patients de s'assurer de la qualité des cellules qui leur sont injectées...
Compétition internationale
En Europe, différentes startups développent des traitements cellulaires pour régénérer des lésions dues à des maladies ou à des accidents. Les projets les plus avancés traitent des maladies neurologiques et ophtalmiques, comme celui de la biotech américaine Ocata Therapeutics qui réduit l'impact de la DMLA sur la rétine avec des cellules-souches embryonnaires.
C'est aussi le cas du pionnier français, l'institut de recherche I-Stem (80 salariés), créé en 2005. Basé sur le Genopole, il développe deux thérapies cellulaires dans le cadre de la rétinite pigmentaire et pour restaurer les ulcères de la peau issus de la drépanocytose (maladie génétique de l'hémoglobine).
« Aujourd'hui, les cellules-souches embryonnaires atteignent le domaine clinique dans différentes applications, se réjouit son directeur Marc Peschanski. Avant d'être injectées, ces cellules sont traitées pour s'adapter au mieux à la fonction vitale dans laquelle elles vont devoir se spécialiser. » En Belgique, la biotech Celyad (85 salariés) a testé un traitement issu de la Mayo Clinic, pour réduire les risques d'insuffisance cardiaque, avec des cellules-souches, mais sans grand succès à l'issue de l'essai clinique phase 3. À Mulhouse, la startup CellProthera (20 salariés) est une pionnière de la thérapie cellulaire. Créée en 2008 autour de ses découvertes sur les cellules-souches sanguines, elle travaille également sur la régénération des muscles cardiaques après infarctus. Avec un essai clinique en phase 2, elle voit son traitement sur le marché occidental en 2020. « Mais Singapour, qui cherche à développer une plateforme d'innovations médicales de pointe, pourrait accélérer le mouvement, précise Philippe Henon, président et directeur scientifique. Le pays nous a proposé d'ouvrir une filiale chez eux et si nos essais de phase 2 sont concluants, les autorités locales pourraient labelliser le traitement pour toute l'Asie du Sud-Est dès 2018. »
En route pour le "Meilleur des mondes" ?
Si la thérapie cellulaire a longtemps promis une vraie révolution, les résultats se font encore attendre. Mais la découverte des cellules IPS - c'est-à-dire rajeunies et transformées en cellules-souches par manipulation génétique - pourrait accélérer le mouvement. « Ce type de thérapie a l'avantage de pouvoir soigner des maladies multifactorielles dont on ne comprenait pas les causes ou dont on ne savait traiter qu'une des causes possibles à la fois, explique Elsy Boglioli, directrice associée au Boston Consulting Group. Avec elles, on pourra réparer les dégâts de manière globale. » Autre piste prometteuse, la thérapie génique s'attaque à de nombreuses maladies de l'âge. L'inventeur même du mot « transhumanisme » n'était-il pas le généticien américain Julian Huxley, frère de l'écrivain de S.F. Aldous Huxley (auteur de Brave New World, « Le Meilleur des mondes »), et promoteur d'un eugénisme démocratique ? Si l'on n'a pas encore identifié les gènes de la longévité, une formule de thérapie génique de jouvence vient d'être testée sur la présidente de la biotech américaine BioViva (voir encadré).
Comme les thérapies cellulaires, ces traitements sont réalisés sur mesure et en période de maîtrise des dépenses de santé, difficile de se montrer très optimiste sur les modalités de prise en charge. « Contrairement aux traitements pharma habituels destinés à tous les patients, nous créons un lot par personne, précise Christian Homsy, de Celyad. Cela revient forcément plus cher et ce coût nécessite des résultats thérapeutiques bien meilleurs pour être justifié. » Pour mesurer leur intérêt économique, de nombreux transhumanistes font valoir que ces innovations retardent l'apparition de complications et de maladies coûteuses. Certes. Mais même si elles arrivent plus tard, ces maladies de l'âge pèseront quand même lourd dans l'enveloppe de soins.
À moins que la période dite « de morbidité » - durant laquelle un patient accumule les problèmes de santé jusqu'à son décès - soit considérablement raccourcie par ce type de thérapie. Et que l'allongement de vie finisse par réduire la facture des maladies liées à l'âge.
Flots de questions éthiques autour de l'humain augmenté
Reste que, dans cette course à l'innovation génétique, les questions d'éthique se posent de plus en plus sérieusement (voir pages suivantes). Et ce n'est pas un mince obstacle. Car lorsque les chercheurs commencent à manipuler l'ADN d'embryons, il y a de quoi s'inquiéter de voir apparaître une nouvelle race d'humains génétiquement modifiés. Surtout quand des fondations privées sont financées par les magnats de la Silicon Valley, comme Methuselah (Mathusalem) sponsorisée par Peter Thiel, fondateur de PayPal, difficile de vérifier ce qui s'y passe. Pour le spécialiste de ces technologies médicales innovantes, Laurent Alexandre (auteur du livre La Mort de la mort), on est encore loin de la médecine transhumaniste qui veut améliorer l'espèce humaine. « Aujourd'hui, les thérapies cellulaires comme les thérapies géniques visent à soigner les patients, pas à les perfectionner, rappelle le président de DNA Vision (actionnaire minoritaire de La Tribune). Il va nous falloir des années d'études pour voir si ces nouveaux traitements allongent vraiment l'espérance de vie sans effets secondaires graves. Mais il n'est pas exclu que d'ici à quelques années, les autorités de tutelle n'acceptent que l'on délivre des molécules comme la metformine à des bien portants pour améliorer leur longévité. Ce serait un phénomène très nouveau dans le monde médical. » Alors que l'espérance de vie des Français est de 82 ans, la course à la très longue longévité, vivre cent ans, reste cependant un mât de cocagne lointain. Pour l'heure, à en croire la majorité de ses promoteurs, il s'agit simplement de gagner des années de vie « en bonne santé » pour que l'opération ait un intérêt. Et d'ailleurs, les transhumanistes reconnaissent que le pari de l'éternité est encore loin d'être gagné.
Pourtant, cela n'empêche pas certains d'y croire et de s'intéresser à la cryogénisation, technique qui consiste à plonger les personnes décédées dans un bain d'azote liquide pour conserver leur organisme en attendant que la science sache les guérir avant de les réanimer dans vingt ans, ou dans deux siècles. Plus de 300 corps sont ainsi conservés par trois entreprises : Alcor et Cryonics Institute aux États-Unis, et par le russe KrioRus. Suivant le service (seulement la tête, ou tout le corps !), les tarifs oscillent entre 25.000 et 190.000 euros. Une pratique illégale en France et totalement interdite avant la mort, puisqu'elle reviendrait à tuer. Mais pour la première fois en novembre dernier, la justice britannique a autorisé la cryogénisation d'une adolescente de 14 ans souffrant d'un cancer en phase terminale, avant son décès. C'était sa dernière volonté, dans l'espoir d'être guérie un jour.
Par Florence Pinaud
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REPERES
- 10 milliards d'euros, c'est le marché des thérapies géniques en 2018, selon différents cabinets d'études, tels que BDC. Mais le chiffre semble surévalué.
- 122 ans, telle est la plus grande longévité humaine, atteinte par Jeanne Calment. Aujourd'hui, les doyennes de l'humanité sont une Américaine et une Italienne de 116 ans.
- 500 ans ? « Si vous me demandez aujourd'hui s'il est possible de vivre jusqu'à
- 500 ans, la réponse est oui », a affirmé en janvier 2016 Bill Maris, à la tête de Google Ventures, la branche de capital-risque de la firme.
- 70.000 euros, c'est le prix de la prothèse de bras bionique - soit directement connectée sur les nerfs - fournie au jeune Anglais James Young, en 2012. En France, les développements de prothèses nouvelle génération sont les rétines artificielles réalisées par Pixium Vision, et l'exosquelette « mains libres », développé par Wandercraft.
- 36 % des actifs de Google Ventures ont été investis dans de jeunes sociétés relevant des sciences de la vie, en 2014. Contre seulement 6% en 2013. F. P.
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ENCADRE
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BioViva "rallonge les chromosomes" pour contrer le vieillissement
CEO de la startup américaine BioViva, Elizabeth Parrish est la « patiente zéro » de la jeune biotech. En septembre 2015, cette entrepreneure de 44 ans a testé deux thérapies géniques expérimentales conçues par sa société.
La première vise à limiter la perte de masse musculaire. La seconde consiste à rallonger les télomères, c'est-à-dire les extrémités des chromosomes par « télomérase », car le raccourcissement des télomères implique le vieillissement cellulaire.
Après son intervention, l'ADN des globules blancs d'Elizabeth Parrish avait allongé d'une taille équivalant à une vingtaine d'années. Depuis ses deux interventions, la patiente zéro est sous surveillance et affirme se sentir en forme. Robert Powles, chef de projet chez BioViva, se montre confiant :
« L'induction de télomérase testée sur des souris améliore leur longévité de 24%, ainsi que leur santé. Nous pensons qu'elle aura les mêmes effets bénéfiques sur les humains. Si les effets de l'inhibition de la myostatine pour limiter les pertes musculaires sont déjà visibles sur Elizabeth Parrish, ceux de la télomérase ne pourront pas être observés avant un bon moment. Il faudra attendre quelques années pour comparer son état de santé à celui d'autres personnes du même âge. » Aujourd'hui, BioViva prépare le lancement d'un essai clinique plus large sur une série de patients sains. Les volontaires ne manquent pas, affirme la biotech basée à Bainbridge Island (Washington). F. P.
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>>Cet article a d'abord été publié dans La Tribune Hebdo n°196 titrée "Vivre 100 ans et plus... en bonne santé ?" et datée du jeudi 19 janvier 2017, jour de distribution de l'édition papier en kiosque et de diffusion de l'édition numérique (pdf).
> Lire les autres articles du n°196 sur le site latribune.fr
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04/01/2017
Le jour où mon robot m’aimera, Vers l’empathie artificielle, Serge Tisseron
Ecrit par Jean-François Vernay 24.10.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Albin Michel
Le jour où mon robot m’aimera, Vers l’empathie artificielle, septembre 2015, 208 pages, 16 €
Ecrivain(s): Serge Tisseron Edition: Albin Michel
Les hommes sont des machines désirantes, on le sait, notamment depuis Deleuze et Guattari. Les machines, quant à elles, sont modelées sur les désirs humains. On le sait moins, mais les plus curieux auront l’occasion de le découvrir à la lecture du dernier Tisseron, Le jour où mon robot m’aimera. A l’heure où les expositions sur les robots fleurissent un peu partout en France (à Paris, Lyon, Pau, etc.), d’aucuns s’interrogent sur la frontière, entre l’homme et la machine, le vivant et l’artificiel, frontière que les technologies de pointe ont rendue de plus en plus poreuse.
Les industriels, les artistes et les réalisateurs d’une inventivité débordante forcent le trait du rapprochement entre les deux espèces. Her de Spike Jonze imagine la relation sentimentale entre Theodore Twombly et Samantha, la voix féminine d’une intelligence artificielle ; le PDG du groupe Softbank déclare triomphalement lors du lancement de leur robot dernier cri baptisé Pepper : « Pour la première fois dans l’histoire de la robotique, nous présentons un robot avec un cœur » (p.11).
Le cultissime Isaac Asimov énonce dans Runaround (1942) trois lois garantes d’une parfaite cohabitation entre les humains et les robots :
1/ Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger.
2/ Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi.
3/ Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi (1).
La course est engagée et l’intelligence artificielle gagne du terrain. Si elle n’est pas encore en mesure de façonner la conscience de soi ou la subjectivité, a-t-elle déjà créé l’empathie artificielle ? Peut-on même qualifier l’empathie d’artificielle ?
Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, soutient que l’empathie « implique aussi une dimension de réciprocité : j’accepte que l’autre se mette à ma place, ce qui suppose que je lui fait confiance. Et j’accepte qu’il m’éclaire sur des aspects de moi-même que j’ignore » (2). Mutatis mutandis, on pourrait reprendre cette notion de réciprocité ainsi : « J’accepte que le robot ou le personnage de roman se mette à ma place, ce qui suppose que je lui fais confiance. Et j’accepte qu’il m’éclaire sur des aspects de moi-même que j’ignore ». On le voit bien, la formulation de la première partie de la proposition conduit à une aporie, car comment penser qu’un objet dénué de subjectivité (dans le cas du robot) ou même d’existence (tel un personnage de fiction) puisse se mettre à ma place ?
La définition de l’empathie qui divise les chercheurs de tous bords est quelque peu problématique pour deux raisons essentielles, me semble-t-il. D’une part, la frontière entre cette émotion et d’autres notions comme la compassion, la théorie de l’esprit, l’adoption du point de vue d’autrui, ainsi que la contagion émotionnelle, est très ténue. D’autre part, chaque discipline envisage et circonscrit l’empathie à travers son propre prisme, ce qui conduit à une pluralité d’acceptions au sein desquelles chaque discipline met l’accent sur ses propres enjeux.
Véritable « feuilleté de concepts » selon la formule de Serge Tisseron (p.23), l’empathie se déclinerait en aspects, degrés, voire en stades et fonctionnerait donc selon deux processus cognitifs de base que Monique Desault prend soin de rappeler dans sa thèse : la résonance émotionnelle qui repose sur le mécanisme des neurones miroirs, alias les « neurones empathiques », découverts par l’équipe de Giacomo Rizzolatti dans les années 1990 ; puis « l’inférence émotionnelle qui permet de se représenter l’émotion d’autrui en mobilisant une capacité à se représenter comme distinct de l’autre » (3). Au cœur de la relation intersubjective, la capacité d’empathie, variable d’un individu à l’autre, oscillerait entre confirmation de soi dans l’autre et confrontation de l’autre à soi.
Dans le premier chapitre, Serge Tisseron distingue quant à lui « l’empathie directe » (nantie de trois composantes : l’empathie émotionnelle plus connue sous le nom de contagion émotionnelle, l’empathie cognitive et la capacité de changer de perspective émotionnelle) de « l’empathie morale ». Elle « correspond à la décision de nous orienter vers une utilisation de notre empathie émotionnelle et cognitive dans celui d’un bien vivre-ensemble plutôt que dans celui d’une manipulation permanente de notre entourage » (p.33). Surnommée empathie de l’altruisme, cette émotion se compose de trois éléments qui doivent tous opérer sur le mode de la réciprocité : « l’estime de soi », « la faculté que je m’accorde d’aimer et d’être aimé » et « l’ensemble des droits citoyens » (p.33-4).
La générosité va donc physiologiquement et neurobiologiquement de soi puisque, à en croire les scientifiques, elle solliciterait les mêmes aires du cerveau que le plaisir. Non seulement les comportements sociaux altruistes sont récompensés par une sensation hédonique, mais ils sont par ailleurs orientés puisque la stratégie évolutionniste du donnant-donnant privilégierait la solidarité mutuelle grâce à l’empathie morale. Si toutefois l’intelligence artificielle parvenait à recréer l’empathie telle qu’elle est éprouvée par les humains, les robots seraient-ils tous portés à l’altruisme ? A ce moment-là, pourquoi les récits et films de science-fiction en font-ils des machines rebelles et tueuses ? S’agit-il du fameux « complexe de Frankenstein » (4) identifié par Asimov ? Ou est-ce parce que l’impact positif de l’empathie sur l’environnement social est tributaire de l’utilisation qui est en faite ? En effet, bipolarité oblige (bienveillance/malveillance), l’empathie pourrait être récupérée à des fins moins vertueuses telle la manipulation : « ces machines conçues pour être capables de s’adapter au moindre de nos désirs auront des pouvoirs de séduction, et donc de manipulation, sans précédent » (p.13)
Les recherches qui explorent l’empathie homme-machine vont bon train et « portent sur trois domaines : mieux comprendre les émotions humaines, fabriquer les robots mieux acceptés par la majorité de la population, et, dans certaines circonstances, réduire la complexité des échanges de façon à les adapter aux handicaps de leurs interlocuteurs » (p.17), à l’instar du robot MOTI pour les enfants qui souffrent d’autisme. C’est parce que certains soldats développent une forme d’attachement pour leur robot que Serge Tisseron associe cette dernière à des occurrences d’empathie homme-machine et prépare « un test d’empathie mesurant ce risque d’attachement et ses conséquences » (p.44). Il en découle que toute dynamique psychoaffective d’attachement, besoin social primaire évident, sous-tendrait automatiquement au préalable un processus d’empathie. Au fil des chapitres, l’auteur finit par mettre habilement le doigt sur le nœud du problème qui se pose. Ce dernier est « moins celui de savoir si le robot aura un jour une “vraie intelligence” ou des “vraies émotions” que celui de comprendre pourquoi nous serons si facilement enclins à lui en attribuer. L’une des réponses se trouve à mon avis dans le caractère difficile et décevant, pour beaucoup d’entre nous, des relations avec nos semblables » (p.65).
Et de toute évidence, « le risque est que l’homme finisse par attendre de ses semblables qu’ils se comportent comme des robots » (p.71). L’autre dérive serait la tendance de l’homme à anthropomorphiser sa relation aux robots, surtout s’ils sont « appelés à devenir des partenaires de vie » (p.119). C’est un peu ce que fait l’auteur de ce livre lorsqu’il décline les quatre fonctions des robots. Serge Tisseron n’emploie pas des mots neutres comme les fonctions de servitude, de repère, de complicité et de partenariat, il parle de fonctions d’esclave, de témoin, de complice et de partenaire ! Serait-ce une manifestation de « Cet obscur désir qui nous attache aux objets » ? Ces fonctions correspondraient trait pour trait aux quatre désirs fondamentaux chez l’être humain (emprise, réciprocité, autonomie et servitude) illustrés par un diagramme synoptique (p.119), fonctions qui « rendent également compte des rôles que nous pouvons vouloir imposer à nos semblables » (p.120). Ces fonctions s’observent davantage au singulier (isolées) qu’au pluriel (combinées) car « Les objets qui nous entourent aujourd’hui ont peu de plasticité dans les changements possibles de rôles » (p.129), mais nous pouvons compter sur la culture numérique pour faire le lit des objets multifonctions, pour ne pas dire multi-identitaires.
« La fascination que les robots exercent sur nous trouve son origine dans notre désir de réunir trois domaines que l’homme a toujours été obligé d’aborder et de résoudre séparément : communiquer en utilisant ses cinq sens et les interfaces mimo-gestuelles dont la nature l’a pourvu ; contrôler totalement un objet au point de lui confier tout ou partie de lui-même en toute sécurité ; et voir devant lui les personnages qui peuplent son monde intérieur. Avant le développement des technologies numériques, ces trois désirs étaient satisfaits dans trois domaines distincts. […] Or ce sont ces trois domaines, et les désirs qui y sont associés, que les robots vont réunir sur eux » (p.179-80). La nouvelle mutation est en marche : « Les robots seront en effet à la fois et inséparablement un alter ego, un simple objet et une image » (p.182).
Le slogan du projet Feelix-croissance « Emotional robot has empathy n’est pas seulement un mensonge », nous dit-on en guise de conclusion, « c’est un poison qui pousse à la confusion entre l’homme et la machine, et qui risque de nous faire oublier qu’un robot “empathique” pourra être en même temps un espion invisible et permanent de tous les faits et gestes de son propriétaire » (p.161).
Big brother is watching you ! La réalité est en passe de dépasser la fiction dystopique et ce n’est sans doute qu’une question de temps. Autant faire preuve d’anticipation, mais pas dans l’écriture cette fois-ci.
Jean-François Vernay
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A propos de l'écrivain
Serge Tisseron
Serge Tisseron est né à valence le 8 mars 1948. Il est psychiatre, docteur en psychologie et psychanalyste, chercheur associé habilité à diriger des recherches (HDR) au Centre de Recherche Psychanalyse Médecine et Société à l’université Paris VII Denis Diderot.
A propos du rédacteur
Jean-François Vernay
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Essayiste et chercheur en littérature, Jean-François Vernay est notamment l’auteur de Panorama du roman australien des origines à nos jours (Paris, Hermann, 2009) qui paraîtra en 2016 en Australie dans une édition revue et augmentée sous le titre de A Brief Take on the Australian Novel. Son dernier livre documentaire Plaidoyer pour un renouveau de l’émotion en littérature (Paris, éditions Complicités, 2013) est aussi en cours de traduction.
Dignité humaine
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dignit%C3%A9
John Rawls considérait ainsi qu'on ne pouvait fonder une théorie de la justice sur la notion abstraite de dignité, qui requiert d'être définie par des principes déterminés11
La dignité, telle que conceptualisée par Kant dans la Critique de la raison pratique, est accordée à tout Homme en tant qu'être raisonnable. On cite souvent à cet égard la maxime kantienne de traiter toujours autrui comme fin et non simplement comme moyen9, qui selon Schulman influence par exemple la notion de consentement éclairé. Toutefois, la dignité kantienne se rapproche du stoïcisme en ce qu'elle est exclusivement la capacité d'agir moralement en dehors de déterminations empiriques, et sensibles, de la volonté. C'est pour Kant le devoir moral (l'impératif catégorique) d'agir librement, y compris et surtout contre les inclinations du désir et de la chair. La dignité kantienne se distingue donc fortement du respect de la vie en tant que vie sensible et souffrante : elle est au contraire respect de la liberté humaine, c'est-à-dire de l'Homme en tant qu'être suprasensible.
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02/05/2016
L’Atelier BNP PARIBAS – Start-up et stationnement
Si on enlève 10% de la circulation cela suffit à fluidifier l’ensemble du trafic.
Régler le problème global du stationnement profite à tous, pas simplement à ceux qui ne trouvent pas de place
[Focus] Stationnement : les applications passent la seconde
Par Sophia Qadiri 27 avril 2016
http://www.atelier.net/trends/articles/enquete-stationnem...
Mots-clés : Smart Mobility, Amériques, stationnement intelligent, Europe
Le stationnement est un problème de taille dans la plupart des grandes villes, où le trafic est dense et congestionné. Enquête sur les applications qui aident les automobilistes à trouver une place. Partie 1
Le stationnement est souvent un cauchemar dans les grandes villes. Comme dans la capitale, beaucoup de mairies mènent désormais des politiques de transport défavorables aux automobiles. Et cette tendance n’est pas nouvelle. A Paris, elle date du début du millénaire et se poursuit : les berges de Seine ont progressivement été réaménagées et la circulation alternée est privilégiée en cas de pic de pollution. Mais le meilleur moyen de dissuader les conducteurs de se déplacer en voiture reste d’instiller l’appréhension de ne pas trouver où se garer. Une peur d’autant plus justifiée que les zones de stationnement ont diminué ces quinze dernières années. La Ville a même envisagé de végétaliser certains emplacements. Quoi qu'il en soit, Vélib’ et autres Autolib’ empiètent désormais sur les places autrefois réservées aux voitures.
Pour remédier à ce problème, acteurs classiques et jeunes pousses rivalisent d’innovations. Les applications smartphones qui permettent aux automobilistes de repérer un endroit où stationner sont désormais légion. De Apila à Sweetch en passant par Path to Park, toutes ont l’objectif de contribuer à désengorger les villes. Chacune a construit sa stratégie, plus ou moins bien acceptée. Retour sur des expériences instructives.
Ces start-up qui trouvent des places de stationnement
Hamza Ouazzani Chahdi, fondateur de plusieurs start-up dans le domaine du stationnement raconte cette histoire dans laquelle tous les automobilistes des grandes villes pourraient se retrouver : “Quand j’étais en école, j’avais une voiture pour pouvoir circuler librement parce que les transports en commun manquaient sur le plateau de Saclay. Et quand le week-end j’allais à Paris, trouver une place était infernal. Je pouvais tourner pendant plusieurs dizaines de minutes avant de pouvoir me garer. C’est comme ça que j’ai réalisé qu’il y avait un vrai problème avec le stationnement.”
De cette prise de conscience est née une volonté d’entreprendre et une envie de simplifier le quotidien des automobilistes. Convaincu que le problème ne résidait pas seulement dans le manque d’infrastructures mais était aussi lié à un manque d’informations, le jeune startuper s’est donc employé à créer une première application, incubé au Y Combinator, pour aider les conducteurs à trouver une place à San Francisco. “Le concept de Sweetch c’était de s’entraider, de créer une communauté pour trouver des places libres. Concrètement la personne payait 5 dollars en trouvant où se garer grâce à l’application et les récupérait en prévenant qu’elle libérait sa place. On avait rajouté une incitation financière pour que cela fonctionne dans les deux sens”, se souvient Hamza Ouazzani Chahdi.
La même idée avait été testée en 2012 et présentée comme un réseau social de la recherche de place de parking. Mais Apila n’a pas décollé. Quand aux autres applications similaires à Sweetch comme Park Modo ou Monkey, toutes se sont heurtées à un problème de compréhension du sujet et à un blocage par la Ville. “Beaucoup n’ont pas compris l’esprit, ont considéré qu’on privatisait des infrastructures publiques gratuites. Ce n’était pas le bon moment. C’est arrivé dans un contexte difficile avec la montée des loyers, et l’inflation en générale”, analyse l’entrepreneur.
Les avantages d’un acteur du stationnement bien installé
C’est dans ces situations que les acteurs traditionnels mieux implantés ont un avantage. Grâce à ses horodateurs connectés et à ses “quarante ans de données de paiement par sections de rues dans des milliers de villes”, l’entreprise Parkeon propose également d’aider les conducteurs à se garer. "L’objectif de Path to park, est de faire passer la recherche de stationnement de 15 à 3 minutes". Bertrand Barthelemy, CEO, est très fier de son application prédictive. “On obtient des informations ou des prévisions fiables grâce à l’historique des données de paiement, aux données minute par minute et à la corrélation avec 200 autres bases de données (météo, achetées ou en open data).” L’outil lancé l’an dernier est “complètement opérationnel depuis novembre 2015”.
D’après lui, l’une des raisons du manque de places de stationnement en voirie est la présence des “voitures ventouses”. “Le problème c’est que comme les résidents bénéficient d’un stationnement gratuit ou à tarif préférentiel près de chez eux, souvent une famille qui a deux véhicules, utilise son parking privatif pour la voiture du quotidien et la deuxième voiture reste garée sur l’espace public et l’encombre pendant que le parking privatif reste vide.” À cela s’ajoute l’absence de corrélation entre l’augmentation du parc automobile et celle des places de stationnement. “Dans l’agglomération de Lille par exemple, il y a eu 200 000 voitures de plus en 25 ans dont 190 000 restent dans la rue. C’est très compliqué pour les maires de gérer cela car ces résidents sont leurs électeurs.”
La solution de Parkeon ? Favoriser la rotation. “Si le temps est limité à deux heures de stationnement dans les rues commerçantes, il y aura mécaniquement plus de passage.” Et plus de place libres pour les automobilistes.
Path to park permet aussi de pré-réserver ou de prépayer sa place. En effet trouver où se garer n’est pas le seul problème lié au stationnement et c’est la raison pour laquelle d’autres applications se proposent d’y remédier. En utilisant des voituriers ou encore en prévenant le conducteur de la régulation en vigueur.
[Focus] Parking : les applications trouvent le bon créneau
Par Sophia Qadiri 28 avril 2016
http://www.atelier.net/trends/articles/focus-parking-appl...
Mots-clés : Smart Mobility, Amérique du Nord, stationnement intelligent, Europe
Trouver une place n’est pas le seul problème du stationnement. La payer ou encore éviter de se faire verbaliser peut être compliqué. Les innovations fleurissent dans ce domaine et participent au désengorgement des villes. Enquête (Partie 2).
Le nombre de voitures dans le monde explose. Selon des estimations de l’Agence internationale pour l’énergie qui dépend de l’OCDE, les deux milliards de véhicules seront atteints en 2050. En effet, malgré le développement des consciences écologiques, la promotion des transports en commun ou des vélos, le nombre de voitures en circulation continue à augmenter de manière exponentielle, notamment dans les pays en développement. Dans les grandes capitales européennes les Villes ont pris des mesures pour limiter l’accès des véhicules particuliers. C’est le cas à Paris, où les quais de Seine sont progressivement fermés aux voitures ou à Londres, où le nombre de cyclistes pourrait bientôt dépasser celui d’automobilistes.
Même à Casablanca, la construction des lignes de tramway se fait au détriment des véhicules qui se retrouvent confrontés à des voies largement réduites. Malgré ce contexte qui peut sembler défavorable aux voitures, les citoyens sont toujours très nombreux à les utiliser. Et les villes de plus en plus saturées. Mexico, Bangkok et Istanbul occupent le podium mondial des plus congestionnés, mais les occidentaux ne sont pas en reste. San Francisco et Paris sont les deuxièmes villes les plus embouteillées des Etats-Unis et de la France, respectivement 31e et 32e au classement international, derrière Los Angeles et Marseille.
Le temps perdu passé à se garer fait partie des facteurs d’engorgement d’une ville. Trouver une place n’est pas le seul problème. Il faut aussi choisir entre parking souterrain et voirie, pouvoir éventuellement réserver la place, la payer, parvenir à se garer et ne pas être dans l’illégalité. Start-up et acteurs traditionnels fourmillent d’innovations axées sur ces différents aspects du stationnement. De la multiplication des moyens de paiement aux parcmètres aux applications smartphone pour ne pas se faire verbaliser, les inventions pour faciliter la mobilité des automobilistes ont donc fleuri, avec plus ou moins de succès. Tour d’horizon.
Augmenter les moyens de paiement et favoriser la rotation pour améliorer le stationnement en ville
La question du paiement est en une difficulté importante à laquelle est souvent confronté l’automobiliste. “Aux Pays-Bas avec ma voiture, je n'avais pas de monnaie sur moi alors pour ne pas être verbalisé j'ai dû aller retirer de l'argent puis prendre un café pour pouvoir payer le parcmètre. Non seulement cela demande plus de temps mais en plus c'est plus cher parce qu'il faut payer le café…”, s’amuse Bertrand Barthélémy, CEO de Parkeon.
En effet, “trois-quarts des villes françaises ne proposent que le paiement en espèce”, bien que “l'usage de la carte bancaire pour les horodateurs a une dizaine d'années et se généralise depuis quatre - cinq ans”. C’est dommageable pour les municipalités puisque plus on augmente le nombre de moyens de paiement (en cash, par carte bancaire, en sans contact, via sa montre intelligente...) et plus les gens payent. “Quand on introduit le paiement par carte bancaire aux horodateurs, on constate 25% de paiement en plus et à Paris c'est encore plus spectaculaire, on a doublé le nombre de personnes payantes”. De même, “en mettant en place le paiement sans contact (qui s’envole cette année) on augmente encore de 15% le nombre de paiement.”
Aujourd’hui, d’après le CEO de Parkeon, il y a 500 millions de transactions par an en espèce, contre 200 millions par carte bancaire... et 10 millions par téléphone. Il y a quelques années, le paiement par mobile passait par l’envoie d’un sms. C’est désormais plus simple avec les applications comme Whoosh et YellowBrick de Parkeon. “D'un point de vue politique, il serait légitime de donner les moyens au citoyen de payer.” C’est un des arguments que fait valoir l’entreprise pour convaincre les maires. “Parfois des moyens de paiement ne sont pas mis à disposition parce que c'est compliqué, il y a une lourdeur inhérente aux dépenses publiques”. Alors il faut aussi démontrer que cela en vaut la peine. Les chiffres abondent dans ce sens : “le retour sur investissement pour la carte bancaire est de trois à quatre mois, donc ce n'est pas une question économique”.
Les maires seront d’autant plus impliqués que la dépénalisation du stationnement a finalement été adoptée. A partir du 1er janvier 2018, l’amende sera remplacée par une redevance locale décidée par la collectivité locale. “Ils vont devoir proposer de façon standard le paiement aux concitoyens, la logique serait donc de redonner des moyens de paiement électronique”, juge Bertrand Barthélémy.
Des voituriers pour les particuliers et la certitude d’être garé
Pour être sûr de se garer, certaines applications ont proposé de faire appel à un service de voituriers. Hamza Ouazzani Chahdi en a lancé une avec son co-fondateur Aboud Jardaneh. “Après Sweetch (ndlr : Partie 1), on s’est demandé comment apporter aux gens la certitude de trouver une place. On a alors pivoté en créant Vatler : on postait nos voituriers devant les restaurants partenaires et on leur offrait nos services pour leurs clients en contrepartie de la promotion qu’ils pouvaient faire de l’application”.
Luxe et Zirx sont des applications concurrentes. Toutes ont rencontré de réels difficultés. “On s’est encore fait bloquer par San Francisco”, résume le fondateur de Vatler, qui a eu une expérience similaire quelques mois plus tôt. “La Ville a commencé à nous faire payer 25% de taxes, et en les payant on commençait à perdre tous nos profits. Ensuite ils voulaient nous soumettre aux lois sur les voituriers traditionnels, ils nous ont demandé des permis spéciaux. On s’y est soumis. Et puis ils ont tout simplement arrêté de nous donner les autorisations d’exercer. On a su ensuite que c’était sous la pression des sociétés de parking qui ont fait du lobby parce qu’ils nous considéraient comme de la concurrence déloyale.”
Zirx ont eux laissé tomber leur modèle “à la demande” pour passer en B2B quand Luxe met les bouchées doubles et vient de conclure un partenariat avec Hertz, l’entreprise de location de véhicules.
D’autres super assistants, virtuels cette fois, pourrait faciliter le stationnement. C’est le cas des technologies comme le Fully Active Park Assist de Ford qui, une fois au point, permettront à la voiture de faire son créneau toute seule. En attendant, les parkings deviennent plus intelligents.
Les parkings souterrains de plus en plus intelligents
“Pour choisir leurs zones de stationnement, les gens misent sur la qualité, il y a la question d’être sûr de trouver une place puis le prix joue, et enfin le sentiment de sécurité est important, les gens n’iront pas se garer à un endroit s’ils ont peur pour eux ou pour leur voiture, ou si le parking est sale”, liste Bertrand Barthélémy.
Les parkings souterrains ont en tout cas l’avantage d’être plus souvent privés et réservables. La start-up OnePark, en a fait sa spécialité et vient de nouer un partenariat avec les parkings EFFIA de Keolis.
Pour inspirer confiance et faciliter l’utilisation de ces parkings souterrains, un certain nombre de technologies ont été déployés. “A Milan avec MiniPark, un système de caméra à l’entrée lit les plaques d’immatriculation ou un code barre, à la sortie le véhicule est identifié et associé à une personne ou à une carte de transports publics dans les parkings relais. Le propriétaire de la voiture est ensuite facturé à la fin du mois, sur sa carte de transport public et pourrait même recevoir un message d’alerte si le train est en retard en s’inscrivant à ce service.”
En France, les volontaires peuvent associer les plaques d’immatriculations de leurs véhicules à leur profil sur l’application Path to Park et “se voir ouvrir les portes des parkings partenaires à leur arrivée parce que la caméra les aura reconnu”. La différence entre se garer dans la rue par rapport au parking privé, c’est aussi que les PV sont plus vite arrivés.
Dernier commandement du stationnement parfait : ne pas se faire verbaliser
Pour Hamza Ouazzani Chahdi, la donnée est la clef du stationnement. “On s’est rendu compte qu’en donnant de l’information aux gens, on peut être beaucoup plus utile et sur une échelle bien plus grande.” C’est justement l’objet de sa nouvelle start-up : “rassembler un maximum de données sur les parkings pour les transmettre d’une manière intelligente”. Dans un premier temps, Spot Angels se concentre sur les réglementations de stationnement.
“En arrivant à San Francisco on s’est fait embarquer notre voiture par la fourrière et cela nous a coûté 600 dollars. Au moment où on l’a garé c’était autorisé sauf qu’à 3h de l’après-midi il aurait fallu la déplacer et nous ne le savions pas. Il y a énormément de régulation de ce type.” C’est la raison pour laquelle Hamza Ouazzani Chahdi et ses associés se sont lancés dans la création d’une technologie qui prévient l’utilisateur de la réglementation en vigueur à l’endroit où il s’est garé. “C’est une application très simple qui tourne toute seule dans le background et t’envoie l’information, elle te demande de confirmer que tu viens de te garer à tel endroit en un touché d’écran, t’indique le temps que tu peux rester et te le rappelle une demi-heure avant d’être en infraction. Si l’information manque, l’utilisateur prend une photo pour renseigner les autres.”
Pour être efficace, Spot Angels doit croiser un grand nombre de données. “Il faut qu’on connaisse toutes les lois qui régissent les parkings souterrains comme en extérieur. Il faut qu’on sache quels sont les horaires d’ouverture et de fermeture, de passage du camion de nettoyage, et qu’on connaisse aussi chaque quartier, qu’on sache comment il évolue, est-ce qu’il devient résidentiel, quel est la moyenne d’occupation de la rue… C’est énorme et cela n’a pas encore été fait.” Pour une fois, la jeune pousse a pu compter sur la Ville : “On a rassemblé les données publiques sur les emplacements dédiés au stationnement… Comme différentes agences communales s’en occupent et ne communiquent pas forcément entre elles, les données sont incomplètes et parfois non mises à jour.”
C’est donc le fruit d’un long travail, d’une technologie éduquée au machine learning et de l’aide reçue par la communauté d’utilisateurs. Ces derniers sont friands du fait de savoir ainsi “où est leur voiture, d’économiser l’argent autrefois dépensé pour les amendes de stationnement, et de participer au développement et au fonctionnement de l’application, un peu à la Waze”.
De la même manière que Whoosh, propose à l’utilisateur de lui envoyer une alerte pour le notifier de la fin de sa période de stationnement et lui offrir la possibilité de l’étendre, Spot Angels pourrait considérer l’idée d’héberger un système de paiement. A terme, les startupers envisagent même de “régler tous les problèmes du stationnement en une application, en fournissant la bonne information”.
Selon Bertrand Barthélémy, “des chercheurs américains et chinois ont démontré que même si 100% des automobilistes avaient l’information parfaite sur les emplacements disponibles, cela n’impacterait pas l’efficacité d’applications comme Path to Park”. Sur ce sujet la somme des optimums individuels revient à l’optimum collectif : “peut-être que vous marcherez dix minutes de plus mais si la personne devant se gare plus vite, vous allez plus vite”.
Que ce soit grâce à une application pour trouver une place, à un voiturier, en simplifiant le paiement ou l’usage d’un parking, plus l’automobiliste stationne rapidement et plus la ville sera décongestionnée. “Si on enlève 10% de la circulation cela suffit à fluidifier l’ensemble du trafic. Régler le problème global du stationnement profite à tous, pas simplement à ceux qui ne trouvent pas de place.”
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30/03/2016
Télérama : Comment le monde actuel a privatisé le silence
http://www.telerama.fr/idees/comment-le-monde-actuel-a-pr...
- Weronika Zarachowicz - Publié le 07/03/2016.
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Les technologies modernes nous sollicitent de plus en plus, et chacun semble s’en réjouir. Or, cela épuise notre faculté de penser et d’agir, estime le philosophe-mécano Matthew B. Crawford.
« Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre », écrivait déjà Pascal en son temps. Mais que dirait l'auteur des Pensées aujourd'hui, face à nos pauvres esprits sursaturés de stimulus technologiques, confrontés à une explosion de choix et pour lesquels préserver un minimum de concentration s'avère un harassant défi quotidien ? C'est cette crise de l'attention qu'un autre philosophe, cette fois contemporain, s'est attelé à décortiquer.
Matthew B. Crawford est américain, chercheur en philosophie à l'université de Virginie. Il a la particularité d'être également réparateur de motos. De ce parcours de « philosophe mécano », il a tiré un premier livre, Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, best-seller aux Etats-Unis. Il y raconte comment, directeur d'un think tank de Washington où il lui était demandé de résumer vingt-trois très longs articles par jour — « un objectif absurde et impossible, l'idée étant qu'il faut écrire sans comprendre, car comprendre prend trop de temps... » —, il en a claqué la porte pour ouvrir un garage de réparation de motos. Dans ce plaidoyer en faveur du travail manuel, il célèbre la grandeur du « faire », qui éduque et permet d'être en prise directe avec le monde par le biais des objets matériels.
“Notre espace public est colonisé par des technologies qui visent
à capter notre attention.”
C'est en assurant la promotion de son best-seller que Crawford a été frappé par ce qu'il appelle « une nouvelle frontière du capitalisme ». « J'ai passé une grande partie de mon temps en voyage, dans les salles d'attente d'aéroports, et j'ai été frappé de voir combien notre espace public est colonisé par des technologies qui visent à capter notre attention. Dans les aéroports, il y a des écrans de pub partout, des haut-parleurs crachent de la musique en permanence. Même les plateaux gris sur lesquels le voyageur doit placer son bagage à main pour passer aux rayons X sont désormais recouverts de publicités... »
Le voyageur en classe affaires dispose d'une échappatoire : il peut se réfugier dans les salons privés qui lui sont réservés. « On y propose de jouir du silence comme d'un produit de luxe. Dans le salon "affaires" de Charles-de-Gaulle, pas de télévision, pas de publicité sur les murs, alors que dans le reste de l'aéroport règne la cacophonie habituelle. Il m'est venu cette terrifiante image d'un monde divisé en deux : d'un côté, ceux qui ont droit au silence et à la concentration, qui créent et bénéficient de la reconnaissance de leurs métiers ; de l'autre, ceux qui sont condamnés au bruit et subissent, sans en avoir conscience, les créations publicitaires inventées par ceux-là mêmes qui ont bénéficié du silence... On a beaucoup parlé du déclin de la classe moyenne au cours des dernières décennies ; la concentration croissante de la richesse aux mains d'une élite toujours plus exclusive a sans doute quelque chose à voir avec notre tolérance à l'égard de l'exploitation de plus en plus agressive de nos ressources attentionnelles collectives. »
“L’autorégulation est comme un muscle, il s’épuise facilement.”
Bref, il en va du monde comme des aéroports : nous avons laissé transformer notre attention en marchandise, ou en « temps de cerveau humain disponible », pour reprendre la formule de Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1 ; il nous faut désormais payer pour la retrouver. On peut certes batailler, grâce à une autodiscipline de fer, pour résister à la fragmentation mentale causée par le « multitâche ». Résister par exemple devant notre désir d'aller consulter une énième fois notre boîte mail, notre fil Instagram, tout en écoutant de la musique sur Spotify et en écrivant cet article... « Mais l'autorégulation est comme un muscle, prévient Crawford. Et ce muscle s'épuise facilement. Il est impossible de le solliciter en permanence. L'autodiscipline, comme l'attention, est une ressource dont nous ne disposons qu'en quantité finie. C'est pourquoi nombre d'entre nous se sentent épuisés mentalement. »
Cela ressemble à une critique classique de l'asservissement moderne par la technologie alliée à la logique marchande. Sauf que Matthew Crawford choisit une autre lecture, bien plus provocatrice. L'épuisement provoqué par le papillonnage moderne, explique-t-il, n'est pas que le résultat de la technologie. Il témoigne d'une crise des valeurs, qui puise ses sources dans notre identité d'individu moderne. Et s'enracine dans les aspirations les plus nobles, les plus raisonnables de l'âge des Lumières. La faute à Descartes, Locke et Kant, qui ont voulu faire de nous des sujets autonomes, capables de nous libérer de l'autorité des autres — il fallait se libérer de l'action manipulatrice des rois et des prêtres. « Ils ont théorisé la personne humaine comme une entité isolée, explique Crawford, totalement indépendante par rapport au monde qui l'entoure. Et aspirant à une forme de responsabilité individuelle radicale. »
C'était, concède tout de même le philosophe dans sa relecture (radicale, elle aussi) des Lumières, une étape nécessaire, pour se libérer des entraves imposées par des autorités qui, comme disait Kant, maintenaient l'être humain dans un état de « minorité ». Mais les temps ont changé. « La cause actuelle de notre malaise, ce sont les illusions engendrées par un projet d'émancipation qui a fini par dégénérer, celui des Lumières précisément. » Obsédés par cet idéal d'autonomie que nous avons mis au coeur de nos vies, politiques, économiques, technologiques, nous sommes allés trop loin. Nous voilà enchaînés à notre volonté d'émancipation.
“Cette multiplication des choix capte toujours plus notre énergie et notre attention...”
« Nous pensons souvent que la liberté équivaut à la capacité à faire des choix ; maximiser cette liberté nécessiterait donc de maximiser toujours plus le nombre de possibilités qui s'offrent à nous, explique Crawford. Alors que c'est précisément cette multiplication qui capte toujours plus notre énergie et notre attention... » Un processus pervers dont nous souffrons autant que nous jouissons, en victimes consentantes. En acceptant de nous laisser distraire par nos smartphones, nous nous épuisons mentalement... tout en affirmant notre plaisir d'être libres et autonomes en toutes circonstances. Vérifier ses e-mails en faisant la queue au cinéma, au feu rouge ou en discutant avec son voisin, c'est clamer sa liberté toute-puissante, face à l'obligation qui nous est faite d'attendre. C'est être « designer » de son monde, comme le répètent à l'envi les forces du marketing.
Et c'est s'enfermer, dénonce le philosophe, dans l'idéal autarcique d'un « moi sans attaches qui agit en toute liberté », rationnellement et radicalement responsable de son propre sort. Dans un sens, nous sommes peut-être tous en train de devenir autistes, en cherchant à nous créer une bulle individuelle où il nous serait, enfin, possible de nous recentrer... Bien sûr, faire de Descartes et Kant les seuls responsables de cette captation de l'attention, c'est pousser le bouchon très loin. Mais c'est aussi écrire une philosophie « sur un mode vraiment politique, revendique Crawford, c'est-à-dire polémique, comme le faisaient les penseurs des Lumières que je critique, en réponse à tel ou tel malaise ressenti de façon aiguë à un moment historique donné ». Ce faisant, le philosophe offre une vision alternative, et même quelques clés thérapeutiques, pour reprendre le contrôle sur nos esprits distraits. Pas question pour lui de jeter tablettes et smartphones — ce serait illusoire. Ni de s'en remettre au seul travail « sur soi ».
« L'effet combiné de ces efforts d'émancipation et de dérégulation, par les partis de gauche comme de droite, a été d'augmenter le fardeau qui pèse sur l'individu désormais voué à s'autoréguler, constate-t-il. Il suffit de jeter un œil au rayon "développement personnel" d'une librairie : le personnage central du grand récit contemporain est un être soumis à l'impératif de choisir ce qu'il veut être et de mettre en oeuvre cette transformation grâce à sa volonté. Sauf qu'apparemment l'individu contemporain ne s'en sort pas très bien sur ce front, si l'on en juge par des indicateurs comme les taux d'obésité, d'endettement, de divorce, d'addictions y compris technologiques... »
Matthew Crawford préfère, en bon réparateur de motos, appeler à remettre les mains dans le cambouis. Autrement dit à « s'investir dans une activité qui structure notre attention et nous oblige à "sortir" de nous. Le travail manuel, artisanal par exemple, l'apprentissage d'un instrument de musique ou d'une langue étrangère, la pratique du surf [NDLR : Crawford est aussi surfeur] nous contraignent par la concentration que ces activités imposent, par leurs règles internes. Ils nous confrontent aux obstacles et aux frustrations du réel. Ils nous rappellent que nous sommes des êtres "situés", constitués par notre environnement, et que c'est précisément ce qui nous nous permet d'agir et de nous épanouir ». Bref, il s'agit de mettre en place une « écologie de l'attention » qui permette d'aller à la rencontre du monde, tel qu'il est, et de redevenir attentif à soi et aux autres — un véritable antidote au narcissisme et à l'autisme.
“Le monde actuel privatise le silence qui rend possible l'attention et la concentration”
Est-ce aussi un appel à mettre plus de zen ou de « pleine conscience » dans nos vies, comme le faisait déjà un autre auteur-réparateur de motos, l'Américain Robert Pirsig dans un roman devenu culte, le Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes ? Non, rétorque Crawford, car l'enjeu n'est pas qu'individuel. Il est foncièrement politique. « L'attention, bien sûr, est la chose la plus personnelle qui soit : en temps normal, nous sommes responsables de notre aptitude à la concentration, et c'est nous qui choisissons ce à quoi nous souhaitons prêter attention. Mais l'attention est aussi une ressource, comme l'air que nous respirons, ou l'eau que nous buvons. Leur disponibilité généralisée est au fondement de toutes nos activités. De même, le silence, qui rend possible l'attention et la concentration, est ce qui nous permet de penser. Or le monde actuel privatise cette ressource, ou la confisque. » La solution ? Faire de l'attention, et du silence, des biens communs. Et revendiquer le droit à « ne pas être interpellé »...
Matthew Crawford
Chercheur en philosophie à l'université de Virginie et réparateur de motos
2010 : Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail. Ed. La Découverte
A lire
Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver, de Matthew B. Crawford, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marc Saint-Upéry et Christophe Jaquet. Ed. La Découverte, 2016, 352 pages, 21 €.
01:51 Publié dans Modernité, Télérama | Lien permanent |
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